Sylvain et sa compagne n'ont pas convaincu les banques de les suivre dans leur projet d'achat d'une maison. Déçu, le couple dénonce la restriction d'accès aux emprunts hypothécaires pour les jeunes. Pourtant, dans le monde bancaire, on soutient "qu'on a jamais autant prêté, et à des taux si bas". Une chose est sûre: le marché immobilier reste très élevé, ce qui complique la tâche de ceux qui démarrent "de zéro", malgré les taux très faibles.
Sylvain est en couple avec sa compagne depuis cinq ans. Au début de leur relation, les deux tourtereaux vivaient chez leurs parents. Puis, après trois ans, ils décident de faire le grand saut et emménagent ensemble à Fernelmont, en province de Namur. Le couple apprend à vivre uni et pose petit à petit les bases d'une vie de famille. Désormais, ils s'apprêtent à passer un autre cap après 2 ans de vie commune: devenir propriétaires de leur maison.
Les deux amoureux analysent tranquillement le marché et se renseignent sur les prix et montants des remboursement hypothécaires. Parallèlement à ça, ils se constituent une épargne de près de 25.000 euros en quelques années de travail. Et enfin, ils décident de pousser la porte des agences bancaires. "Ma compagne et moi, nous nous sommes rendus dans quelques banques pour faire une demande de prêt. Dans chaque cas, les banquiers nous ont détaillé leurs produits et nous ont promis qu'il n'y aurait aucun problème de remboursement en voyant nos deux salaires", confie Sylvain, 31 ans.
Les deux jeunes, sous contrat CDI, ont des salaires qui s'inscrivent tout-à-fait dans la moyenne pour des gens de leur âge. Lui travaille comme éducateur dans un hôpital pédopsychiatrique à Chastres, elle est infirmière au CHR Namur. A deux, ils disposent de plus de 3.500 euros par mois. Pourtant, après leurs visites plutôt positives dans diverses agences bancaires, les sièges centraux des banques se prononcent. Pour leur projet, c'est NON ! "Ils nous ont indiqué que notre apport personnel de 25.000 euros, c'est bien mais pas assez! Ils nous ont même fait part que 85% des jeunes de notre âge font appel aux parents pour les aider, et aussi qu'il y avait possibilité d'hypothéquer la maison de nos parents, à quoi je leur ai répondu que les lois et les banques n'ont aucun scrupule", se fâche Sylvain.
Pourquoi leur projet est-il refusé ?
Sylvain et sa compagne rêvent d'une maison, si possible 4 façades, dans la région de Fernelmont où ils habitent actuellement. Une région dans laquelle ils ont leurs habitudes, et qui est relativement proche de leurs parents. Selon leurs calculs, un prix d'achat de 280.000 euros serait le "juste prix" pour eux, sans risque de se mettre dans le rouge.
"Si on ajoute 15% du prix pour les frais de notaire, on arrive à 322.000 euros pour ce projet. Soit 42.000 euros de plus que le prix de la maison. Or, ils n'ont que 25.000 euros en fonds propres. Ils devraient donc emprunter 17.000 euros de plus que la valeur de la maison. Mais en plus, si un jour il y a vente forcée, la maison serait vendue moins chère que le prix d'achat. La banque risque donc de perdre gros dans ce cas, ce qui est probablement la cause du refus", explique Bruno Wattenbergh, expert en économie.
Pourquoi les banques veulent-elles tant de garanties ?
Il y a deux raisons principales qui motivent les banques à freiner l'accès au crédit. La première, c'est que la valeur en vente forcée d’un immeuble en cas de défaut de crédit (suite à une perte d’emploi, un divorce, etc…) va faire subir une décote au bien immobilier. La banque sera donc toujours un peu frileuse à l'idée de prêter 100% du prix d'achat. Si, en plus, les acheteurs doivent emprunter une partie des frais de notaire et d'enregistrement, la banque va rapidement évaluer que le risque est trop important, et que le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Ensuite, il y a une deuxième raison, c’est la pression des autorités bancaires belges et européennes. "Les banques belges sont surexposées en matière de crédit hypothécaire. Elles en ont trop en portefeuille. Elles ont accepté beaucoup de prêts hypothécaires et à des taux d’intérêt très bas, et avec peu de fonds propres. Le risque c’est qu’en cas de crise économique, trop de personnes ne puissent rembourser, qu’il y ait des défauts de crédit et que les banques plongent. Dans ce cas, le marché immobilier va s’écrouler, et les valeurs des biens immobilier ne vont plus correspondre à leur valeur inscrite dans le bilan de la banque. La banque pourrait donc se retrouver en quasi faillite", ajoute Bruno Wattenbergh.
Inutile d'ailleurs de rappeler la crise de subprimes aux Etats-Unis, qui a généré une crise économique mondiale en 2008. Pour résumer et faire simple, l'administration Bush a voulu faciliter l'accès à la propriété à de nombreux ménages, poussant les banques à octroyer des crédits à risque (les fameux subprimes). Mais quand de nombreux emprunteurs ont commencé à éprouver des difficultés pour payer leurs mensualités, les organismes de crédit ont fait faillite, faisant éclater la bulle immobilière. Certaines banques n'avaient alors plus assez de liquidités, et cela a fini par contaminer l'économie mondiale avec la crise bancaire et financière de l'automne 2008. "Il ne faut pas oublier que l'argent que les banques prêtent, c'est l'épargne ! Donc elles doivent faire attention", ajoute Bruno Wattenbergh.
C'est pour éviter de reproduire un tel scénario que les autorités implorent les banques à prêter, oui, mais sans prendre (trop de) risques. Et donc d'exiger un maximum de garanties. Mais attention qui dit garanties ne dit pas pour autant moins d'emprunts accordés, ce qui tendrait à limiter l'accès à la propriété. "Il faut bien comprendre qu'il y a une espèce de biais de sélection. Mais l'accès à la propriété en général n'est pas plus compliqué, car il y a de plus en plus de crédits octroyés, et notamment avec des quotités très élevées. Donc, d'un point de vue objectif, il n'y a pas de problème de masse car les banques acceptent de plus en plus de crédits. D'ailleurs la meilleure preuve à cela est que le marché se maintient, les prix des biens immobiliers restent assez élevés", analyse Philippe Ledent, économiste pour ING.
Pourquoi c'est parfois "oui", et parfois "non"
Quand on se positionne du côté des clients, la situation peut parfois paraître injuste. En effet, Sylvain et sa compagne voudraient emprunter 297.000 euros pour un maison qui vaut 280.000 euros, soit une quotité de 106% (6% de plus que la valeur du bien). Or, on connaît tous des gens qui empruntent une quotité encore plus importante, allant parfois jusqu'à 20% de plus que la valeur du bien. Comment est-ce possible ? "A ce niveau-là, tout joue. Le type de job joue. Le client est-il indépendant, fonctionnaire, salarié? Le type de contrat joue. Le client est-il CDD ou CDI ? L’ancienneté du contrat. Les qualifications. Le type de bien. La valeur d’achat du bien joue aussi, car si elle est faible, c’est sans doute une bonne affaire, et donc la banque prend moins de risques à récupérer cette somme en cas de non-payement", indique encore Bruno Wattenbergh.
D'où le sentiment d'injustice ressenti par la plupart des clients "exclus" du système, dont le projet initial a reçu un carton rouge. Les banques, elles, ne voient pas cela sous le même angle. "C'est une question de point de vue. Les calculs peuvent être très froids, bruts et sembler injustes. Bien sûr, pour un couple qui a un projet et qui y croit, c'est très difficile de se voir mettre un stop. Ca c'est certain. Mais d'un autre côté, si on compare avec la situation des pays, tout le monde va trouver normal qu'on prête de l'argent à la Grèce à un taux bien plus élevé qu'à l'Allemagne parce qu'on a peur qu'elle ne rembourse pas. Eh bien au niveau micro-économique, c'est pareil. Plus le risque est élevé, plus on rémunère celui qui prête, donc la banque. Et si le risque semble vraiment trop élevé, eh bien la banque ne le prend pas. A côté de cela, on peut faire jouer un tas d'arguments, mais les économistes ne se basent pas sur des concepts subjectifs, à savoir une prétendue justice ou injustice. D'autant qu'il faut comprendre que si le marché se casse la figure, tout le monde va en pâtir, et pas uniquement ceux qui ne remboursent pas leur emprunt. Alors c'est sûr que quand on est du mauvais côté c'est difficile, mais il y a une espèce d'auto-régulation très saine qui se fait naturellement. Et c'est justement prêter à tout le monde au même taux qui serait assez malsain", argumente Philippe Ledent.
Voici donc comment justifier, en simplifiant à l'extrême, que les banques prêtent plus facilement aux riches, et à de meilleurs tarifs. Mais inutile pour autant d'imaginer les pires théories. "Il n’y a pas de système ou de complot. Il y a une offre et une demande de financement, encadrée par des règles prudentielles qui visent à protéger les banques, les citoyens et la société en général", tempère Bruno Wattenbergh. "La plus grande irrégularité ne vient pas des banques, mais du marché lui-même. Avec des prix élevés, certaines personnes à faibles revenus sont exclues. D'autres peuvent avoir accès à la propriété, mais pas au bien dont ils rêvent. Ca c'est vrai, mais ce ne sont pas les banques qui sont responsables", juge de son côté Philippe Ledent.
Un prêt de maximum 80% de la valeur du bien: une rumeur ?
Pour Sylvain et sa compagne, l'objectif visé semble donc, au regard des grandes banques, un peu trop élevé. Selon leurs dernières recherches, de plus petites banques seraient néanmoins plus favorables à leur accorder un emprunt. Cela étant, il existe d'autres moyens d'y arriver, mais encore faut-il en avoir la possibilité, et l'envie. Il n'est ainsi pas rare de voir des parents avancer une certaine somme à leurs enfants pour faire baisser la quotité de leur emprunt. Dans d'autres familles, on observe fréquemment le fait qu'un autre bien immobilier soit "mis en garantie" du prêt accordé aux enfants. Et puis pour d'autres, ces solutions n'existent pas, et il faudra soit baisser ses exigences, soit constituer une épargne plus importante avant d'envisager devenir propriétaire.
Ces constats font mal aux jeunes qui tentent de se lancer, mais si les banques faisaient dans la philantropie, cela se saurait... Et, à l'avenir, la prudence exigée sur les marchés financiers pourraient encore compliquer leur tâche, même si cela n'est pas d'actualité, contrairement à ce qu'une rumeur avait laissé supposer. En effet, la Banque Nationale Belge (BNB) a encouragé les banques à augmenter leurs fonds propres (pour minimiser les risques en cas de non-remboursement d'un prêt) en évitant au maximum de prêter plus de 80% de la valeur du bien. Alors au fond, qu'en est-il exactement de cette mesure ? "Cette question n'avait à la base rien à voir avec la politique. C'est une mesure prudentielle qui voudrait être prise par le régulateur (BNB) sur base de conseils européens", explique Philippe Ledent qui nous a assuré qu'aucune loi ou projet de loi n'était à l'ordre du jour. "Parce que, en cas de crise, les banques vont subir des pertes. Et au vu du nombre de prêts hypothécaires accordés, souvent avec des quotités importantes et, depuis plusieurs années, à des taux historiquement bas, la Banque Nationale souhaite simplement que ces banques aient plus de fonds propres pour amortir ces pertes", ajoute-t-il.
Pour le moment, il ne s'agit donc que d'une façon, pour la BNB, de dire "Attention !". Pour le moment...
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