La déchéance de nationalité pour terrorisme sera une peine complémentaire qui devra être prononcée par un juge judiciaire, selon l'avant-projet de loi dont l'AFP a obtenu copie dimanche, un nouvel élément de compromis du gouvernement sur cette réforme contestée à gauche et attentivement scrutée à droite.
Si la référence aux binationaux est bel et bien gommée, ils sont, dans les faits, les seuls qui pourront être concernés par la déchéance de nationalité puisqu'il est écrit noir sur blanc dans le texte, qui sera examiné mercredi en Conseil des ministres, que cette peine ne pourra être prononcée "si elle a pour résultat de rendre la personne condamnée apatride".
Mercredi, devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale, Manuel Valls avait déjà laissé entendre que ce pourrait être "une peine complémentaire" prononcée par un juge judiciaire. Aujourd'hui, c'est une décision administrative prise par décret, subordonnée à un avis conforme du Conseil d'Etat.
Dans la législation actuelle, un étranger devenu Français (et disposant toujours de sa nationalité d'origine) peut être déchu de la nationalité française s'il a été condamné pour terrorisme. Après les attentats du 13 novembre (130 morts), François Hollande a annoncé sa volonté d'inscrire cette mesure dans la Constitution et de l'élargir aux binationaux nés Français.
"Ce n'est pas l'appareil d'Etat ou le ministre de l'Intérieur qui décide (...) Cela permet au PS (...) de rentrer confiant dans le débat parlementaire pour l'union nationale nécessaire dans le combat" contre le terrorisme, s'est félicité le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis.
Cette évolution est "un pas dans la bonne direction". "C'est normal que ce soit le juge, qui est indépendant, qui prononce ce genre de sanctions", a jugé aussi sur France 3 François Bayrou (MoDem).
Si la droite est très majoritairement pour, la mesure est dénoncée comme discriminatoire et inefficace par la gauche de la gauche et elle a entraîné le départ du gouvernement de la garde des Sceaux Christiane Taubira, qui y était elle aussi hostile.
Une partie des députés PS récalcitrants ont salué cette semaine la suppression de toute référence aux binationaux dans le texte mais les "frondeurs" restent vent debout, n'y voyant qu'un tour de passe-passe.
- Déchéance "définitive" des droits civiques -
L'avant-projet de loi ordinaire crée un nouvel article du code pénal stipulant que cette peine est encourue pour les crimes "d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation" et/ou "constituant des actes de terrorisme" ainsi que pour les délits concernant les mêmes faits et "punis d'au moins 10 ans d'emprisonnement".
Pour ces crimes et délits graves, le juge pourra, à la place de la déchéance de nationalité, décider - cette fois pour tous les Français, y compris mononationaux - de déchoir la personne condamnée de tout ou partie des droits civiques attachés à la nationalité: droit de vote, d'éligibilité, d'exercer une fonction juridictionnelle ou publique. Et, dans ce cas-là aussi, il s'agira d'une déchéance "définitive", précise le texte.
"Le juge décidera et du crime et de la déchéance", "ça correspond à ce que Manuel Valls a parfaitement perçu comme doutes" au sein de la gauche, s'est félicité dimanche le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll, invité du Grand Rendez-vous Europe 1-iTÉLÉ-Le Monde.
Le caractère définitif de la déchéance des droits civiques pourrait être "contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme", a toutefois pointé auprès de l'AFP Serge Slama, maître de conférences en droit public.
Quid aussi désormais, s'interroge-t-il au vu de la nouvelle rédaction dans le code pénal, des peines de déchéance de nationalité pour des faits antérieurs à l'application de la future loi ? "Nous apporterons des précisions sur ces points par voie d'amendements lors du débat parlementaire", assure une source gouvernementale.
La révision constitutionnelle, dénoncée par des milliers de manifestants samedi à travers le pays, prévoit aussi d'inscrire dans la Loi fondamentale l'état d'urgence. Après un vote conforme des deux assemblées, le texte nécessite, au bout du compte, une approbation des 3/5e du Parlement réuni en Congrès à Versailles.
Le projet de loi constitutionnelle sera débattu à partir de vendredi à l'Assemblée nationale pour un vote attendu le 10 février. "Si on pouvait avoir un vote à l'identique sur le texte" lors de son passage en mars au Sénat, "on irait à ce moment-là le plus vite possible vers le Congrès", "dans l'idéal (en) mars-avril", a espéré dimanche Stéphane Le Foll.
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