Transformation d'une entreprise à l'ère de la digitalisation. Mais aussi transformation de la vie de milliers de travailleurs qui partiront ou resteront dans une nouvelle fonction, à l'issue du plan de restructuration qui prévoit 1.900 départs. Transformation aussi de la manière de montrer son mécontentement: des centaines de personnes ont spontanément arrêté le travail et la plupart des boutiques Proximus de Wallonie ont fermé la semaine passée, ceci sans mot d'ordre des syndicats.
Depuis le vendredi 8 novembre, des magasins Proximus sont fermés, principalement en Wallonie. Ce sont les travailleurs qui l'ont décidé, spontanément après que leur ont été communiquées les propositions de la direction relatives au plan de restructuration annoncé le 10 janvier dernier. Ce plan, provoqué par la digitalisation, prévoit le départ de 1.900 hommes et femmes sur les 11.500 environ que compte l'entreprise. "On décide le soir ou le matin au magasin avant de commencer", nous racontait, jeudi dernier, Marc (prénom d'emprunt car il veut garder l'anonymat), la trentaine, père de deux enfants et vendeur dans un Proximus shop du Hainaut depuis plusieurs années. "C'est notre manière de protester. On n'a pas eu un mot d'ordre des syndicats de fermer les magasins. Des gens dans mon magasin ne sont pas syndiqués du tout et suivent le mouvement parce qu'ils sont concernés", insiste ce trentenaire qui a appuyé sur le bouton orange Alertez-nous. Les vendeurs de boutiques Proximus ne sont pas les seuls à se croiser les bras. Des jointeurs (les techniciens qui réparent ou étendent le réseau de câbles) ainsi que des employés d'autres services ont aussi recouru à des arrêts de travail.
Un mouvement spontané d'une telle ampleur et aussi vif au niveau de toute la Wallonie, je ne m'en souviens pas
"Des arrêts de travail spontanés arrivent de temps en temps. Mais ils sont toujours très limités et concernent un petit groupe par rapport à un problème très spécifique comme un problème avec un manager ou un outil. Mais un mouvement spontané d'une telle ampleur et aussi vif au niveau de toute la Wallonie, je ne m'en souviens pas", concède Laurent Malengreau. Le secrétaire général de l'aile Telecom du syndicat CGSP est actuellement occupé à sillonner la Wallonie de part en part pour faire le tour des bureaux régionaux. Tournai, Mons, Charleroi, Namur, Nivelles,...: dans chaque régionale, une assemblée générale des affiliés au syndicat discute des propositions de la direction puis vote. C'est oui, non ou l'abstention. "Mardi prochain, ce sera la dernière régionale wallonne, celle de Libramont, avant la plus grosse régionale, celle de Bruxelles, jeudi", expose le syndicaliste.
Un vote décisif le 27 novembre
Le jeudi 27 novembre, en commission paritaire, face aux représentants patronaux, les syndicats livreront le résultat global des votes ayant eu lieu dans les bureaux régionaux. Sera-t-il positif ? En Wallonie, l'accueil du plan de la direction par des travailleurs "scandalisés" a été "glacial", rapporte Laurent Malengreau. Mais il reste le bureau régional de Bruxelles qui a un poids très important en termes de nombre de travailleurs et peut faire pencher la balance. Dans la capitale, la contestation a été moins forte que dans le sud du pays. Lors de la commission paritaire, 9 représentants syndicaux et 9 représentants patronaux voteront. Le plan doit recueillir 2/3 des voix pour passer, explique le syndicaliste.
Rejeter le plan de la direction
Pour Marc et ses collègues en arrêt de travail dans toute la Wallonie, les propositions, qui ont été communiquées il y a une grosse semaine par leur manager, doivent être rejetées le 27 novembre. "Tout le monde se rend compte de l'ampleur du plan et de l'impact au niveau de la société et au niveau personnel", dit le syndicaliste pour qui ce plan reste avant tout un plan budgétaire destiné à faire 240 millions d'économie en trois ans. Un moyen pour l'entreprise de disposer de davantage de personnel à moindre coût: "Ils veulent licencier des hauts salaires et les plus anciens parce que la priorité de l'entreprise est de réengager des nouveaux avec des conditions complètement différentes", croit Marc. Pour rappel, si Proximus prévoit 1900 départ, l'entreprise compte aussi recruter 1250 personnes disposant de compétences plus en adéquation avec sa digitalisation.
Départ volontaire ou reconversion
Le dossier de restructuration est épais et complexe. Dans les grandes lignes, on peut le résumer de la manière suivante. Il est proposé un départ volontaire aux employés et ouvriers se trouvant dans un groupe concerné par la restructuration, c'est-à-dire un groupe dont l'effectif doit être réduit. Les personnes qui se porteront volontaires bénéficieront d'une prime spéciale (par année d'ancienneté en plus de l'indemnité légale) ou du plan 58+ (si elles ont cet âge ou plus) qui prévoit qu'elles toucheront 70 à 75% de leur salaire jusqu'à leur pension (une mesure qui existe déjà au sein de la compagnie).
Prenons un exemple avec un magasin qui disposerait de 10 employés et qui doit passer à 6. Soit il y a pile 4 travailleurs qui optent pour le départ volontaire et dans ce cas la restructuration pour ce groupe s'arrête là. Mais s'il y a trop de volontaires ou pas assez, les personnes restantes vont passer en phase de reconversion. D'abord, elles devront établir leur profil de compétences en précisant leur niveau d'étude, leur expérience professionnelle, leur connaissance de certains outils comme des programmes informatiques, etc.
On va ensuite voir si une autre fonction peut leur être trouvée dans un autre département de Proximus. Si rien n'est trouvé ou si l'essai dans le nouveau poste s'avère négatif, il y aura un licenciement mais avec des avantages moins importants que ceux accordés au départ volontaire initial.
Marc n'a pas encore choisi entre le départ volontaire ou une reconversion à laquelle il n'est pas opposé. "Cela fait 18 ans que je suis en boutique, j'ai aussi envie de changer d'air". Mais, regrette-t-il, le choix sera limité: "Ce sera soit vendeur business expert, soit vendeur volant (partir sur la route), soit aller en call-center. En sachant qu'il n'y aura pas de places pour tout le monde car il y aura un nombre limité pour ces postes". Et si le processus de reconversion ne mène nulle part, il pourra être licencié. Et perdra dès lors la prime qu'il aurait eue s'il avait choisi le départ volontaire. Une prime substantielle puisqu'il a presque 20 ans d'ancienneté. S'il estime que lui peut encore se permettre de partir avec des chances de retrouver un boulot ailleurs, il pointe des collègues qui ont 40-45 ans, "qui sont attachés à leur boulot et qui ne voient pas ce qu'ils pourraient faire."
Pour ces raisons, Marc pense que le plan actuel n'est pas satisfaisant.
Le secrétaire CGSP déplore un manque d'équité dans l'accès au départ volontaire et à ses avantages. En effet, seuls les travailleurs des groupes faisant l'objet d'une restructuration peuvent en bénéficier. Or, argumente-t-il, ces départs volontaires auraient pu convenir pour des gens qui ont un travail pénible et approchent de leur fin de carrière par exemple.
Pas assez de temps pour négocier ?
Faut-il renégocier ? Pour Laurent Malengreau, la période de négociations a été trop courte. Si l'annonce du plan a été faite le 10 janvier, c'est seulement en septembre, grâce à l'arrivée de conciliateurs, que les négociations ont vraiment commencé. Mais une date butoir a été mise. "Elle était comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, le timing était très très serré", déplore le secrétaire de la CGSP qui décrit des réunions se finissant très tard et qui se succédaient jour après jour. Pour lui, tout était trop rapide, ceci alors qu'on avait "jamais eu un dossier aussi gros". "Cela ne se négocie pas sur un coin de table", estime le syndicaliste.
Incertitude et anxiété
Une grande anxiété règne actuellement parmi de nombreux travailleurs, affirme le syndicaliste qui dit avoir vu des gens pleurer lors d'assemblée générale. Et parfois la colère prend le pas sur la tristesse avec les risques que cela peut entraîner. La semaine passée, lors du blocage de bâtiments administratifs à Liège, on n'était pas loin d'un risque de débordement, nous a-t-on dit.
"Il y a une grande incertitude, les gens se posent beaucoup de questions", nous dit Marc qui s'interroge également sur l'après-restructuration dans les magasins où la direction table sur une baisse du nombre de clients car ceux-ci passeront par internet.
"Nous avons pour mot d'ordre d'éduquer le client à ne plus en venir en magasin. On met des choses en place, un peu comme dans les banques ou ailleurs. On a quelques clients qui peuvent se débrouiller seuls, mais la plupart des gens préfèrent venir en magasin. À mon avis, la réduction du flux de clients en magasin n'est pas pour demain", pense Marc.
Tout le monde attend désormais le vote du 27 novembre. Si le plan est rejeté, le conseil d'administration a toutefois la possibilité de le faire passer en force. Cette action radicale n'a cependant jamais eu lieu dans l'histoire de la compagnie.
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