Favoriser l'embauche en CDI et réduire l'emploi précaire, notamment chez les jeunes: c'est désormais le principal objectif affiché par l'exécutif pour défendre les mesures du projet de loi travail sur les licenciements. Mais leur impact divise les économistes.
La réforme du code du travail, avec son volet sur l'assouplissement du temps de travail, était initialement présentée comme un outil d'amélioration de la compétitivité des entreprises et, in fine, de l'emploi.
Mais le tollé déclenché par le plafonnement des indemnités prud'homales et les dispositions précisant les motifs des licenciements économiques - rajoutées au dernier moment - a amené le gouvernement à recentrer son discours sur la lutte contre la "dualité" du marché du travail.
François Hollande l'a souligné la semaine dernière: l'objectif est de "permettre l'accès au marché du travail avec l'embauche en CDI plutôt qu'en CDD". Pour la ministre du travail, Myriam El Khomri, "il faut regarder la France telle qu'elle est aujourd'hui: près de neuf embauches sur dix se font en CDD".
En effet, si plus de 85% des salariés sont actuellement en CDI, le flux des embauches se fait majoritairement en CDD: en 2015, 87% des 23 millions de contrats signés l'ont été en CDD. Et 70% étaient inférieurs à un mois - avec une part majoritaire de réembauche.
Or, les contrats de moins d'un mois augmentent quand ceux de plus d'un mois diminuent, engendrant un phénomène de rotation extrême sur des contrats de plus en plus courts, ce qui accroît la précarité dont pâtissent essentiellement les jeunes, les femmes et les moins qualifiés.
Préciser dans la loi les motifs de licenciement économique et plafonner les indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif devraient lever les réticences à embaucher en CDI parce que cela donnerait plus de "prévisibilité" aux petites entreprises, argue le gouvernement.
"Aujourd'hui, les conditions de la rupture, c'est ce qui différencie le CDD du CDI", affirme le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron.
- Plus de licenciements dans les grands groupes ? -
Dans une tribune au Monde, une trentaine d'économistes (Pierre Cahuc, Elie Cohen, Olivier Blanchard...) soutiennent ces mesures comme une "avancée pour les plus fragiles".
Avec la législation actuelle, écrivent-ils, les employeurs sont "incapables de prévoir précisément le coût des fins de CDI, tant le montant des indemnités octroyées par les prud'hommes relève d'une logique difficilement prévisible: entre un et dix mois de salaire".
En "levant ces incertitudes", la crainte d'embaucher en CDI serait bien moindre, disent-ils, s'appuyant sur l'exemple de l'Espagne: ce pays, qui a adopté "une loi similaire en 2012, a connu un surcroît de 300.000 embauches en CDI dès l'année suivante", surtout dans les PME, bénéficiant "en priorité aux personnes abonnées au CDD, ce qui a permis de réduire les pertes d'emploi".
Mais, selon Mathieu Plane de l'OFCE, cela ne jouerait qu'à la marge sur la segmentation du marché du travail: "les licenciements économiques ne représentent que 25% des licenciements. Et 98% d'entre eux ne donnent pas lieu à un recours juridique: ce ne sont donc pas eux qui freinent l'embauche".
"Ça n'est pas le contrat de travail qui détermine le niveau de l'emploi, mais l'activité, le coût du travail et la durée", explique cet économiste à l'AFP. Dans le contexte fragile actuel, le risque serait plutôt de voir une "augmentation des licenciements boursiers dans les grands groupes". Et donc de précariser en premier lieu les salariés en CDI.
Patrick Liébus, patron de la Capeb (artisans du bâtiment), va dans le même sens: "nos petites structures n'ont pas de mal aujourd'hui à prouver au juge leurs difficultés économiques. Préciser les motifs des licenciements économiques dans la loi semble donc davantage fait pour faciliter les licenciements dans les grandes boîtes".
Dans une autre tribune au Monde, une vingtaine d'économistes (Thomas Piketty, Philippe Askenazy, Dominique Méda...) opposants au projet El Khomri, soulignent que "la durée de vie extrêmement courte des CDD rend peu probable leur transformation en CDI".
Plutôt que le modèle espagnol, ils préfèrent regarder vers le modèle allemand, "où la protection de l'emploi en CDI est bien plus forte qu'en France", avec un taux de chômage pourtant très bas.
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