Une première antenne sur laquelle Proximus avait fièrement lancé la 5G il y a quelques semaines a été brûlée dans le Limbourg. Elle est l'aboutissement du succès exponentiel des campagnes "anti-5G" sur internet, qui ont même réussi à impliquer l'épidémie de coronavirus. On a discuté avec la personne qui a lancé une pétition, supprimée par la plateforme après quelques jours. L'occasion de confronter ses craintes avec l'état actuel des connaissances scientifiques.
8 ans après le déploiement de la 4G, la 5G s'apprête à lui succéder. Elle permettra des vitesses de téléchargement et de chargement plus élevé, mais aura aussi d'autres champs d'application dépassant l'accès à un internet sans fil et rapide à partir de nos smartphones.
Mais depuis quelques jours, sur les réseaux sociaux, nous voyons apparaître des groupes, des collectifs, des pétitions, des montages vidéo, qui évoquent les dangers de la 5G sur l'homme et sur l'environnement. Beaucoup d'informations sont fausses ou sans preuve, certaines sont vraies. Dès lors, vous êtes nombreux à vous poser des questions sur cette nouvelle norme de télécommunication.
Lisez l'entièreté de notre DOSSIER 5G
Dossier 5G: où en est vraiment le DÉPLOIEMENT de la 5G en Belgique ?
Dossier 5G: qu'est-ce qu'une ONDE de télécommunication, est-elle dangereuse ?
Y aura-t-il "plus d'ondes" avec la 5G ?
Techniquement, derrière entre la 4G et la 5G, qu'est-ce qui change ? "Ce sont principalement les protocoles qu'on utilise pour transférer une information. Il y a un aspect 'hardware', donc l'équipement, le matériel, qui doit être mis à jour, car il faut des antennes et des processeurs qui soient conçus pour transférer des données dans ce format-là, et à ce rythme-là. Et bien évidement, les appareils qui se connectent à ce réseau doivent avoir une puce 5G, qui permet de communiquer avec un réseau qui dialogue dans ce langage-là", nous a expliqué Nicolas Van Zeebroeck, enseignant à la Solvay Brussels School of Economics and Managment.
Dans l'esprit de certaines personnes, la 5G va causer une augmentation de la puissance et de la quantité d'ondes dans l'air. Mais est-ce vrai ? "Le problème, c'est qu'on ne déploie pas la 5G en supprimant la 4G. On la déploie par-dessus la 4G. C'est comme ça depuis le début: chaque nouvelle norme vient s'ajouter aux autres normes encore en vigueur. En Belgique il y a encore des endroits où vous allez capter de la 2G ou de la 3G car la 4G n'est pas disponible". De plus, si on supprimait la 2G, les vieux GSM ne fonctionneraient plus ; et certains ont encore des smartphones ou des équipements qui sont uniquement compatibles 3G et non 4G.
On émet des ondes supplémentaires, dans un nouveau spectre
"Donc effectivement, on émet des ondes supplémentaires, dans un nouveau spectre", en l'occurrence pour la 5G les fréquences entre 3,6 et 3,8 GHz (pour le moment). "Ce qui est faux, c'est de croire que ces ondes sont plus nocives ou plus puissantes. La 5G fonctionne dans un spectre qui est en partie en chevauchement avec les autres normes. Dans chaque pays, le régulateur (l'IBPT chez nous) a pour prérogative de déterminer dans quelles bandes de fréquence il convient de travailler pour chacune des normes. Et il va octroyer ces bandes de fréquence aux opérateurs, qui vont utiliser ce spectre comme ils le souhaitent".
En Europe, ce sont les nouvelles bandes de fréquence comprises entre 3,6 et 3,8 GHz qui sont préconisées. Elles permettent à la 5G de fonctionner de la meilleure des manières. Il y a une règle avec les radiofréquences: plus la fréquence est haute, plus la capacité est importante, mais moins la portée est grande. Donc on envoie plus, mais moins loin, c'est un peu comme la différence entre un 100m en sprint et un 400m à allure modérée. La GSMA (association de la téléphonie mobile) conseille dans ce document aux régulateurs et aux opérateurs l'usage de plusieurs bandes: "sous les 1 GHz" pour une meilleure couverture et pour connecter les 'objets' (qui n'ont pas besoin d'une large bande passante), "entre 1 et 6 GHz pour un bon mélange d'avantages en termes de couverture et de capacité", et "26 GHz pour permettre les ultra-hauts débits envisagés par la 5G". Sur ces 26 GHz, on parle des "ondes millimétriques" et elles inquiètent car il n'y pas vraiment d'étude sur leur impact. Mais, et c'est important de le savoir, elles ne sont pas prévues avant plusieurs années, et seront ciblées pour des usages spécifiques (entreprises), pas pour les particuliers. En Belgique, actuellement, la 5G qui se prépare au niveau des opérateurs se contentera du "bon mélange d'avantages" avec les 3,6 – 3,8 Ghz.
Rappelons que les opérateurs doivent trouver le moyen d'intégrer ce nouveau matériel 5G dans leurs installations existantes, tout en respectant les normes de rayonnement dont on a parlé au début de l'article. Je me répète: ce sera facile en Flandre où les normes sont moins restrictives, un peu moins facile en Wallonie, et impossible à Bruxelles sans modifier les normes (donc il y a encore du travail de ce côté, en plus des discussions d'ordre financier).
De quoi ont peur les "anti 5G" ?
Il est temps de donner la parole à ceux qui sont contre le déploiement de la 5G. La situation est inédite dans le sens où certains extrémistes n'hésitent pas à mettre le feu à des installations. Ce fut le cas au Royaume-Uni (plus de détails dans cette dépêche Reuters en anglais), et il y a eu un cas en Flandre, dans le Limbourg (photo ci-dessus). L'IBPT a même limité l'accès à la carte des antennes pour éviter d'éventuelles nouvelles destructions (cela endommage toutes les télécommunications mobiles, pas uniquement la 5G).
Que disent les opposants à la 5G ? C'est très complexe, et il ne faut certainement pas réduire le phénomène à des personnes qui partagent des publications (articles et vidéos) aux origines douteuses sur les réseaux sociaux.
D'après tout ce qu'on peut voir, entendre et lire, il y a trois tendances:
L'une est sanitaire : une forte conviction qu'il y a des effets néfastes sur l'Homme et l'environnement ; l'autre est éthique ou philosophique: l'envie d'un autre modèle de société, qui arrête de se baser sur les progrès technologiques (c'est la notion de décroissance) ; la dernière est délicatement liée à certaines théories du complot qui associent les médias, les grandes entreprises technologiques et les autorités politiques (pour résumer: 'ils' s'entendent pour imposer la 5G, entre autres choses, aux citoyens qu'ils voudraient réduire à l'état de mouton).
Les craintes de Marie-Laure: flicage, satellites et antennes partout
J'ai discuté avec Marie-Laure. Elle est à l'origine de la pétition 'anti 5G' qui a recueilli 100.000 signatures sur la plateforme Change.org. Sa pétition a été supprimée, sans explication ("j'ai juste reçu un email comme quoi j'avais enfreint les conditions générales"). Une suppression qui accentue l'impression de "complot", forcément.
"J'habite Bruxelles, je suis musicienne et auteure". Elle reconnait n'avoir "aucun lien" avec les nouvelles technologies mais elle a "lu beaucoup d'articles" au sujet de la 5G. "Il suffit de s'y intéresser pour voir de quoi il s'agit et ce qu'il y a en amont", mais elle ne s'informe pas auprès "des médias mainstream: je n'y crois pas tellement". Elle me parle en premier lieu d'un "très bon article dans Kairos". Il s'agit du site d'Alexandre Penasse, la personne qui a posé une question étonnante à Sophie Wilmès lors d'une conférence de presse du Conseil National de Sécurité. Il évoque largement sur son site un "journalisme libre" qui serait "censuré" par les politiques ("suppôts du pouvoir financier") et les médias traditionnels ("suppôts du pouvoir politique"). Ce sont les fondations des théories du complot à travers le monde.
Revenons à la pétition. Pourquoi l'a-t-elle lancée ? "Je n'ai pas envie d'être fliquée, je n'ai pas envie que mes enfants vivent avec des milliers de satellites qui pourrissent le ciel, je n'ai pas envie qu'il y ait des antennes toutes les 5 ou 6 maisons pour que ça fonctionne".
Concernant les satellites, Marie-Laure évoque des projets parallèles de certaines entreprises internationales (comme Starlink, un projet de Space X, l'entreprise spatiale d'Elon Musk - donc rien à voir avec les opérateurs belges) de lancer des satellites de télécommunications en orbite, afin de créer un réseau parallèle d'internet sans fil performant. Ces initiatives sont en cours (et en Belgique, jeudi dernier, on a observé le lancement de quelques uns des satellites Starlink, justement). Même si certaines se disent liées à la 5G, elles n'ont technologiquement rien à voir avec la 5G dont on parle actuellement, et n'auront sans doute un intérêt que pour apporter une connexion internet dans des zones très isolées. Remarquez que l'internet via satellite existe déjà depuis quelques années, la liste des fournisseurs disponibles en Belgique se trouve sur le site du Ministère de l'Economie.
Concernant les antennes "toutes les 5 ou 6 maisons", c'est une référence aux ondes millimétriques dont on a parlé, à savoir la seconde phase de déploiement de la 5G, pour atteindre des débits très élevés dans certains endroits, pour des usages bien spécifiques et sans doute industriels (donc pas de déploiement généralisé sur notre territoire). Il faudrait alors, théoriquement, plus de sites pour ces antennes 26 GHz (rappelez-vous de la loi sur les ondes: très grande capacité/vitesse = courte portée). Mais en Belgique, cette deuxième phase n'aura pas lieu tout de suite, on n'en connait donc pas les détails pratiques.
Marie-Laure évoque également "l'absence de principe de précaution". On en parlé largement dans cet article: on a 20 ans de recul et il n'y a pas de corrélation, selon les études les plus sérieuses, entre augmentation des maladies et déploiement des radiofréquences. Elle a cependant "des doutes" sur les conclusions des scientifiques, et évoque d'autres études qui parlent d'effets nocifs sur la santé. Chacun choisit ses sources, mais il semble plus prudent de faire confiance à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui se réfère elle-même à l'ICNIRP, institut scientifique neutre et indépendant.
Des émetteurs importants d'ondes électromagnétiques, avec des fréquences relativement proches (de la 5G), existent depuis des dizaines d'années: la FM
Pas le même accueil pour les émetteurs FM de la radio pourtant proches des réseaux télécom
On vient d'évoquer plusieurs raisons dans le témoignage de Marie-Laure. Mais pour conclure ce dossier, on a demandé à aux deux professeurs d'université pourquoi selon eux – pas d'analyse scientifique, donc, juste un avis personnel – il y avait une telle méfiance envers la 5G.
"A mon sens, c'est dû à la proximité des antennes-relais. En une dizaine d'années, on en a vu s'installer des centaines, elles ont envahi le paysage urbain. Et elles s'accompagnent du caractère un peu mystérieux des ondes, et de la difficulté de compréhension de ces phénomènes", selon Philippe De Doncker, professeur à l'Ecole Polytechnique de Bruxelles. "Pourtant, dans une ville comme Bruxelles par exemple, des émetteurs importants d'ondes électromagnétiques, avec des fréquences relativement proches (de la 5G), existent depuis des dizaines d'années: ce sont les émetteurs FM de la radio, qui produisent des ondes d'une amplitude tout à fait comparable aux réseaux de télécommunication. Et personne ne s'en est jamais inquiété". L'inquiétude concernant la 5G "est donc en grande partie irrationnelle", selon lui. "Il y a des premières mesures qui ont été réalisées sur des stations pilotes 5G en France, et elles ont montré que le niveau d'exposition moyen ne sera pas plus élevé qu'il ne l'est actuellement avec la 4G".
D'après Nicolas Van Zeebroek, professeur d'économie numérique à Solvay, "cela vient aussi en partie du fait que la presse relaye souvent les cas d'électrosensibilité (voir notre reportage de 2017) qui plongent les médecins dans des abîmes de perplexité, car on n'arrive pas en prouver la véracité avec des méthodes scientifiques. Mais les plaintes sont là, elles interpellent et sont relayées dans la presse".
Des mots qui font peur ?
Autre élément: "Il y a une perception que ces ondes ne sont pas totalement naturelles, même si nous sommes en permanence bombardés d'ondes, à commencer par celles de la lumière. Mais il y a la perception de ce phénomène artificiel et imperceptible (celui de la transmission de données dans les airs donc), et cela entraine une certaine méfiance". Il y a également, selon lui, l'usage des mots rayonnement et exposition, "ce sont les mêmes termes que pour la radiation nucléaire, et une confusion mentale s'opère sans doute: on sait que les radiations nucléaires sont très cancérigènes, pourquoi les autres ne le seraient pas ?".
Vos commentaires