Jeudi, la Chambre a finalement rejeté la demande de levée de l’immunité parlementaire du député PS Alain Mathot, qui est inculpé par la justice liégeoise depuis 5 ans. Ce midi sur le plateau de C’est pas tous les jours dimanche, la députée PS Karine Lalieux a expliqué pourquoi les politiciens avaient pris cette décision de protéger M. Mathot. Pour un journaliste spécialiste de l’affaire, ce rejet de la levée de son immunité met un terme à la procédure judiciaire contre le bourgmestre de Seraing, alors que selon lui, comme selon le MR, il y avait matière à poursuivre ce dernier en justice.
Jeudi, l'assemblée plénière de la Chambre a approuvé par 81 voix pour et 49 voix contre (8 abstentions) les conclusions de la commission des poursuites appelant au rejet de la demande du Parquet général de Liège de lever l'immunité parlementaire du député-bourgmestre de Seraing Alain Mathot, inculpé pour corruption. Le PS, le sp.a, la N-VA et l'Open Vld ont voté en faveur des conclusions, alors que le MR, le CD&V, les écologistes, le PTB et le VB ont voté contre. N'étant pas représenté en commission, le cdH s'est abstenu.
Pourquoi? Car l'instruction ne semblait pas impartiale, politiquement parlant
Karine Lalieux, députée PS et membre de la commission des poursuites de la Chambre, a expliqué pourquoi cette commission s’était, en majorité, prononcée contre la levée de l’immunité du député. "L’immunité parlementaire n’est pas là pour protéger un individu, un parlementaire, mais pour protéger et garantir le bon fonctionnement de l’institution parlementaire dans le cadre d’un équilibre des pouvoirs entre exécutif, législatif et judiciaire. Nous ne nous prononçons pas du tout sur la culpabilité ou l’innocence de M. Mathot. Et comme M. Vuye l’a dit à la tribune, le parquet peut revenir, rouvrir une instruction, et redemander la levée d’immunité parlementaire de M. Mathot. Nous travaillons sur la forme du dossier. Nous devons voir si l’impartialité, l’indépendance, les principes de droit, les principes constitutionnels, ont été correctement respectés. C’est à savoir s’il n’y avait pas de motif politique derrière l’instruction. Il est mis dans le rapport qu’il y avait des partialités, que le dossier avait été fait à charge, qu’il y avait des fuites orchestrées à des moments importants de la vie politique de M. Mathot et de Liège. Qu’il n’y a jamais eu de poursuite par rapport aux plaintes de M. Mathot par rapport à ces fuites orchestrées. Que chaque acte judiciaire posé, perquisition ou autre, était dans des moments importants de la vie politique. Et cette instruction n’a pas duré deux ans, mais elle a duré 8 ans ! Tous ces éléments ont fait dire à une large majorité de ce parlement qu’il y avait des motifs politiques et une impartialité dans l’enquête judiciaire. Voilà pourquoi nous n’avons pas levé l’immunité de M. Mathot."
"Il y avait des éléments suffisants pour laisser la justice faire son travail"
Pour Denis Ducarme, le chef de groupe MR à la Chambre et lui aussi membre de la commission des poursuites de la Chambre, cette justification ne suffit pas à empêcher la justice de poursuivre Alain Mathot. "Nous estimions au niveau du MR que quelles que soient les remarques qui puissent être faites, il y avait les éléments suffisants -compte tenu aussi du nombre de chefs d’inculpation très nombreux- pour laisser la justice faire son travail. Je regrette un autre élément : L’immunité parlementaire reste justifiée, mais c’est un mauvais signal qui pourrait être interprété par les citoyens comme une volonté des politiques à se protéger entre eux. Nous avons été 50 à voter contre ce rapport."
Un mauvais rapport de la commission?
Quant à David Leloup, un journaliste indépendant spécialiste du dossier, qui a analysé le rapport de la commission des poursuites de la Chambre, il n’est pas tendre avec celui-ci: "Il est biaisé à l’avantage de la défense de M. Mathot dans le sens où il a eu l’occasion d’être auditionné à deux reprises par la commission alors que la justice liégeoise, le parquet, n’a eu droit qu’à une seule audition. Dans le rapport, ça se traduit concrètement. Il y a 4 pages et demi de conclusions qui viennent directement des avocats de M. Mathot, qui sont quasi copiées-collées, et en face on a une page et demi. Donc il y a 3 fois plus d’espace accordé à la défense de M. Mathot. Je trouve ça un peu surprenant. Et il y a une erreur factuelle. Page 7, il est précisé que seul M. Mathot aurait été inculpé fin 2011 et tous les autres pratiquement 2 ans plus tard. C’est totalement faux. Il y avait 5 personnes qui ont été inculpées fin 2011. Un journaliste rendrait une telle copie, il se ferait saquer."
L'affaire de la cascade de fausses factures pour louer un yacht
La justice liégeoise peut encore reprendre l’instruction et redemander une levée d’immunité, mais "ils ont déjà dit qu’ils ne le feraient pas", ajoute M. Leloup, visiblement bien informé. Pourtant, selon lui, il y a des éléments à charge particulièrement interpellants contre Alain Mathot. "Un des points les plus à charge de M. Mathot, qui mériterait à lui seul qui puisse se retrouver sur un tribunal pour se défendre, est le fait qu’à l’été 2008, M. Léon-François Deferm, qui a pris Alain sous son aile, a loué via une société panaméenne, qui s’appelle Carthright corporation, pour 32.000 euros, un yacht sur lequel Alain Mathot a séjourné pendant une semaine à la Côte d’Azur. L’enquête a démontré que cet argent venait d’Inova, par une cascade de fausses factures. Inova, qui a construit l’incinérateur, a reçu des fausses factures d’une société belge créée depuis Zurich par une fiduciaire basée à Spa, cette Spadoise elle-même a reçu des fausses factures qui venaient du Liechtenstein et l’argent s’est retrouvé in fine sur un compte au Luxembourg de M. Deferm."
Pour rappel, Alain Mathot est inculpé de corruption passive et blanchiment d’argent dans le cadre de l’affaire Inova. Il soupçonné d’avoir touché 700.000 euros de pots de vin pour que cette entreprise française obtienne le marché public de la construction de l’incinérateur Intradel à Herstal.
Vos commentaires