L'épidémiologiste Simon Dellicour était présent sur le plateau du RTL INFO 13h pour commenter les dernières mesures prises par le comité de concertation de ce vendredi 23 octobre. Selon lui, ces mesures représentent une opportunité manquée d'envoyer un signal fort. Les nouvelles dispositions auraient dû être plus strictes.
CORONAVIRUS EN BELGIQUE: LES NOUVELLES MESURES
- Luc Gilson : Vous avez, vous aussi, découvert ces nouvelles mesures. Elles vous paraissent suffisantes, compte-tenu de la situation sanitaire aujourd'hui en Belgique ?
Simon Dellicour : Mon sentiment, c'est qu'on prend des risques. J'ai peur que ce matin on n'ait pas été assez loin, qu'on ait pas saisi l'opportunité d'envoyer un électrochoc pour provoquer un rebond de la conscience collective et de l'effort collectif parce que ces deux aspects seront cruciaux pour éviter justement de de crever le seuil de saturation. Ma crainte, c'est que si les mesures sont encore durcies la semaine prochaine parce qu'on se rend compte que il n'y a pas de fléchissement de la courbe par rapport aux mesures qui ont été prises il y a 5 à 7 jours, ce sera en fait trop tard.
- Est-ce que vous pensez qu'il aurait fallu reconfiner ?
C'est très dur. Le confinement c'est une question de vocabulaire. Je ne vais pas discuter des mesures au cas par cas, mais c'est aussi une question de ton, d'attitude, de message. Je pense qu'il fallait envoyer un électrochoc beaucoup plus fort avec des mesures plus strictes. C'est difficile de juger quels secteurs, quelles vannes, il faut fermer parce qu'il y a plusieurs secteurs : il y a le secteur professionnel, les loisirs, le sport... D'une certaine manière ce n'est pas vraiment une question épidémiologique : on un certain "budget" de contact total qu'on peut se permettre, et pour le moment, on constate qu'on est bien au-delà de ce budget et qu'on n'arrive pas infléchir la courbe. Donc oui, je pense que ne serait-ce qu'au niveau du symbole, les mesures auraient dû être plus fortes.
- Plus générales, alors, peut-être moins ciblées sur certains secteurs comme on l'a vu ?
Voilà, mais c'est très dur de parler de cas par cas, et je reconnais tout à fait que la tâche des décideurs politiques et très compliquée, parce qu'ils sont obligés de faire des choix socio-économiques. Maintenant, si tout avait été un peu plus dur pour l'ensemble des secteurs, ça aurait évité aussi des discussions, style "pourquoi on laisse telle vanne ouverte et pas l'autre ?" Il y a une opportunité manquée ce matin et on prend des risques. On aurait dû mieux, sur le plan strictement épidémiologique, qu'on prend des risques parce que la situation la semaine prochaine sera beaucoup moins contrôlable.
Les maisons de repos
- On les pensait "mieux protégées", depuis la première vague. Mais la situation dans les maisons de repos redevient, à nouveau, préoccupante ?
Ça m'étonne que cela étonne, parce qu'on le sait, même si les contaminations ont d'abord augmenté au niveau des tranches d'âge qui sont plus jeunes, on sait qu'il y a un phénomène de diffusion et que même s'il y a un temps de latence ça finit par atteindre les personnes les plus âgées. Même s'il y a une forme de sécurité qui est plus importante maintenant que lors de la première vague, on sait que ça finit par arriver chez eux. Donc s'il y a une augmentation de la circulation du virus en Belgique à un moment ou un autre ça va finir par arriver chez eux.
- On aurait pu empêcher ça et tirer les leçons de la première vague ?
Des leçons ont été tirées, en partie, et je pense qu'il y a il y a toute une série de choses qui ont été mises en place au niveau des maisons de repos. Maintenant, c'est malheureusement inéluctable : s'il y a une augmentation de la circulation, à part fermer les maisons de repos on n'a pas vraiment d'autres d' autres outils pour éviter que ça rentre dans la maison de repos. Après, une fois que c'est rentré dans la maison de repos, bien sûr qu'il y a de toute fin toute une série d'opérations qui peuvent être mises en place pour éviter que ça passe de chambre en chambre. Mais s'il y a une circulation accrue, toutes les tranches d'âge finissent à un moment ou un autre par être exposées.
Les régions les plus touchées
- Comment expliquer que le taux de contamination soit plus élevé aujourd'hui à Bruxelles et en Wallonie qu'en Flandre ? Yves Van Laethem disait même ce matin que ce sont les régions d'Europe les plus touchées. Comment on explique ça ?
Je n'ai pas vraiment la réponse à cette question. On a pu constater pendant l'été que c'était plutôt à Anvers, puis c'est redescendu dans le sud du pays...
- C'est cyclique ?
Je pense que c'est une question importante, mais aujourd'hui je n'ai pas la réponse.
À quand un effet des nouvelles mesures ?
- On parlait tout à l'heure d' un possible reconfinement, vous disiez qu'il aurait fallu aller plus loin. À partir de quand exactement est-ce qu'on pourra dire, en regardant les chiffres quotidiens, que les mesures commencent à avoir de l'effet ?
Plutôt 10 jours. Ces mesures qui sont entrées en vigueur lundi, donc c'est-à-dire concrètement la fermeture de l'Horeca, et aussi de favoriser le télétravail, on ne saura que milieu de semaine prochaine, voire fin de semaine prochaine, si ça a un effet. Ceci dit, je vais être un peu pessimiste par rapport à ça pour l'Horeca, on ne sait pas. Je pense que l'Horeca est malheureusement une sorte de tache aveugle parce que c'est une décision qui a été prise sans que des chiffres nous indiquent que c'est un foyer de contamination. Je ne dis pas qu'il ne fallait pas le faire, ça c'est autre chose. Par contre, pour le télétravail, qui était censé redevenir la norme, on sait par rapport à l'analyse de données de mobilité que le comportement des gens a à peine changé. Donc il n'y a pas eu tellement plus de télétravail suite à la mise en place de cette mesure.
Le télétravail
- Cette mesure-là n'est pas respectée, aujourd'hui ?
Elle n'est pas respectée ou n'a pas été suivie, je je ne veux pas rentrer dans la stigmatisation. Je pense qu'aujourd'hui, on parlait d'opportunités manquées, et le télétravail ça doit être clairement la mesure numéro 1, surtout si on veut que les écoles restent ouvertes, et c'est très important si on écoute les spécialistes de l'enseignement, de l'éducation et les psychiatres. Mais c'est une vanne : on sait qu'il y a des transmissions, et si on laisse cette vanne ouverte on n'a pas le choix aujourd'hui, on doit fermer d'autres vannes. Pour pouvoir contrebalancer cette ouverture, le télétravail me paraît essentiel. Tous ceux qui ne doivent pas se rendre sur leur lieu de travail, qui peuvent le faire depuis chez eux, qu'ils le fassent à partir d'aujourd'hui.
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