La Chine à l’attaque du bois wallon, particulièrement les feuillus. Cette tendance est apparue il y a plusieurs années, mais elle s’accentue… à tel point que les rares scieries wallonnes qui travaillent le chêne n’arrivent plus à s’approvisionner. Le secteur forestier est inquiet et il demande des mesures de protection face à la concurrence chinoise, qui s’est immiscée au cœur des forêts.
Nous nous sommes rendus dans le village de Smuid, à Libin. Dans la salle communale, une vente est en cours. Parmi les acheteurs, des scieries et des négociants. Les montants défilent, c’est la criée d’automne. La vente à laquelle nous assistons se fait en une minute : 100.000 euros pour 41 chênes et 600 hêtres. Ils ont été achetés au prix fort par les Chinois. "C’est un marché mondial, confie Laurent Gobert, négociant en bois. Ils ont besoin d’énormément de matière première, que ce soit pour n’importe quoi. Le bois en fait partie. Et ils mettent un prix supérieur aux scieurs pour l’instant."
Nous nous rendons ensuite dans une scierie wallonne à Morville. Le chêne, elle en a besoin et n’en trouve pas depuis le début du mois. "On commence à se poser des questions, explique Arnaud Lenne, tronçonneur. Parce que si on n’arrive pas à acheter de bois, on va bientôt fermer et qu’est-ce qu’on va faire, nous ? On a des maisons, des crédits, tout ça."
Les Chinois achètent absolument tout
Il y a quelques jours, Martial Camps, patron d'une scierie et membre de la Confédération du bois, est allé à la criée de la botte du Hainaut. Sur 4.500 mètres cube de bois, il n’a rien eu. Tout a été acheté par la Chine. "Ce n’est pas la première vente, c’est comme ça depuis 2/3 mois. Les Chinois achètent absolument tout. C’est impayable. On a augmenté nos prix de 30% et on est encore battu de 40%, donc on ne saurait plus, ce n’est plus possible, nos clients ne suivent plus."
Retour à Libin, aux pieds des arbres qui viennent d’être vendus au négociant à la criée. Les arbres marqués seront envoyés en Chine en conteneurs, pour plus de 15.000 km. Ils reviendront peut-être sous des formes très étonnantes. "Vous risquez plutôt de voir revenir des éléments de plus petites dimensions, plus facilement empilables, déclare Eugène Bays, responsable de la veille stratégique de l’Office économique Wallon du Bois. Éventuellement les bâtons des cornets de glace, par exemple, qui sont faits en hêtre et qui pourraient être faits en hêtre de notre forêt ici."
Le hêtre est peu scié en Wallonie. Pourtant, il y en a, mais Le Belge n’en veut plus. "Est-ce que quelqu’un place encore du parquet, questionne Elise Speybrouck, cheffe de cantonnement à Libin, Division nature et forêt. Est-ce que quelqu’un veut encore un escalier en bois ? Quand les gens vont acheter du bois, est-ce qu’ils font attention si c’est une transformation locale ? Qui va encore à la scierie aujourd’hui pour s’approvisionner ? Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles c’est compliqué aujourd’hui pour les scieurs de pouvoir tenir le coup."
Le secteur demande d'être protégé
Il reste 70 scieurs en Wallonie, seuls 20 transforment encore le chêne. "Nos pays voisins, la France notamment protège ses scieries, en réservant des bois pour elles. L’Allemagne ne vend que le surplus. La Russie vient d’interdire l’exportation de grumes sur la Chine. On demande qu’on fasse quelque chose aussi en Wallonie", explique Martial Camps.
Il y a bien un système de protection. Les propriétaires publics peuvent réserver du bois aux scieries à bon prix. "Ce dispositif existe déjà et peut être activé par les communes pour soutenir aussi les producteurs de bois wallons, assure Céline Tellier, ministre wallonne en charge des forêts (Ecolo). Mais nous discutons avec le ministre de l’Économie pour voir si on doit aller plus loin en matière réglementaire."
Aller plus loin, car sur 50.000 mètres cube demandés, les scieries en ont eu 5.000. Du bois qui échappe à l’export… en théorie. "Certains exportateurs ont acheté des scieries exprès pour pouvoir participer à ces ventes-là, dénonce Laurent Gobert, négociant en bois. Et les bois sont exportés au grand export, donc en Asie. Apparemment, il n’y a pas grand monde qui bouge, alors que c’est connu de tout le monde."
Un système de surveillance est en création. Après la criée, la commune de Libin fait ses comptes et a fait une belle affaire, 1 million et demi d’euros récoltés en une heure, soit 25% des recettes de la commune. Le bois devient de plus en plus précieux.
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