Derrière la procédure judiciaire, derrière les prévenus, derrière les attentats, il y a d'abord des victimes innocentes. Mortes, blessées, estropiées ou traumatisées. Nous avons rencontré trois "survivants" quatre ans et demi plus tard. Comment vivent-ils aujourd'hui ?
"Les assureurs se foutent de nous"
Comme de nombreux rescapés des attentats du 22 mars 2016, Abdallah Lahlali dénonce la manière dont il est traité par les compagnies d’assurance. Ce père de famille de 41 ans n’en peut plus de se battre : "Je passe mon temps à téléphoner à gauche et à droite, car mon salaire de remplacement n’a pas été versé ou car tel médicament n’est soudainement plus remboursé. C’est mon quotidien depuis 5 ans", affirme-t-il. Grièvement blessé lors de l’attentat de l'aéroport de Bruxelles, il a dû être amputé de la jambe gauche. Il travaillait comme bagagiste, aux côtés de son ami et collègue Manuel Martinez qui a lui aussi été lourdement atteint.
Manuel a déjà subi 32 opérations, dont la dernière en septembre dernier. Il dresse le même constat : "Les assurances se foutent de nous, on nous traite comme des animaux."
A chaque convocation chez les experts médicaux, les deux hommes se sentent humiliés et incompris. Abdallah explique : "Les assurances m’envoient chez des médecins orthopédistes à Liège, à Tournai, comme une marionnette. Pourtant, ils ont déjà toutes les informations dans mon dossier. J’ai perdu ma jambe, elle ne va pas repousser. Pourquoi est-ce qu’on continue à m’envoyer aux 4 coins du pays ? Je n’en n’ai pas vu assez dans ma vie ?"
Ces démarches à répétition leur prennent du temps et de l’énergie alors que ces rescapés peinent à se reconstruire. Pour eux, impossible de tourner la page. Ils reprochent à l’Etat belge de les avoir abandonnés aux mains des assurances. "La Belgique nous a oubliés, on veut que l’Etat prenne ses responsabilités et nous aide", explique Manuel.
Ce sentiment est partagé par la grande majorité des rescapés du 22 mars. Valérie Gérard est l’avocate de Life4Brussels, l’association qui représente les victimes : "Certains ont décidé d’abandonner leurs droits ou d’accepter les accords d’indemnité sans contester car les démarches sont longues et complexes. Sans compter les frais pour engager des procédures judiciaires…" Elle rappelle qu’il n’existe pas un fonds unique d’aide aux victimes, mais une multitude d’interlocuteurs : "Il y a les assurances, la commission d’aide aux victimes, les dédommagements moraux, les pensions… Même pour un juriste, c’est très complexe."
La Belgique fait figure de mauvais élève au sein de l’Union Européenne. Elle ne met pas pleinement en œuvre les directives en matière de droits, de soutien et de protection des victimes d’attentat. Parmi les points les plus problématiques : l’information aux victimes. "La grande majorité d’entre elles n’ont pas été correctement informées de leurs droits. Certaines victimes nous contactent seulement aujourd’hui !", explique l’avocate.
Près de 5 ans après les attentats du 22 mars 2016, les survivants et leurs proches continuent de réclamer une meilleure reconnaissance de leur situation. C’est, disent-ils, une étape essentielle à leur reconstruction.
Sébastien Bellin s’apprêtait à prendre l’avion pour rejoindre sa femme et ses deux filles aux Etats-Unis. Il était au comptoir d’enregistrement de l'aéroport de Bruxelles lorsque les bombes ont explosé le 22 mars 2016. L’homme, grièvement blessé aux jambes et à la hanche, s’est battu pour ne pas être amputé. Il a subi une dizaine d’opérations, consistant notamment à lui placer des broches en acier au niveau des membres inférieurs. Depuis, il a perdu toute sensation dans la jambe gauche.
Sur son lit d’hôpital, Sébastien s’est promis qu’il remarcherait un jour. Aujourd’hui, il court. Et même plus encore : il s’entraîne pour l’Ironman d’Hawaï l’an prochain, un triathlon particulièrement intense qu’il espère réaliser en moins de 13 heures. Pour relever ce défi à peine croyable, il s’entraîne tous les jours : "Je ne sais plus courir aussi vite, je suis limité dans certaines fonctionnalités. Par contre, mon mental est un peu plus fort."
Le sport a toujours eu une place essentielle dans sa vie. Ancien basketteur professionnel, Sébastien Bellin a évolué pendant 15 ans en Italie et dans les grands clubs belges. En 2018, il a aussi été manager général des Spirou de Charleroi.
Parallèlement à ses entrainements, Sébastien Bellin multiplie les projets. Il s’attèle actuellement au développement d’une application qui ambitionne de révolutionner l’écosystème du sport. Pour y parvenir, il a fondé la start-up Appimonkey avec un jeune entrepreneur liégeois.
Dans toutes les facettes de sa vie, Sébastien Bellin veut transformer ce qu’il a vécu en énergie positive : "La vie m’a donné une deuxième chance, j’ai connu une expérience extrême qui m’a changé." Le quadragénaire est parvenu à accepter et à surmonter son handicap, mais le combat n’a pas été simple : "J’ai d’abord vécu deux années intenses de remise en question et de doutes quant à ma convalescence". Aujourd’hui, Sebastien Bellin dit avoir trouvé un équilibre. Il ne se considère pas comme une victime des attentats, mais comme un survivant.
Le 22 mars 2016, Cindy Bulinckx conduisait le métro qui arrivait dans le sens inverse à la rame qui a explosé dans la station Maelbeek. Elle a vu l’explosion, les corps, les débris. Des images qui la hantent encore aujourd’hui. "Psychologiquement, ça reste très difficile car si ma rame était arrivée quelques secondes plus tôt, je ne serais plus là." Cette mère de trois enfants souffre toujours d’insomnie sévère. Elle ne parvient à trouver le sommeil que lorsqu’elle est au bord de l’épuisement.
Au moment de l’explosion, la Jodoignoise a été blessée au niveau de la nuque. Elle en garde des difficultés pour porter des objets lourds ou rester longtemps en position assise. Cindy était conductrice de métro depuis 15 ans. Aujourd’hui, elle n’arrive plus à prendre les transports en commun comme avant : "Ça reste très stressant, même si je prends un calmant ou si je suis accompagnée de quelqu’un qui m’est cher."
Autre difficulté pour elle : se rendre à Bruxelles. "Je n’y vais que lorsque j’y suis contrainte et forcée". Ironie du sort, elle y est régulièrement convoquée par les experts des assurances chargées de son dossier d’indemnisation post-attentat.
Ces rendez-vous sont, à chaque fois, particulièrement pénibles. "Les experts se renvoient la balle depuis bientôt 5 ans. Je passe mon temps à répéter la même chose alors qu’ils ont tout dans mon dossier, cela tourne en rond". Comme beaucoup d’autres victimes des attentats de Bruxelles, Cindy déplore l’attitude des assurances : "C’est vraiment dur à vivre, ça nous empêche de tourner la page. Mais je suis obligée d’aller aux rendez-vous sinon on va me dire que je ne suis pas une vraie victime."
De conductrice de métro à magasinière
La quadragénaire a repris le travail environ 6 mois après les attentats de Bruxelles, toujours au sein de la STIB. "L’assurance du travail a confondu mon dossier avec celui d’une autre employée de la STIB. En septembre 2016, j’ai reçu un courrier m’informant que l’assurance ne pouvait plus me prendre en charge", dit-elle. Ses supérieurs lui ont alors proposé un poste de secrétaire, mais Cindy tombe en dépression quelques mois plus tard. Cette fois, son incapacité de travail n’est pas considérée comme étant liée aux attentats. C’est donc la mutuelle qui prend le relais, son indemnité est alors nettement moindre. Aujourd’hui, Cindy occupe une place de magasinière à la STIB. Un job qu’elle effectue du mieux qu’elle peut, même si le cœur n’y est pas toujours.
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