Un procès est actuellement en cours à Bruxelles. Treize prévenus, membres du "Fuel gang", une bande bruxelloise bien connue de la police, sont soupçonnés d'avoir forcé des filles mineures à se prostituer et d'avoir exploité leur débauche. Le ministère public a requis une peine de cinq ans de prison à l'encontre de Younes Z., considéré comme le chef de la bande, et des peines entre 18 mois et quatre ans de prison, avec sursis total ou partiel, pour les autres. L'affaire remonte à janvier 2020, lorsqu'une instruction a été ouverte à Bruxelles après la disparition d'une mineure de 16 ans en France. Des indices et des témoignages montraient qu'elle était arrivée en Belgique et qu'elle y était contrainte à se prostituer. Celle-ci avait été vendue au prix de 2.000 euros par son propre petit ami, avec qui elle était arrivée à Bruxelles en novembre 2019, à des membres du "Fuel gang", bande connue pour des faits de vol et de trafic de drogue. Dans la nuit du 4 au 5 janvier 2020, la police a retrouvé la jeune fille disparue dans le sous-sol d'une maison à Uccle. Plusieurs membres du "Fuel gang" ont été arrêtés, soupçonnés d'avoir forcé et exploité la débauche de cette mineure et de deux autres, après les avoir inscrites sur le site web de prostitution "Quartier rouge".
Lors d'une audience, la défense des auteurs s'est livrée à ce qu’on appelle du "victim blaming" en rejetant la faute sur la victime, a déploré Child Focus. Sa directrice réagit dans une lettre ouverte.
LA LETTRE OUVERTE D'HEIDI DE PAUW, DIRECTRICE DE CHILD FOCUS
"Se défendre est un droit fondamental, rejeter la faute sur les victimes ne l’est pas"
Ceux qui ont suivi l’actualité de ces dernières semaines n’ont pu l’ignorer. L’un des groupes de proxénètes d’adolescents les moins fréquentables, le "Fuel Gang", la bande du square Jacques-Franck à Saint-Gilles, a été traduit devant le tribunal de Bruxelles. Les sept membres de la bande, âgés de 20 à 25 ans, ont décidé de s’emparer de la vie d’une jeune Française de 16 ans. Ou, plutôt, de la détruire et ce, pour de l’argent.
Dans ce procès, Child Focus se constitue partie civile et représente les nombreuses autres victimes non identifiées. Je suis cette affaire de près. Et je suis contente qu’aucune des victimes n’était présente dans la salle. Malgré plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de l’aide aux victimes de traite d’êtres humains, la défense des accusés a réussi à me faire tomber à la renverse. Mon indignation s’est embrasée à l’écoute de leur version des faits.
Ordre du jour
Les accusations sont graves. C’est une affaire effroyable, mais malheureusement courante, de proxénète d’adolescent. En 2018, une dispute dégénère dans la classe de R. Elle décide alors de s’enfuir de chez elle, avec son petit ami. Ils arrivent à Bruxelles. La bande décide d’acheter R à son petit ami. Vous avez bien lu… "Acheter"?! Une adolescente… en échange de drogue et d’argent en liquide pour une valeur de 2.000 euros. Le petit ami s’est volatilisé, et la jeune fille a été séquestrée. De la traite d’êtres humains au sens propre.
Une période atroce d’exploitation sexuelle s’en suit pour R. Enfermée et privée de son smartphone, elle comprend très vite ce qui l’attend lorsque son lieu de résidence, la cave, est aménagé pour recevoir des "clients". La jeune fille est également emmenée dans des hôtels. Elle avait à peine 16 ans, mais elle était enfermée et exploitée pour de la prostitution.
R a été décrite comme une jeune fille dépravée, sans aucun sens des valeurs ou des normes
Ordre dans la salle d’audience
Je passe les détails, nous nous retrouvons dans la salle d’audience, où je suis véritablement interloquée. Pourquoi?? Parce que nous sommes en 2021, et que les avocats de la bande font tout leur possible pour rejeter la responsabilité de cette affaire sur une jeune fille de 16 ans. Une victime de 16 ans. R a été décrite comme une jeune fille dépravée, sans aucun sens des valeurs ou des normes. Les photos d’elle dénudée qu’elle aurait publiées, ou les messages à caractères sexuels qui auraient été envoyés en son nom sont censés justifier les actes épouvantables de la bande. Elle se serait mise toute seule dans cette situation, par manque de morale ou d’éducation. Après tout, elle l’a bien cherché. L'un des avocats de la défense a même osé qualifier les inculpés de "protecteurs", moi je les qualifie sans scrupule de proxénètes, de trafiquants d'êtres humains qui ont exploité sans pitié la vulnérabilité d'une adolescente.
Et ceci, chers lecteurs, est l’exemple parfait pour illustrer ce qu’on appelle le "victim blaming" ou rejet de la faute sur la victime. Réduire de manière révoltante la victime au rang de coupable. Une jeune fille de 16 ans enfermée, droguée, forcée à se prostituer, humiliée et exploitée… l’aurait cherché?? L’aurait choisi?? Je pense que c’est la pire façon de défendre des auteurs.
La position injustifiable
Bien entendu, tout le monde a le droit de se défendre ou d’être défendu. Même les suspects d’actes les plus effroyables. Mais jusqu’où pouvez-vous aller en tant qu’avocat dans une telle attitude insultante envers une victime incontestable?? Et ce, alors que les suspects, sans aucune culpabilité, ne montrent même pas une once de remords pour des actes qu’ils ont commis.
Faire tout son possible pour un client. Je l’entends bien. On peut, et il le faut, mettre un point d’honneur à ce que toute personne bénéficie d’un procès équitable. Et même si dans ce procès, les avocats n’avaient pas tous de mauvaises intentions. Un voire deux peuvent suffire à faire sombrer une victime. Réduire les victimes au rang de coupable, les trainer dans la boue, c’est malhonnête et irresponsable. Ce n’est pas équitable. Le droit de se défendre ne donne pas le droit de rejeter la faute sur la victime. Détruire une victime une fois, deux fois, trois fois et plus encore pour défendre des actes odieux n’est pas un droit. C’est là que je pose mes limites.
Laissez-moi donc être claire une bonne fois pour toutes. Peu importe si les jeunes filles ont une apparence d’adulte, si elles ont des comportements suggestifs… Cette forme d’exploitation sexuelle est épouvantable pour chaque mineur qui la subit. Se prostituer volontairement n’est pas une affaire de mineurs. C’est de l’exploitation sexuelle. Du viol. De la violence. De la traite d’êtres humains. Aucune photo sexy ne pourra me convaincre (ni moi, ni les juges je l'espère) du contraire.
Heidi De Pauw, CEO Child Focus.
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