Le Covid-19 est-il en train d'attiser une guerre entre générations ? "Ignorés", "isolés", et "sans cesse pointés du doigt", des étudiants et jeunes actifs n'hésitent plus à parler tout haut du ressentiment qu'ils éprouvent à l'égard des seniors, accusés d'hypothéquer leur avenir.
"Depuis un an, je n'ai plus de vie. Aujourd'hui, je me prépare à ne plus avoir d'avenir", déclare d'un ton dépité Théo, 21 ans, en licence à Marseille. Le premier confinement, cet étudiant qui veut devenir travailleur social dit l'avoir accepté "sans problème". Mais les nouvelles restrictions dues à la reprise épidémique ne passent pas. "Pourquoi nous force-t-on à nous confiner alors que le virus n'est pas létal pour nous ?", interroge-t-il.
"Confiner les vieux, c'est du bon sens pour moi", complète Sarah Mezlini, jeune diplômée d'une grande école de commerce et actuellement sans emploi. La jeune femme de 26 ans a dû quitter la capitale pour retourner chez ses parents, en région parisienne. Une situation qui l'a rendue amère. "J'ai l'impression que nos voix ne comptent pas. On subit des décisions sans jamais être consultés. On est ignorés et isolés en permanence", affirme-t-elle.
Même détresse chez Théo: "J'ai perdu mon job étudiant, je n'ai plus de vie sociale, j'ai des semblants de cours en ligne, mes stages sont annulés les uns après les autres et je me retrouve à aller aux Restos du coeur".
"A un moment donné, vu la situation économique qui nous attend, peut être faudrait-il dire à nos aînés de prendre leurs responsabilités, eux qui sont si prompts à nous traiter d'irresponsables, et se confiner d'eux-mêmes", estime Emeline Roché, 28 ans, commerciale, en CDI. Si "pour l'instant" la jeune femme se sent "protégée" par son CDI, elle évoque pourtant la peur des prochains mois face à "la dévastation économique qui se profile" et son sentiment "d'injustice" à l'égard d'une génération qu'elle considère "dorée". "Qui a connu le plein emploi ? Qui a pu accéder à la propriété à des prix accessibles?", égrène-t-elle avec exaspération. "Que nous reste-t-il, nous? Merci Boomer!", ajoute Emeline, utilisant un terme prisé des vingtenaires pour désigner la génération des baby boomers (née entre 1945 et 1960).
Evoquée un temps, puis balayée fin octobre par le chef de l'Etat français car jugée "pas suffisante", la question du confinement des seniors est la mesure que plusieurs étudiants et jeunes actifs, interrogés par l'AFP, aimeraient voir appliquée. Et pas seulement des jeunes. "Nous n'avons pas, que je sache, arrêté le pays pour sauver nos parents" lors de la grippe de Hong Kong, entre 1968 et 1970, "tout aussi géronticide" que le Covid-19, rappelait en mai dernier le journaliste François de Closets (86 ans), dans une tribune au Monde, très critique envers les seniors.
Amoral de ne confiner que les personnes âgées?
Des propos "fallacieux" mais loin d'être inédits, selon le sociologue spécialiste du vieillissement, Serge Guérin, qui constate toutefois la rapidité avec laquelle les langues se délient depuis le début de la crise sanitaire. Pour lui, le confinement des seniors est un faux sujet: "17 millions de personnes ont plus de 60 ans (soit un quart de la population). Pour les plus de 75 ans, c'est 6 millions. Comment voulez-vous confiner toutes ces personnes ? C'est simplement impossible". Impossible mais surtout amoral ? "Est-ce acceptable d'avoir des jeunes en terrasses profitant de la vie pendant que leurs parents et grands-parents sont confinés chez eux ? Je crois que non et c'est un débat de société qui devra trancher la question", avance-t-il.
"La question n'est pas comment on sauve les vieux mais plutôt comment on sauve l'avenir", abonde l'ethnologue et anthropologue Michel Agier. Pour lui, plus que jamais en cette période, "personne n'a intérêt à une guerre des générations, on est tous dans le même bateau".
Une colère incomprise par de nombreux seniors à l'image de Bernadette Font, 71 ans, "consternée par l'animosité" de certains discours. "Tout le monde est bien content qu'on soit là pour garder les petits-enfants ou pour venir prêter main forte aux associations qui tournent grâce aux bénévoles retraités, alors arrêtons de nous opposer. Cette crise nous touche différemment mais nous la subissons tous".
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