Intersysto, basée à Tournai, a développé une solution logicielle complète pour moderniser l'encadrement des soins à domicile. Un secteur en pleine expansion où pour l'instant, tous les acteurs travaillent dans leur coin. Il est temps d'améliorer tout ça, et 3S HomeCare peut y contribuer. L'une des fédérations de soins à domicile abonde en ce sens, mais elle a identifié deux freins: l'un est financier, l'autre lié au secret médical.
Les soins à domicile sont un enjeu crucial pour les prochaines décennies. Il y a tout d'abord le vieillissement grandissant de la population dans les pays les plus développés: maintenir les seniors chez eux au lieu de les placer dans des maisons de repos est essentiel pour ne pas continuer à alourdir le budget de la sécurité sociale. Ensuite, il y a les revalidations: il ne vous a pas échappé que les séjours en hôpitaux, très chers pour la collectivité, sont raccourcis au maximum. Après une opération ou un accouchement, on privilégie un départ de plus en plus rapide, mais avec un suivi planifié à domicile. Bref, le secteur des soins à domicile ne cesse de prendre de l'ampleur.
Intersysto est une jeune entreprise basée à Tournai qui développe des logiciels liés à la santé. Elle vient de recevoir un prix lors du CES de Las Vegas, le plus grand salon dédié aux nouvelles technologies. Nous avons rencontré son patron, Dominique Duhayon.
De la surveillance des hôpitaux à la surveillance à domicile
Pour Dominique, formé en tant qu'ingénieur en construction à l'ECAM à Bruxelles, tout a commencé en 2006. "J'ai toujours travaillé dans l'intégration de système. Et on a lancé à l'époque un logiciel qui servait d'intermédiaire entre le système d'appel des malades et les responsables des soins, sur un portable (et même sur des 'bip' à l'époque). Ça permettait également de suivre ce qui était fait dans des logements pour handicapés, il y avait des codes qu'on communiquait parfois via des talkie-walkie".
A partir de cette époque révolue, "et grâce à cette expérience", a été créée la société Intersysto. A la base, il s'agit de logiciels destinés aux hôpitaux et aux maisons de repos, qui servent de registres pour tous les appels et les soins donnés à un patient, un résident. Ces logiciels existent depuis quelques années, et c'est le fonds de commerce de l'entreprise de Dominique.
Mais depuis 3 ans, les développeurs d'Intersysto (huit personnes au total) travaillent également sur une nouvelle solution dite "globale", et baptisée 3S Homecare. Elle est liée aux soins à domicile. C'est pour cette solution que l'entreprise a reçu un prix en marge du CES de Las Vegas. Cette récompense, décernée par une initiative française (liée à un média économique), "a apporté beaucoup de visibilité" à l'entreprise.
Un seul hub de communication pour tous les prestataires de soins à domicile
Centraliser les données pour un "suivi optimal" du patient
Dominique est parti d'un constat assez symptomatique: "tous les prestataires de soins à domicile ont leur propre système de communication et d'encodage". Par exemple, une infirmière va encoder sur son smartphone, sa tablette (ou même dans un carnet en papier) les soins qu'elle vient d'effectuer sur un patient. Quelques heures plus tard, un kiné se déplace: il remarque une dégradation de la mobilité du patient, et le note de son côté. Le lendemain, le médecin traitant effectue une visite: si le patient n'a rien dit, il n'est pas au courant du travail de l'infirmier ou des constats du kiné. Le médecin donne un traitement qui s'avère incompatible avec certains aliments, mais la personne chargée de livrer les repas en ignore tout…
Il s'agit d'un cas caricatural, mais il est révélateur: il est nécessaire de coordonner, d'agréger (rassembler) toutes les données liées au soin d'un patient à son domicile. A l'hôpital, il existe déjà des solutions depuis longtemps. Au niveau des médecins, il y a le fameux dossier médical. Mais pour le reste des soins, ceux effectués généralement au domicile des seniors ou patients en revalidation, il n'y a rien. Tous les soins sont recensés par chaque prestataire, chacun avec sa propre solution logicielle. Il n'y a par défaut aucun partage, aucune centralisation des soins.
"On propose donc nos solutions logicielles, pour qu'il n'y ait qu'un seul hub de communication pour tous les prestataires de soins à domicile. Derrière, il y a toutes nos applications qui peuvent être utilisées par le patient ou son entourage, par les différentes prestataires, par les mutuelles qui gèrent la plupart des soins à domicile, etc".
Une centralisation des soins pour un meilleur suivi, à laquelle s'ajoute "les mesures prises par le patient lui-même: on a listé les appareils (tensiomètre, glucomètre, etc) compatibles afin que leurs résultats soient repris dans l'application, qu'ils soient fiables et pas perdus sur un petit bout de papier".
La solution destinée au patient intègre également la liste des médicaments à prendre, ainsi que des rappels. Il y a d'autres options ou modules qui existent, comme la consultation à distance d'un médecin avec stéthoscope connecté (et présence d'une infirmière, par exemple), une surveillance à distance des paramètres de santé, etc. "Il y a beaucoup de potentiel, et pas de barrière technique", se réjouit Dominique.
En option, et selon des modalités de prise en charge financière qui reste à définir, il y a cet ordinateur/tablette (voir ci-dessous) à installer chez les patients qui le souhaitent, ou qui ne sont pas équipés d'un smartphone ou d'une tablette.
D.R.
D.R.
2019, année charnière
Intersysto a déjà convaincu les trois grandes mutuelles en Belgique. C'est elles qui "paient" les soins à domicile, organisés par de nombreuses asbl et fédérations à travers le pays. "On a développé ensemble nos solutions logicielles".
Partant de là, 3S Homecare pourrait s'intégrer petit à petit dans le quotidien des personnes nécessitant des soins à domicile, qu'ils soient des seniors ou des malades en revalidation après un séjour à l'hôpital: "2019 sera une année cruciale. On va passer de 250 malades en 2018 à 40.000 en 2019".
Parallèlement à ce déploiement en Belgique, Intersysto a des chantiers ailleurs dans le monde, y compris en France et au Maroc où des projets sont en cours. "Demain, on peut être copié par n'importe qui, il faut donc aller le plus vite possible".
Qu'en pensent les principaux concernés ?
On a frappé à la porte de l'une des asbl qui fédère des milliers de prestataires de soins domicile, en l'occurrence la FASD (Fédération de l'Aide et des Soins à Domicile). Elle nous confirme l'augmentation soutenue de ce secteur en pleine mutation. "Par rapport à 2012, on note une augmentation de 24% des prestations au niveau des soins infirmiers à domicile", nous a expliqué Edgard Peters, directeur soins infirmiers de l'asbl.
Au niveau de ce qu'on appelle l'aide à la vie journalière (aide familiale, garde à domicile, aide-ménagère sociale), l'augmentation est contenue car elle dépend de budgets alloués à l'avance. "Mais on note clairement une augmentation de la demande, on a donc besoin de moyens supplémentaires", précise pour sa part Gaël Verzele, responsable de cette branche au niveau de la FASD.
Deux freins identifiés
Les soins et aides à domicile ont donc effectivement de beaux jours devant eux, mais ont-ils besoin du coup de pouce d'une solution logicielle comme 3S Homecare ? "C'est plus que certainement utile", conviennent immédiatement nos deux interlocuteurs, qui confirment que "actuellement, il existe des dizaines de solutions logicielles développées en interne, et elles ne sont pas du tout prévues pour communiquer entre elles".
Ils pointent cependant du doigt deux freins. Il y a tout d'abord la question du financement. "En 2019, le budget des soins infirmiers à domicile pour toute la Belgique était de 1,6 milliard. On estime qu'il devrait passer à 3 milliards pour fonctionner correctement, pour payer dignement les prestataires. Qui va donc payer le déploiement d'une nouvelle solution logicielle ?". En clair, l'infirmier, actuellement, préfére voir son salaire augmenter légèrement que de voir les autorités compétentes investir dans un logiciel.
L'autre questionnement de la fédération, c'est de savoir "qui aura accès à quelle information ?" D'après le responsable d'Intersysto, tout peut se configurer, mais faut-il encore établir des règles communes: "le médecin, l'infirmier, l'aide-ménagère, l'organisme qui gère les soins, etc: comment va-t-on établir l'accès à tel ou tel type d'information concernant l'état de santé du patient ? Cela n'a rien d'évident", pointe du doigt Edgard Peters. C'est la problématique du secret médical et du respect de la vie privée des patients, et elle est plutôt sensible…
Donc en résumé, "un tel outil a toutes ses raisons d'être, vu l'augmentation des soins et aides à domicile, vu le vieillissement de la population, et vu la communication entre les services qui a toujours posé problème" ; mais "qui va payer ? Et qui va avoir accès aux informations ?".
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