Trois ans après le CETA, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, la Wallonie s’oppose à un nouveau traité commercial de l’Europe, celui sur le Mercosur (abréviation de marché commun du sud), une communauté économique qui regroupe l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay (d’autres pays d’Amérique du Sud y sont également associés).
Un accord en discussion depuis 20 ans
Tous les partis wallons - majorité comme opposition - estiment qu’un accord entre l’Europe et ces pays serait catastrophique. En Flandre, le parlement a donné son approbation. En discussion depuis 20 ans, l'accord en question prévoit notamment que les pays du Mercosur s'ouvrent à l'industrie européenne (voitures, produits chimiques et pharmaceutiques, marchés publics...) et qu'en contrepartie, ils puissent exporter en Europe jusqu'à 99.000 tonnes de viande bovine, 100.000 tonnes de volaille et 180.000 tonnes de sucre par an, sans droit de douane.
"Un nouvel accord commercial avec les 4 pays du Mercosur serait une erreur majeure", selon le ministre-président de la Wallonie Elio Di Rupo, invité de l'émission C'est pas tous les jours dimanche. Selon lui, l’importation de viande d’Amérique du Sud est déjà massive chez nous alors même que sa consommation est en diminution. Dans ces conditions, l’accord commercial accentuerait une crise déjà existante pour l’agriculture, "importer de la viande alors qu’on utilise des antibiotiques, des hormones et que nous connaissons déjà la crise, ce serait mettre en péril environ 9.000 éleveurs dans notre région", d’après Elio Di Rupo.
L’ancien chef du Parti socialiste ajoute que les conditions des produits importés du continent américain ne sont pas acceptables en Europe : "Il y a le fait qu’au Brésil, les libertés syndicales ne sont pas garanties. Faire de l’élevage, de l’agriculture avec des normes environnementales et sociales qui ne sont pas comparables avec les normes européennes, c’est une erreur".
"Plus de contrôles"
La N-VA est, quant à elle, favorable à l’accord avec le Mercosur. La députée européenne du parti flamand Assita Kanko estime "qu’il ne faut pas avoir peur du futur" et plutôt "se baser sur les faits".
"Au niveau des quantités, il n’y a pas grand-chose qui va changer. La zone Mercosur est le 8ème partenaire économique de l’Union européenne. Ce qui va changer, c’est surtout la manière dont c’est fait. Au niveau des quantités, l’augmentation sera progressive. Et il y aura plus de contrôles, ce sera plus standardisé au niveau de tous les pays de l’Union européenne", notamment en termes environnementauxassure l’eurodéputée.
En août dernier, à l’issue de négociations pour la mise en place de cet accord, la commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström avait annoncé la mise en place d'une "sous-commission du commerce et du développement durable" dont l'objectif est de "faciliter et surveiller la mise en oeuvre effective" du chapitre "développement durable". Toutefois, en cas de désaccord sur l'application de ces engagements, le texte prévoit la possibilité de faire appel à un panel de trois experts (un pour l'UE, un pour le Mercosur et un indépendant), qui pourront publier "des recommandations". Ce panel n’aura qu’un titre consultatif, "l'UE ne peut pas envoyer de policiers. Mais on peut activer ce mécanisme de consultations", avait déclaré la commissaire européenne.
Des conditions qui ne satisfont pas Elio Di Rupo. Il dénonce un manque de contrôle et l’impossibilité d’infliger des sanctions en cas de non-respect des normes alors que "le Brésil est l’un des pays qui utilisent le plus de pesticide", assure-t-il. Le président brésilien Jair Bolsonaro accentue également la méfiance : "nous ne pouvons pas lui faire confiance", déplore le ministre-président wallon.
"Les faits mes font peur"
Du côté des producteurs, l’accord est redouté. Soumis à des normes beaucoup plus strictes que celles en vigueur en Amérique du Sud, les agriculteurs européens dénoncent une concurrence déloyale. "La N-VA nous dit qu’il faut mettre de côté les peurs et s’en tenir aux faits. Moi, je suis agriculteur depuis bien longtemps, je vois ce que la politique agricole a fait", explique Hugues Falys porte-parole de la FUGEA et propriétaire d'une exploitation agricole de culture et d’élevage.
"L’importation de millions de tonnes de soja aux OGM, traités au glyphosate, dure depuis des décennies. On doit, suite à ces accords internationaux, accepter des choses que l’on n’autorise pas sur notre territoire. Le soja OGM est un exemple, les farines animales et farines de sang qu’on donne aux animaux au Canada dans le cadre du CETA, c’est la même chose. Donc moi, les faits me font peu. Et je remarque que l’Europe utilise toujours l’agriculture comme monnaie d’échange", conclue-t-il.
Chez nous, la Chambre et le parlement flamand ont donné leur feu vert. Les parlements wallon et bruxellois ne l'ont pas ratifié. Pour entrer en application, l'accord UE-Mercosur sera soumis à l’approbation des 28 États-membre puis au vote du parlement européen. Il faudra donc convaincre, outre la Belgique, certains Etats membres récalcitrants, comme la France, l'Irlande, l'Autriche ou le Luxembourg. La signature formelle du texte par l'UE et le Mercosur n'est pas attendue avant fin 2020.
Vos commentaires