Environ 4.000 soignants francophones ont manifesté ce mardi contre l’obligation vaccinale des soignants qui va bientôt entrer en application. Pourtant, certains hôpitaux ont déjà annoncé qu’ils n’écarteraient pas les membres de leur personnel qui refusent l’injection, alors que la nouvelle réglementation va l’imposer. Actuellement, 10% des soignants ne sont pas vaccinés, surtout à Bruxelles et en Wallonie. Cela signifie que les effectifs vont venir à manquer au sein du personnel soignant. Et ce manque de bras risque d’avoir de lourdes conséquences.
Dans notre pays, 9 soignants sur 10 sont vaccinés (90% contre 10% de non-vaccinés). Plus précisément, 94% en Flandre, 84% en Wallonie et 73% à Bruxelles. Mais l'obligation vaccinale les guette : le ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke a déposé un projet de loi en ce sens, avec à la clé une sanction envers les soignants non-vaccinés en les licenciant. Pour le moment, la loi n'est pas encore passée et sera discutée prochainement au parlement.
Cette obligation vaccinale était l'un des débats de l'émission "C'est pas tous les jours dimanche" ce midi. Pour en débattre, plusieurs intervenants étaient les invités de Christophe Deborsu. Parmi eux, Didier Delval, directeur du réseau Chwapi (ndlr, Centre Hospitalier de Wallonie Picarde), Nathalie Lionnet, secrétaire fédérale et membre du syndicat socialiste Setca, et Emmanuel André, médecin biologiste à KULeuven.
Les hôpitaux manquent déjà de personnel : peuvent-ils se priver de 10 % des soignants ?
Pour le personnel soignant belge et les syndicats, la vaccination obligatoire qui vise uniquement le personnel médical, ce n'est pas "cohérente": "Nous sommes pour l’obligation vaccinale mais nous trouvons que la cible du soignant est beaucoup trop restreinte. Il faut élargir la cible de l’obligation vaccinale et la sortir d’une sanction qu’est le licenciement. C’est déconnecté de la réalité. Ce serait plus cohérent en termes de santé publique", estime Didier Delval. Pour lui, cette proposition de loi est absurde : "Nous sommes déjà en personnel restreint avec environ 15% d’absentéisme, et donc rajouter à ça 10% de soignants en moins, c’est insupportable !"
Le directeur du réseau Chwapi va encore plus loin puisqu'il a déclaré qu'il n'écarterait pas le personnel qui refuse la vaccination, estimant que les hôpitaux sont déjà suffisamment sous pression pour venir en rajouter, a-t-il expliqué sur le plateau de l'émission : "Je ne les écarterai pas parce qu’il est nécessaire d’avoir l’ensemble des troupes au chevet des patients. Se priver d’une dizaine de pourcent du personnel soignant, c’est vraiment mettre en grave danger la continuité des soins par rapport à un bénéfice minime".
Pour lui, le virus viendrait plutôt de l’extérieur avec les visites que de l’intérieur et des soignants. Il explique que ce sont les visiteurs qui font entrer le virus dans les hôpitaux, et ne comprend donc pas ce projet de loi qui vise uniquement le personnel médical : "Le personnel soignant connaît les mesures de protection. On est équipé pour protéger le patient. Nous avons aussi remarqué dans notre institution, et c'est aussi le cas en France, que nous avons eu 6 clusters après avoir rouvert les visites. Nous avons donc supprimé les visites. Depuis lors, nous n’avons plus de clusters", détaille-t-il. Puis, il précise : "D’ailleurs, quand nous avons eu ce cluster, nous avons testé l’ensemble de nos collaborateurs des unités de soins concernées, 5 étaient positifs et c’était 5 vaccinés et non pas des non-vaccinés".
Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des travailleurs alors que nous ne sommes plus en capacité
Nathalie Lionnet, secrétaire fédérale et membre du syndicat socialiste Setca rejoint son avis : "La question fondamentale n’est pas de connaître le statut vaccinal des gens qui sont au chevet des patients et des résidents, mais c’est surtout de savoir qui sera à leur côté ! On ferme tous les jours des lits, on ferme des services de soins infirmiers à domicile – ceux qui vont au plus près de la population. Nous avons des gens qui, aujourd’hui, n’ont pas accès aux soins de santé ! Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des travailleurs alors que nous ne sommes plus en capacité", s'est-elle indignée.
Pour elle, ce sont des mesures de fond qu'il faut prendre, des mesures de santé publique qui protègeront l'ensemble de la population, patients et soignants. Elle explique que la cible des soignants n'est pas la bonne : "Si le vaccin est l’outil fondamental, le débat doit se passer au niveau politique en termes de santé publique. Mais la santé publique aujourd’hui, c’est de soigner les patients, c’est l’engagement que nous avons pris. Il faut le personnel pour ça et ne pas écarter quiconque ! Ne voyez pas dans la non-vaccination des soignants, une justification de l’inutilité du vaccin. Ce n’est pas ce que nous disons et c’est même une insulte pour les travailleurs de les réduire à des anti-vax. Ce n’est pas ça", a-t-elle martelé.
Les hôpitaux sous pression
Pour Emmanuel André, médecin biologiste à KULeuven, enlever même 2% du personnel soignant serait suffisant pour accentuer la tension à laquelle le personnel doit déjà faire face, et ce, même avant l'épidémie de coronavirus, explique-t-il : "Dans les hôpitaux néerlandophones du pays, il y a plus de personnel vacciné. Le problème est plus faible mais il ne faut pas penser que si on se sépare de 1%, 2% ou 3% des soignants, ça ne fait rien. C’est déjà trop !"
Pour le microbiologiste, le problème est plus global et émane d'un système qui n'a pas assez investi dans les moyens et les réels besoins des hôpitaux ces dernières années : "Les systèmes de soins sont sous tension. Nous sommes héritiers d’un système qui a trop peu investi dans le personnel infirmier, il faut apporter de vraies solutions durables aujourd’hui", a-t-il conclu.
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