Le jour se lève à peine sur la baie de Paimpol (Côtes d'Armor). Julien Robin, un grand gaillard de 32 ans, est déjà à la barre du Gwenn-Mor, prêt à prendre la mer pour lever quelque 100 casiers à homards, mets prisé en fin d'année.
Pendant près de six heures, le pêcheur enchaîne quasi machinalement son rituel: repérer les bouées reliées par une corde aux casiers à homards, les hisser à bord du bateau à l'aide d'une gaffe, mesurer la taille du homard pris au piège, attacher ses pinces pour éviter qu'il ne se batte avec ses comparses, remettre un grondin en guise d'appât, et, enfin, rebasculer les casiers dans les fonds rocheux...
A son compte depuis six ans, ce fils de routier qui a "toujours aimé la mer" ne cesse de s'émerveiller devant la lumière de la côte bretonne.
"Aller dans les rochers, où se nichent les bêtes, c'est mon truc, raconte-t-il. Tu cherches le bon rocher, tu mets le casier dessus et le lendemain... surprise!" Ce jour-là, Julien remontera une bonne vingtaine de homards qu'il revendra 35 euros le kilo à la criée. "Demain, ce sera 40 euros à cause du pic de la demande pendant les fêtes et ça peut aller jusqu'à 50", explique-t-il, même s'il avoue que son chiffre d'affaires à l'année, après avoir cassé un moteur à 25.000 euros, n'est pour l'instant "pas astronomique".
A plusieurs centaines de kilomètres de là, la poissonnerie "Le Homard parisien", dans le XVIIème arrondissement de Paris, présente elle, à trois jours de Noël, des homards à 80 euros le kilo. "L'an dernier, on a atteint les 100 euros à la dernière minute pour la Saint-Sylvestre", se souvient le poissonnier.
La France pêche chaque année entre 500 et 800 tonnes du crustacé à la carapace bleue tachetée, selon FranceAgriMer. Communément appelé "homard breton" dans l'Hexagone, sa zone de pêche est en réalité plus vaste que la Bretagne, et s'étend du Croisic (Loire-Atlantique) à Cherbourg, en passant par Brest et Saint-Malo. A titre de comparaison, il se pêche 5.000 tonnes de homard bleu dit "européen" par an, dont 3.000 au Royaume-Uni, et 160.000 tonnes de homard "américain", également appelé homard canadien.
- "pêche durable"-
"Le homard américain n'est pas de la même espèce, un peu comme les éléphants d'Asie et d'Afrique, précise Jérôme Lafon, délégué pour les filières pêche et aquaculture à FranceAgriMer. L'Européen est d'un joli bleu tandis que l'Américain est marron/vert".
Le positionnement de marché est aussi différent: alors que le homard bleu vise le haut de gamme, le homard d'outre-Atlantique relève plutôt de la consommation courante. Enfin pour les chefs, rien de mieux qu'un produit tout frais pêché. "Les homards qui arrivent du Canada ont été retrempés dans l'eau, ils ont la chair moins ferme, plus gorgée d'eau", explique le chef du restaurant La Tour d'argent, Philippe Labbé.
"Le homard bleu, lui, a une fraîcheur extraordinaire, une chair très délicate. Il donne envie d'être mangé rien que par sa texture, sa couleur", renchérit Frédéric Anton, chef du Pré Catelan, qui s'approvisionne dans le Finistère. A sa carte figurent à l'année trois plats de homard, dont une "gelée de homard au caviar de France".
Malgré sa popularité, l'espèce se porte plutôt bien. "Nous surveillons le homard depuis 2009, les stocks sont très stables", observe Laure Robigo, ingénieure halieute. A en croire les spécialistes, la pêche au homard serait même un modèle de durabilité. "C'est une pêche qui a beaucoup de vertus car elle est bien encadrée, les tailles de capture sont bien respectées par les pêcheurs et on ne peut pas augmenter de manière insensée son effort de pêche", estime Martial Laurans, chercheur à l'Ifremer.
Une vision partagée par Jérôme Lafon. "C'est l'emblème d'un produit de qualité, d'une ressource bien gérée, d'une pêche particulièrement douce et qui compte beaucoup pour l'économie côtière", considère-t-il, même s'il trouverait "pratique" que le roi des fêtes soit un peu plus consommé en été, temps fort de la saison de pêche.
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