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Nos scieries wallonnes vivent un cauchemar: la Chine rachète tout notre bois et les laisse sur la paille

 
 

Les scieries wallonnes ne parviennent plus à se fournir en matière première. En cause: le marché asiatique rachète la majeure partie du bois wallon. De leur côté, les vendeurs, qui sont souvent nos communes, préfèrent vendre à l'Asie plus cher au lieu de réserver une partie du bois pour nos scieries. Derrière cette guerre commerciale, des milliers d'emplois sont en jeu en Belgique. Notre journaliste Guillaume Fraikin a mené l'enquête.

C'est une situation paradoxale: la demande de bois est extrêmement forte, mais les scieries belges ne tournent qu'à 50% de leurs capacités, faute de matière première. Il faut savoir que 90% du bois transformé en Wallonie est du chêne. Un bois qui attire également le marché chinois, puisque très demandé.


Les entreprises chinoises raflent tout

Si les scieries belges ne tournent qu'à la moitié de ce qu'elles pourraient, c'est parce que les entreprises chinoises achètent 80% du bois qui transite par la Belgique. Elles l'achètent à prix d'or aux vendeurs qui, dans la plupart des cas, ne sont autres que nos communes. Le prix proposé par les Chinois est trop élevé pour nos scieries wallonnes, qui ne peuvent pas tenir la concurrence. "Elles ne parviennent pas à donner le prix que peuvent donner les traders pour les bois à destination de l'exportation, principalement vers l'Asie et la Chine", indique Eugène Bays, responsable de la veille stratégique à l'Office économique du bois wallon.

On chôme deux jours semaine en moyenne, alors qu'on pourrait travailler cinq jours semaine et engager dix personnes!

Notre reporter s'est rendu dans la scierie Vica-Bois, à Florennes. Depuis les années 40, la famille Camps transforme du bois à la scierie. Un savoir transmis de génération en génération. Aujourd'hui, la société tourne au ralenti, et Martial Camps envisage même de mettre la clé sous le paillasson. "On chôme deux jours semaine en moyenne, alors qu'on pourrait travailler cinq jours semaine et engager dix personnes!", confie le directeur et petit-fils du fondateur de l'entreprise.

Jusqu'à présent, la scierie est parvenue à résister grâce à un stock de bois. Mais celui-ci fond comme neige au soleil. "Dans six mois on se demande ce qu'on va faire. Quand vous n'avez plus la possibilité d'acheter de la matière première, vous n'avez plus la possibilité de travailler, donc vous ne savez plus rien faire", indique Martial Camps. Au point qu'il ne veut plus que son fils reprenne l'affaire familiale. "C'est triste à dire, c'est triste de se l'entendre dire, mais je lui dirais: 'Ne viens surtout pas, trouve autre chose mais ne t'investis pas là-dedans'", déplore le patron.


Les Chinois achètent notre bois, le transforment… et le revendent chez nous!

Mais ce n'est pas tout, le paradoxe va plus loin: les entreprises chinoises achètent le bois wallon brut, elles le transforment et le réexpédient ensuite... en Europe, où il est vendu en meubles, parquets, etc. à des prix beaucoup plus compétitifs. Un véritable désastre écologique, puisque ce bois pourrait être transformé directement en Wallonie, ce qui éviterait l'aller-retour jusqu'en Chine.


Quelles solutions?

Des solutions existent: les vendeurs, comme les communes, peuvent réserver une partie de leur bois aux scieries locales. Un mécanisme rarement utilisé, puisque les communes préfèrent vendre leur bois plus cher aux Chinois. "Globalement, les scieries pourraient bénéficier d'environ 17.000 mètres cubes de bois qui serait vendu de cette façon, et à l'heure actuelle on tourne autour des 4.000 mètres cubes", précise Eugène Bays, de l'Office économique du bois wallon.


Des milliers d'emplois en jeu

Dans les années 90, le hêtre a connu une situation similaire: importante exportation, difficulté de rivaliser avec les prix proposés par les marchés étrangers et manque de matière première. Conséquence: une seule scierie transforme encore ce bois à l'heure actuelle. "Si la tension sur le marché se fait trop importante, les scieries vont disparaître. Puis à un moment donné on va se retrouver dans une situation de monopole, qui sera extrêmement préjudiciable pour les propriétaires forestiers, c'est certain", explique Eugène Bays.

Si les scieries venaient à disparaitre, ce sont 1.000 emplois directs qui disparaitraient avec elle, mais aussi toute une filière. "En aval des scieries, il y a toute une filière qui emploie énormément de gens. Il y a des menuisiers qui viennent ici chercher du bois, des fabriques de parquet, de meubles… Ces gens-là, s'ils n'ont plus de scierie, ils n'ont plus de matière non plus. C'est peut-être les 1.000 emplois de scierie, mais c'est aussi fois dix ou foix vingt, c'est exponentiel. On sent que l'Asie se dit: 'Si je retire le maillon du dessus, toute la chaîne s'effondre et toutes les portes nous serons ouvertes pour occuper le marché'", conclut Martial Camps.


 

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