Le 9 octobre 2020, Accueil Montfort, une maison d'accueil pour femmes située à Jette, apprend une terrible nouvelle. Les bâtiments qui hébergent l'asbl sont mis en vente. L'équipe, qui a décidé de se battre pour rester dans ses locaux, a lancé un appel aux dons. Nadia, Hasna et Lola, trois femmes aux parcours différents, ont trouvé une seconde famille en franchissant les portes de cette association. Elles ont accepté de partager leur expérience de vie.
"Le 9 octobre, nous avons reçu une notification de préavis des propriétaires suite à la mise en vente des bâtiments de la maison d'accueil dans lesquels se trouve l'asbl Accueil Montfort depuis 35 ans", commence par expliquer Elisabeth Deladrier, directrice de l'asbl bruxelloise.
Au moment où elle apprend la nouvelle, elle ne peut retenir ses larmes. Cela fait 15 ans que cette dernière travaille dans la maison d'accueil et d'hébergement pour femmes sans-abri. L’asbl existe depuis 35 ans et "se veut ouverte à chacun sans discrimination raciale, sexuelle, religieuse ou philosophique".
Elle héberge et soutient les femmes en difficulté pour une période de deux ans. Au total, 33 femmes de 18 à 50 ans y résident. Chaque année, entre 80 et 90 femmes sont accompagnées. Le but du centre est de leur permettre de surmonter les situations de précarité et d’exclusion qu’elles traversent et qu’elles puissent redevenir actrices de leurs vies. Perdre les locaux serait dramatique pour les résidentes.
Aider les gens, ça n'a pas de prix
Suite à la mise en vente, l'asbl a décidé de se porter acquéreur. "On a essayé de tout mettre de notre côté pour racheter ces murs. On a eu une aide précieuse de notre pouvoir subsidiant, la COCOF", nous explique Elisabeth Deladrier. Elle lance un appel aux dons à la fin du mois de novembre pour un montant de 300.000 euros, "pour nous aider à racheter et diminuer cette pression financière du rachat pour une asbl comme la nôtre".
Un appel à l’aide qui n'a pas été facile à faire pour la directrice. "Je ne voulais pas mettre un prix sur quelque chose qui n'en a pas. Aider les gens, ça n'a pas de prix et ici, on est en train d'en mettre un". Et cet appel à la solidarité citoyenne fonctionne. L'asbl a déjà récolté près de 160.000 euros.
La somme totale doit être trouvée d'ici le mois de juin
Au fil des dons, Elisabeth Deladrier est de plus en plus émue. "J'ai pleuré quand j'ai appris la mise en vente, mais j'ai continué à pleurer quand j'ai vu les dons arriver", avoue-t-elle.
"J'ai trouvé cette solidarité citoyenne juste incroyable. Je n'ai pas de mots. Il n'y a pas de petits dons, chacun vaut la peine d'être fait. C'est cette multitude qui, à un moment donné, nous a fait atteindre la moitié de ce qu'on attend, donc c'est juste incroyable", précise-t-elle, avant d’ajouter qu’elle espère que les dons continueront pour éviter la fermeture. En effet, le chemin est encore long. La somme totale doit être trouvée d'ici le mois de juin.
Malgré la mise en vente des locaux, la directrice reste optimiste. "Il y a six semaines, je n'y croyais pas et là, je me dis que la cause est juste et ce qu'on fait comme travail mérite d'être soutenu. Avoir déjà près de 160.000 euros de dons, ça donne une belle réponse à notre investissement depuis 35 ans", se réjouit la directrice.
"Les raisons de tout perdre sont nombreuses"
L’Accueil Montfort accueille des femmes aux parcours différents. Ces situations de précarité sont caractérisées par des problèmes multiples et complexes. "Ça peut être des problèmes de violences intrafamiliales, mais également de surendettement, de santé mentale, de dépendance, des jeunes filles qui quittent leur famille suite à une tentative de mariage forcé. Les raisons de tout perdre sont vraiment nombreuses", poursuit la directrice.
Quel est le but de l’Accueil Montfort ?
L'Accueil Montfort est "la seule maison d'accueil de la Région bruxelloise pour femmes seules", indique la directrice. Le centre a pour rôle d'accompagner ces femmes dans leur projet personnel comme, par exemple, continuer des études ou débuter une formation, trouver un travail, un logement, se remettre en ordre administrativement, entamer une procédure de divorce, un accompagnement spécifique des femmes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales, etc.
"Quel que soit le projet des femmes que nous accueillons, on est là au niveau de la maison d'accueil pour les accompagner à redevenir et, souvent pour la plupart devenir, vraiment actrices de leur choix, actrices de leurs vies. Le but et le rôle d'une maison d'accueil, c'est vraiment d'être une trace positive dans le parcours de ces femmes."
Lola, la force tranquille
Reprendre des études, c'est le projet de Lola, l'une des résidentes de l'Accueil Montfort. "Ils m'ont accompagnée dans ma recherche d'école, mais aussi pour les démarches administratives", précise-t-elle.
La jeune femme dit avoir trouvé une seconde famille en franchissant les portes de l’asbl et beaucoup de bienveillance. "Même quand je suis perturbée, je garde espoir car je sais qu’ils vont me soutenir dans mes études, qui est mon objectif. C'est un accueil qui ne regarde pas la situation ou la couleur de peau. Ils accueillent tout le monde. C'est ce qui m'a donné confiance. Ils offrent tous les accompagnements qui permettent de se sentir bien", explique Lola.
"Si je ne me sens pas bien, il y a une psychologue qui est là, qui m'écoute et qui cherche des solutions à mon problème. Elle me guide pour que je puisse m'en sortir."
C'est un accueil qui ne regarde pas la situation ou la couleur de peau
Elle nous a confié les raisons de sa présence dans le centre. "Je suis là à cause d'un conflit familial. J'ai eu des problèmes avec ma famille. Ça fait deux ans que je suis arrivée ici", précise la jeune femme.
L’étudiante nous explique que pour elle, c'est important que la maison d'accueil soit exclusivement féminine. "Ici, personne ne vient nous agresser. Le centre a mis en place des aménagements pour nous protéger. Il y a des heures à respecter. On a des règles, mais on est comme dans une famille. On se sent en sécurité ici."
"Les ex compagnons ou les beaux-pères, les pères, les membres familiaux avec lesquels il y a éventuellement eu des soucis de violence ne rentrent pas au sein de la maison d'accueil", assure la directrice Elisabeth Deladrier.
L'asbl permet enfin à Lola d’avoir son propre appartement, ce qui est "extraordinaire", nous dit-elle. "J'ai un avenir devant moi. Je me sens bien ici. Je n'avais aucun espoir, mais depuis que je suis là, je vois une grande progression dans mon avenir. J'ai plus confiance en moi."
Hasna, la battante
Hasna est arrivée à l'Accueil Montfort suite à un mariage forcé. "Toutes les femmes ici ont vécu beaucoup de choses, par exemple le mariage forcé comme moi. Moi, je suis tombée malade après m’être mariée. J'ai été aux urgences et là, j'ai parlé avec une psychiatre qui a décidé de m'hospitaliser. Elle ne voulait pas que je rentre chez moi. Je suis venue à l’Accueil Montfort. Elles m'ont aidée pour les papiers administratifs. J'ai trouvé que l’accueil était mieux que la famille. On cuisine et on mange ensemble. Il y a toujours une ambiance familiale", explique Hasna.
Ils aident les femmes et nous donnent une autre naissance
Cette dernière espère pouvoir bientôt voler de ses propres ailes, mais la pandémie mondiale ralentit les choses. "J'ai essayé de trouver un appartement, mais avec le coronavirus, c'est compliqué pour tout le monde. J'ai vraiment de la chance d'avoir trouvé des gens comme ça. Ils aident les femmes et nous donnent une autre naissance. Grâce à Montfort, j'essaie d'améliorer mon français."
"Je voudrais les remercier pour ce qu'ils font pour moi et pour les filles, ajoute Hasna. Ils m'encouragent à faire une formation (...) Ici, j'ai appris à penser à moi. Je me sens utile", sourit la jeune femme.
Nadia, la reconnaissante
Nadia est une ancienne résidente de l'Accueil Montfort. Elle a désormais son propre appartement. Son passage au centre a été tellement important dans sa reconstruction qu’elle rend régulièrement visite à l’équipe. "Je suis arrivée ici dans un cas particulier. J'avais tout perdu. Tout. Pas d'aide, ni des amis ni de la famille. J'ai trouvé un endroit où j'ai pu être aidée. Montfort m'a apporté la tranquillité, la paix, la joie et j’ai pu réapprendre à vivre. Quand je suis arrivée ici, j'étais complètement perdue. Je suis arrivée avec mes bagages, mes dettes, mes problèmes et surtout la peur d'être à la rue", raconte Nadia.
Cette dernière a quitté les lieux il y a plusieurs mois après y avoir vécu durant deux ans. "Quand on arrive ici, il y a le sentiment de sécurité, mais je me suis demandée où j'étais car la première fois, ça fait peur (...) Quand je suis arrivée, j'ai eu les larmes car c'était vraiment un soulagement, mais aussi un mélange de tristesse et de joie. C'est aussi se dire qu'on n'est pas à la rue", avoue-t-elle. "Les femmes à la rue, c'est catastrophique. On ne parle pas d'une, de deux ou de trois, je n'ose même pas compter car c'est énorme. Moi, j'ai eu la chance d'être ici."
"Les femmes qui arrivent ici ont de lourds bagages. Elles ont honte. Mais on les rassure en leur disant: vous êtes quelqu'un, vous n'êtes pas rien. On doit vous respecter. Vous en avez le droit", précise Nadia.
Lorsqu'elle a quitté l'Accueil Montfort, elle nous confie que son "cœur était soulagé". "J’ai trouvé la tranquillité d'esprit, équilibre, fraternité, amitié, amour et paix et ça n'a pas de prix."
Comment les femmes arrivent à l’accueil Montfort ?
Généralement, les personnes qui arrivent en maison d'accueil viennent soit d'un centre d'urgence, soit d'un CPAS ou d'un service d'aide aux victimes dans les communes. Parfois, ce sont les centres de PMS dans les écoles qui sont alertés par des situations d'urgence. L'asbl nous confie que les femmes peuvent aussi les contacter d'elles-mêmes.
Une série de règles régissent la vie en communauté. Durant les deux ans du séjour, l'éducatrice et l'assistante sociale vont travailler au projet individuel de chaque femme et l'accompagner par des entretiens individuels tous les quinze jours. "On fonctionne par un duo de référence. Chaque hébergée à une référente assistante sociale et une référente éducatrice. Ces co-référents nous permettent de faire un suivi", explique Sarah Ben Amar, éducatrice spécialisée depuis 5 ans au sein de l'Accueil Montfort.
Une psychologue fait des ateliers orientés sur l'estime de soi et la psychologie positive. Des ateliers de marche nordique, de bricolage, de peinture, de yoga, d'improvisation théâtrale, du massage, de boxe sont proposés aux femmes.
Chaque fois que l'une d'entre elles quitte la maison d'accueil, "c'est une fierté pour elle, autant que pour nous, de pouvoir enfin être autonome et indépendante", confie Sarah Ben Amar. Les voir trouver un logement ou terminer avec succès leur formation est un moment d'émotion pour toute l'équipe. "Et ce qui est encore plus merveilleux, c'est quand des anciennes passent pour nous donner des nouvelles, nous présenter leur famille ou nous annoncer qu'elles sont diplômées."
Être sans-abri, ce n'est pas forcément avoir eu un parcours de rue
Pour la directrice de l'Accueil Montfort, l'image que la société a d'une personne sans-abri est parfois tronquée. "Être sans-abri, ce n'est pas forcément avoir eu un parcours de rue. C'est aussi avoir connu des problèmes de violences ou de dépendance, ne pas pouvoir rester dans son logement, précise la directrice. Être sans-abri, c'est une problématique très complexe, avec des raisons très variées. Essayer d'apporter une solution unique est impossible. Les raisons sont multiples, les solutions doivent l'être aussi."
La directrice Elisabeth Deladrier est fière de dédier sa vie à ces femmes. "Travailler en adéquation avec ses valeurs, c'est la chance que j'ai depuis 15 ans. Se lever tous les jours, trouver du sens dans son travail et essayer un maximum d'être cette trace positive dans cette rencontre à un moment donné, que deux parcours de vie se croisent et puis se dire qu'il y a ce petit plus qui va se mettre en place, que quelque chose va prendre sens dans le parcours de la personne, je trouve que ça n'a pas de prix. Je sais pourquoi je me lève tous les jours et je sais pourquoi on se bat pour rester dans nos murs."
Vos commentaires