Dans sa chronique sur l’économie et la consommation, Bruno Wattenbergh parle "ubérisation" et de la décision prise par le Tribunal du Travail de Bruxelles concernant le statut des livreurs Deliveroo. Est-ce une décision cohérente ? Sur base de quels arguments ? Ce sont de questions auxquelles il a tenté de répondre.
La décision est tombée ce mercredi concernant le statut des livreurs Deliveroo. Le Tribunal du Travail de Bruxelles a tranché : la relation entre les coursiers Deliveroo et la plateforme de livraison de repas ne peut être requalifiée en contrat de travail avec les obligations qui en découlent pour l'employeur. Mais peuvent-ils être indépendants ?
Oui. Le juge considère que la relation de travail liant Deliveroo aux 115 coursiers ne peut pas être requalifiée en contrat de travail. Ce ne sont donc pas, en tous cas pour ce tribunal, de faux indépendants.
Quels sont les arguments qui fondent cette décision ?
L’élément-clé pour déterminer si une relation de travail est réellement indépendante, c’est logiquement l’absence de ce qu’on appelle le lien de subordination. Ce lien de subordination, c’est tous les indices que le travailleur n’est pas libre, n’est pas indépendant… qu’un supérieur hiérarchique ne lui dit pas uniquement ce qu’il doit faire, mais comment il doit le faire, comment il doit organiser son travail, son temps de travail, etc. Sur base de l’enquête réalisée, le juge a conclu à l’absence de ce lien de subordination.
Qui avait amené ce dossier au Tribunal du Travail ?
A la base, ce sont les inspecteurs de l’ONSS, de la sécurité sociale donc, qui ont démarré une enquête en 2017 déjà. S’interrogeant sur ces coursiers qui étaient soi-disant indépendants. Ensuite, le Ministère public a repris l’affaire et l’a portée au Tribunal du Travail.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le Ministère Public et pourquoi peut-il ainsi décider de se saisir d’une telle affaire ?
Pour faire simple, le ministère public, appelé aussi le parquet, ou encore la magistrature debout, réunit les magistrats qui représentent la société et en défendent les intérêts. Il ne représente donc pas une victime mais il veille à l’application de la loi par les cours et tribunaux. Ce sont les procureurs. Au Tribunal du Travail, on les appelle les Auditeurs. Mais, l’ONSS, les syndicats et 29 coursiers avaient fait intervention volontaire au procès.
Concernant Deliveroo, c’est donc la fin de la saga sur le statut de tous ces livreurs ?
Non pas du tout ! D’abord parce le parquet envisage de faire appel. Et puis parce qu’un jugement n’est pas une jurisprudence : ce n’est pas parce qu’un tribunal, dans un arrondissement, juge dans une direction, qu’un autre ne peut pas avoir une autre interprétation.
De plus, le Tribunal du Travail de Bruxelles a estimé, dans son jugement, que les coursiers ne pouvaient pas bénéficier du régime fiscal favorable de l’économie collaborative. Ce statut permet de ne pas payer de cotisations sociales et de payer de maigres ponctions fiscales. Résultat, ces coursiers s’exposent à présent au paiement de cotisations sociales d’un vrai indépendant. Et donc aussi à des arriérés ! Ce qui est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.
En conclusion, l’affaire est loin d’être terminée ?
En effet. Et le débat sociétal est relancé. Faut-il permettre ces petits boulots souvent complémentaires, et par définition flexibles, mal payés et assurés ? Ou empêcher ces milliers de personnes d’avoir un mini-job pour mettre du beurre dans les épinards ? Qui peut leur imposer un statut que la majorité d’entre eux ne réclame pas et qui risque de leur faire perdre ce revenu complémentaire ?
Et n’oublions pas que les principaux responsables de cette situation, ce sont nous. Nous voulons en effet être livrés rapidement à la maison, pour tout et parfois n’importe quoi… Et ce sont nous également qui ne voudrons probablement pas devoir payer 4 à 5 fois plus cher pour une livraison par des courtiers salariés…
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