Depuis trois mois, les vols de câbles se succèdent à un rythme effréné, quasi quotidien. Rien n'arrête les malfaiteurs qui profitent de la situation de la Belgique, en particulier de la zone frontalière en province de Liège. Ils utilisent les grands moyens pour dérober des kilomètres et des kilomètres de câbles. La police assure en avoir fait sa priorité n°1.
"Voici presque trois semaines que les trains entre Liège et Bruxelles ont du retard à cause des vols de câbles. J'ai accumulé presque autant de retard en trois semaines que sur toute une année", témoignait Yves, un navetteur, via le bouton orange Alertez-nous mardi matin. Quelques heures plus tôt, dans la nuit, un vol de câble s'était produit sur la ligne à haute vitesse à hauteur de Landen (est du Brabant flamand, à proximité de la province de Liège), entraînant une déviation du trafic sur la ligne normale entre Liège, Louvain, et Bruxelles, ce qui a provoqué d'importants retards qu'Yves et bien d'autres ont subis. La semaine précédente, des câbles avaient été dérobés sur la même ligne sur plus de 2,6 kilomètres. "Il s'agit d'un record en ce qui concerne la quantité de câbles volée", avait alors précisé Arnaud Reymann, porte-parole d'Infrabel, le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire.
Trois mois de dépouillement presque quotidien
Depuis le début de l'année, 199 faits de ce type ont été relevés. Mais c'est surtout depuis le mois de juin que la situation est devenue d'une gravité presqu'inédite. "Du mois de janvier au mois de juin 2018, on comptabilisait moins d'une vingtaine de minutes de retard par jour liée au vol de câbles sur tout le réseau belge. Depuis le mois de juin, on est passé à plus de 3 heures et demi. On a davantage de vols de câble entre juin et maintenant que sur toute l'année dernière", expose Arnaud Reymann que nous avons au téléphone et dans la voix duquel on sent la colère face au phénomène qui se répète inlassablement, impunément, inéluctablement. Il ne se passe presque pas un jour sans qu'il y ait un vol de câbles.
Des retards et beaucoup d'argent
Ces vols créent des retards. Ils coûtent aussi énormément d'argent en réparation. "Le prix du câble varie entre 3 et 5 euros du kilo, les câbles ayant des tailles et gabarits différents. Grosso modo, pour Infrabel, en dehors du coût de ce vol, on parle de 15.000 à 25.000 euros de perte de vol de câbles par nuit en comptant notamment la main d'oeuvre qui doit venir la nuit", chiffre le porte-parole.
Ce sont des gens qui ont réfléchi à la méthode pour prendre vite et beaucoup
Une seule et même bande ?
Plusieurs indices semblent indiquer que notre réseau ferroviaire est à la merci d'une seule et même bande venue d'Europe de l'est. "Il s'agit vraisemblablement d'une bande organisée voire deux au maximum car le mode opératoire est identique à chaque fois. Ces voleurs viennent des pays de l'Est. Il y a des preuves comme des véhicules volés en Pologne qui ont été laissés sur place, des cartes d'identité laissées sur place et de très nombreux témoignages de gens qui ont vu les plaques des véhicules qui partaient", explique le porte-parole d'Infrabel. La bande opère avec une "méthode industrielle", selon Arnaud Reymann. "Ce sont des gens qui ont réfléchi à la méthode pour prendre vite et beaucoup, et faire un maximum de dégâts en passant", dit-il. Il nous décrit le modus operandi.
"On part du principe qu'ils opèrent des repérages, ils connaissent très bien notre réseau ferroviaire, ils préparent leur vol, ils observent, ils surveillent, regardent si en ce moment il y a des patrouilles de police ou pas. Et puis ils frappent, venant avec des véhicules volés qu'ils abandonnent. Dès qu'ils ont frappé, ils s'en vont immédiatement vendre dans un pays à l'étranger", décrit, amer d'impuissance, le porte-parole. Il y a cinq ans, la Belgique était parvenue à contrer une vague importante de vol de câbles en interdisant sur notre territoire l'achat de métaux en argent liquide par les ferrailleurs. Mais aujourd'hui, le cuivre des câbles est vendu à l'étranger.
Des camions 4x4 puissants qui arrachent tout
Mais comment n'arrive-t-on pas à empêcher ces malfaiteurs de voler ces énormes quantités de câbles? Infrabel a essayé différents moyens: des boucles de sécurité pour attacher fermement le câble au sol ou encore remplacer le cuivre par l'aluminium. Cela n'a en rien arrêté la bande criminelle. Elle vole l'aluminium comme le cuivre. Quant aux boucles, elles ne résistent pas aux "méthodes industrielles" qu'Arnaud Reymann nous décrit. On est loin de l'amateur qui sectionne un câble avec une pince. "Ils viennent avec des méthodes de traction, des camions 4x4 équipés de treuil. Ils sectionnent à deux endroits différents et treuillent les câbles avec une puissance et une force telle que les caniveaux dans lesquels ils se retrouvent sont cassés et les câbles sortent du lit dans lequel ils sont. Ou alors, ils attachent les câbles volés à un camion 4x4 puissant qu'il lance à fond dans un champ à vitesse maximale pour arracher tout ça", raconte le porte-parole.
Face à une telle puissance, ne reste que la solution du désespoir comme la qualifie notre interlocuteur: couler carrément du béton sur les câbles. Mais, c'est se tirer une balle dans le pied car comment y accéderont les techniciens en cas de problème?
Désormais la priorité n°1 pour la police
À vrai dire, il n'y a qu'une solution. Arrêter la bande. Infrabel a rencontré à plusieurs reprises la police. Celle-ci a assuré faire de la neutralisation de cette bande sa priorité. "On attend de voir les résultats. Force est de constater que ces vols se poursuivent", soupire le porte-parole en espérant que si les forces de l'ordre interpellent les voleurs, les peines seront exemplaires et dissuasives. Dans le passé, un juge avait condamné des voleurs à plusieurs années de prison ferme. D'autres se sont montrés plus indulgents, avec des peines d'emprisonnement avec sursis.
Pourquoi la Belgique et surtout la région de Liège ?
Mais pourquoi notre pays est-il une cible privilégiée? Et pourquoi essentiellement la Wallonie?
"C'est principalement la zone frontalière tout autour de Liège. Parfois, ça descend jusqu'au Namurois et le long de l'autoroute E411. Ce sont à chaque fois des endroits quasi frontaliers, ou des endroits situés près d'une route nationale ou une autoroute qui permet aux voleurs de se retrouver quelques instants plus tard à l'étranger. Pourquoi pas la Flandre puisqu'elle a, elle aussi, malgré tout, un réseau frontalier? En fait, au nord du pays, la population est plus dense et il y a moins d'endroits où les voleurs peuvent sévir à l'abri des regards", explique Arnaud Reymann.
Mais peu importe la situation géographique, le phénomène a atteint des proportions presqu'humiliantes pour nos autorités tant celles-ci semblent impuissantes. Quant à la SNCB, même si elle n'est pas responsable, les retards incessants causés par ces vols n'amélioreront pas son image, ni celle des transports publics. Il y a désormais urgence.
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