Ils sont quatre et approchent de la trentaine. Simon, Niels, Justine et Delphine ont décidé de se lancer dans un nouveau projet. Ensemble, ils veulent mettre en place une ferme agro-écologique à Buissonville, dans l'entité de Rochefort. Mais leur arrivée ne semble pas plaire à tout le monde. Joutes verbales et actes de vandalisme perturbent leur mise en place. Des chasseurs sont pointés du doigt, mais aucun "coupable" n'a été identifié avec certitude. De leur côté, les autorités communales refusent de prendre position, et ne font rien pour leur faciliter la tâche.
Delphine, Niels, Justine et Simon se sont lancés dans un projet novateur il y a un an et demi. Ces quatre amis, à l'aube de la trentaine, ont décidé de mettre en place une ferme agro-écologique et de vendre leurs fruits et légumes sur des marchés. Bruxellois d'origine, ils ont cherché des terrains à exploiter à proximité de la capitale. Mais après quelques mois, ils ont dû faire face à une réalité: les terrains disponibles à proximité de Bruxelles sont trop rares, et il leur sera difficile, voire impossible, de donner vie à leur projet dans cette région.
Les jeunes gens n'abandonnent pas pour autant, et décident d'étendre leurs recherches. Et soudain, en décembre 2016, un message va concrétiser leur objectif. "L'un d'entre nous était maraîcher depuis plusieurs années, et un autre travaillait dans la vente de fruits et légumes bio. On a donc diffusé autant que possible nos idées de projet de ferme agro-écologique et un jour, ça a fait mouche. Des gens nous ont contactés. Ils nous ont dit qu'il étaient propriétaires d'un terrain à Buissonville, dans l'entité de Rochefort, et qu'on pouvait l'exploiter si cela nous convenait", a expliqué Simon.
Les quatre fermiers néophytes sont séduits par les 3 hectares de prairie et lancent toutes les démarches nécessaires pour débuter leur activité, parallèlement aux préparatifs financiers et logistiques requis. Le projet est d'y développer des zones de culture, deux habitats dont une "Tiny House" de 17 mètres carrés et une maison à ossature métallique de 53 mètres carrés bardée de bois "pour mieux s'intégrer dans le paysage". A cela s'ajoute un abri de 60 mètres carrés, également bardé de bois, pour stocker produits et outillage. Le tout étant autosuffisant en eau et électricité, pour rester cohérent avec l'aspect écologique du projet.
La "Tiny House" des quatre amis
En août 2017, ils obtiennent une première rencontre avec les autorités de la commune. Pierre-Yves Dermagne, premier échevin de la commune, leur assure à ce moment qu'il leur obtiendra "un accord de principe pour l'installation de leur abri de travail et deux habitats de fonction dans les 15 jours". Mais deux mois plus tard apparaissent les premières difficultés. "On nous a refusé cet accord de principe", confie Simon. "A ce moment, ce fut une énorme surprise, un coup de massue, surtout au vu de ce que nous avait indiqué le premier échevin deux mois plus tôt".
Mais les quatre amis ne baissent pas les bras et mettent en place serres et plantations dès le début de l'automne. Pour les bâtiments, par contre, il faut les permis. Une nouvelle réunion avec les autorités communales et régionales a lieu en octobre. "L’objectif officieux semblait de nous faire renoncer et nous voir quitter la commune", confie Simon, persuadé que des chasseurs font pression pour que leur projet, qui se trouve sur un lieu de passage de cervidés, n'aboutisse pas. Un sentiment partagé par ses trois amis.
"Cela pourrait créer un précédent"
Du côté de la commune, Pierre-Yves Dermagne, premier échevin, n'est pas aussi catégorique. "On traite le dossier comme n'importe quel autre dossier. Il faut un permis d'urbanisme relatif à la production agricole, et le dossier suit son cours selon les délais imposés par la procédure", a-t-il indiqué, assurant qu'il n'y avait aucune pression extérieure pour bloquer le projet. "La seule particularité, c'est que cela pourrait créer un précédent. C'est un concept novateur. Alors c'est très bien d'innover, mais il faut quand-même réfléchir aux conséquences que tout cela pourrait avoir. Et donc ce n'est pas parce que c'est novateur et écologique qu'on doit tout valider les yeux fermés".
Mais à Buissonville, deux événements successifs ont encore tendu les relations entre les personnes concernées. "Le 3 janvier 2018, nous avons constaté des lacérations dans le revêtement plastique neuf de deux de nos serres-tunnels, entraînant la destruction totale de cette protection à cause de la tempête de ce jour-là", expliquent les quatre comparses. Coût estimé: 2.000 euros.
Le 2 mars, nouveau revers pour les jeunes agriculteurs en herbe. "Nous avons eu l’horreur de découvrir un nouvel acte violent à notre encontre. Sur les 350 arbres et arbustes plantés depuis la fin de l’automne 2017, 300 avaient été brisés, dont la moitié sans aucun espoir de les voir reprendre. Ces dégâts touchent donc la quasi-totalité de ce que nous avions planté depuis notre arrivée sur ces parcelles".
Cette fois, la perte est plus conséquente. Simon et ses amis estiment les frais à près de 12.000 euros. Vu l'opposition des chasseurs à leur égard, ils soupçonnent que l'un ou plusieurs d'entre eux soit derrière cela. Et cette fois, si l'objectif était de faire peur, cela a fonctionné. "Oui nous avons peur. Mais on ne compte pas abandonner", prévient Simon.
Suite à ces faits de vandalisme, une plainte a été déposée et une enquête est en cours. Du côté de la commune, on préfère, à l'heure actuelle, ne pas pointer un "coupable" ni une raison quelconque expliquant ces saccages. "C'est peut-être un peu précipité. C'est possible, bien sûr, que cela soit l'acte d'un ou de plusieurs chasseurs, mais cela peut aussi être l'oeuvre d'un mauvais plaisantin. A notre niveau, on n'a pas reçu de copie du PV, donc il nous est impossible de tirer des conclusions".
Un projet "en opposition aux valeurs rurales et traditionnelles"
Benoît Petit, président du Royal Saint-Hubert Club de Belgique, la plus importante association de promotion de la chasse et de défense des chasseurs, déplore les actes subis par Simon et ses amis. "Je ne peux rien en dire vu que je ne suis au courant de rien. J'espère très honnêtement qu'il ne s'agit pas d'intimidation, et que ce n'est pas l'oeuvre de chasseurs, parce que ce ne sont pas des manières d'opérer ni d'avancer. Et s'ils sont victimes de menaces, je les encourage très fort à porter plainte", a-t-il indiqué, avant d'insister sur le fait qu'il n'y a pas que les chasseurs qui sont réfractaires à l'installation de cette ferme agro-écologique. "Il y a une confusion importante. La pratique de la chasse ne serait pas du tout entravée ou impactée par ce projet. Alors c'est vrai, ils sont en plein sur un corridor écologique, une zone de passage de la faune, qui perdrait sa fonction. Mais c'est un aspect mineur du dossier. Ce qui est plus important, c'est le risque de dénaturer toute une zone, tout un paysage auquel de nombreuses personnes sont attachées. Et ce ne sont pas que les chasseurs qui y sont opposés. Il y a aussi des habitants qui sont attachés aux traditions de la région et qui redoutent les conséquences d'une telle activité sur la nature. Il y a aussi un pisciculteur qui s'est prononcé contre ce projet".
Connaissant bien les lieux où souhaitent s'implanter les quatre jeunes fermiers, il émet donc lui aussi quelques réticences au projet. "Déjà, le sol n'est pas adapté à leur activité. C'est du schiste, et cela n'est pas du tout adapté à une culture qui serait, malgré tout, assez intensive. Ensuite, cela ne serait pas en accord avec la biodiversité des lieux, la nature, et le paysage. Ce projet est un peu en opposition aux valeurs rurales et traditionnelles", estime-t-il.
Un point sur lequel Simon le rejoint entièrement. "Oui, c'est vrai, depuis le début on sent qu'il y a des craintes parce qu'on arrive avec un concept nouveau, quelque-chose qui n'existait pas avant. Et on sent qu'on bouscule un peu une partie de la population ici, visiblement très attachée à une sorte de statu quo. Mais il faut bien comprendre que même si cela peut effrayer, ce lieu producteur de fruits et légumes est un modèle complet et autosuffisant, où l'on assurerait la production, l'habitat (des 4 amis), et la distribution des produits. C'est novateur, mais en même temps complètement dans l'ère du temps, et conforme aux attentes du public", précise-t-il.
Et les quatre amis d'ajouter que, s'ils font face à des personnes qui s'opposent à leur projet, ils ont également un soutien massif d'une frange importante des habitants du village qui les encourage à ne pas abandonner. Un soutien qui les pousse à se battre, et à persévérer. Mais il y a un hic: "Depuis le deuxième acte de vandalisme, on n'ose plus laisser nos cultures sans surveillance. On ne peut plus risquer de perdre de l'argent comme ça, sous peine d'être à sec", explique Simon.
Les quatre amis ont donc décidé d'avancer l'installation de leur "Tiny House", une mini-maison d'une surface habitable de 17 mètres carrés construite en ossature bois sur une remorque, mais nécessitant néanmoins l'octroi d'un permis d'urbanisme... qui ne leur a pas encore été accordé. "La commune nous a transmis un courrier dans lequel ils nous ordonnent de retirer cet habitat", regrette Simon.
Et en effet, du côté de la commune, peu importe les faits de vandalisme et la volonté des quatre maraîchers de rester sur place. "Il y a des règles et procédures à respecter, et c'est ce que l'on fait. Il y a bien une demande de permis qui a été introduite, mais elle n'a pas encore abouti. Cet habitat, aussi petit soit-il, n'est donc pas légal", insiste Pierre-Yves Dermagne.
Pour Simon et ses amis, une telle position de la commune ne relève pas du hasard et démontre une nouvelle fois qu'ils ne sont pas les bienvenus. "Nous ce qu'on veut, c'est pouvoir travailler décemment. Et pour cela, vu ce qui nous est arrivé, on n'a pas le choix. On doit surveiller nos production 24h sur 24", conclut Simon, qui martèle que c'est désormais là que sa vie et celles de ses amis s'écrivent. "Nous pensons que l'on ne choisit pas où l'on naît, mais que l'on choisit où l'on vit. A ce titre, nous sommes Buissonvillois".
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