"Ultime liberté" contre "rupture éthique": l'Assemblée nationale a débattu jeudi de l'euthanasie dans une atmosphère polémique sans parvenir, malgré un large soutien, à voter sur un texte complet faute de temps face à des milliers d'amendements.
Le débat s'est arrêté peu après minuit, une règle pour les journées réservées à des groupes parlementaires pour présenter leurs propres textes.
L'examen de la proposition de loi ouvrant un droit à "une fin de vie libre et choisie" du député Olivier Falorni, du groupe Libertés et Territoires, n'y a pas échappé: avec plus de 3.000 amendements pour la plupart destinés à la contrer, les travaux n'ont pas dépassé l'article premier.
Bertrand Pancher, patron de ce groupe d'opposition, a plaidé pour que cette proposition soutenue par un grand nombre d'élus, notamment dans la majorité, "soit reprise par le gouvernement" pour déboucher sur une loi.
A défaut d'un scrutin final dans le temps imparti, le texte a reçu un large aval de fait lors du vote --240 voix pour, 48 contre et 13 abstentions-- en fin de soirée d'un amendement de Guillaume Chiche (ex-LREM, non inscrit) qui en reprenait des points centraux sur "l'assistance médicalisée à mourir" ou la clause de conscience pour les médecins.
M. Falorni s'est félicité d'un "message fort", même si "l'obstruction ne permet pas d'aller au bout du texte".
Le député de Charente-Maritime avait été accueilli dans l'hémicycle par un tonnerre d'applaudissements de ses partisans, présents sur tous les bancs. Les Français "sont une immense majorité à être favorables au droit à l'euthanasie", une "ultime liberté", a-t-il lancé.
Il a fustigé les milliers d'amendements à son texte, placés symboliquement en pile devant lui, visant à "empêcher l'Assemblée de voter" sur l'ensemble de la proposition dans le délai imparti.
Le ministre de la Santé Olivier Véran s'est en revanche déclaré personnellement "pas convaincu qu'il faille ouvrir aujourd'hui ce débat d'envergure", citant notamment le lourd contexte de la pandémie de Covid-19.
"Le débat mérite d'avoir lieu, ça ne fait aucun doute" mais il a "besoin de temps", sur un sujet aussi "sensible", a estimé M. Véran.
Il a toutefois promis une meilleure application de la loi actuelle, dite Claeys-Leonetti, qui prévoit une sédation profonde et continue pouvant mener à la mort, mais sans euthanasie active.
Les clivages sur ce sujet douloureux et passionnel ont traversé tous les groupes politiques.
"C'est peut-être l'un de sujets les plus graves de notre mandat", a souligné Marc Le Fur (LR).
Dans la majorité, Agnès Firmin-Le Bodo (groupe Agir) a plaidé pour la "liberté de choisir notre mort et de l'encadrer", une position reprise par de nombreux élus dans la majorité comme l'opposition.
- "Doutes" -
Mais face à la mobilisation des partisans de l'euthanasie, "les doutes sont aussi largement partagés sur ces bancs", a souligné Aurore Bergé (LREM). Des doutes aussi exprimés par le communiste Pierre Dharréville face à une "rupture éthique".
Très applaudie, Anne Genetet, autre LREM, a rappelé en tant que médecin que son serment d'Hippocrate "dit que je ne donnerai jamais la mort volontairement".
Le texte visait à ouvrir le droit à une "assistance médicalisée active à mourir" pour toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection "grave et incurable".
Parmi ses soutiens, les présidents de quatre groupes parlementaires: Jean-Luc Mélenchon (LFI), Valérie Rabault (PS), Olivier Becht (Agir) et Bertrand Pancher (Libertés et territoires).
Quelque 2.300 émanaient d'une poignée de députés LR, qui ont mené une longue guérilla rendant illusoire toute possibilité de vote final avant minuit. Parmi eux Xavier Breton a dénoncé "une aide au suicide" et la "transgression d'un interdit"
La présidente de la commission des Affaires sociales Fadila Khattabi (LREM) a déploré que les échanges soient de fait "censurés par quelques parlementaires opposés au sujet de la fin de vie".
Des voix célèbres s'étaient élevées ces derniers jours dans les deux camps: la comédienne Line Renaud pour appuyer "un progrès essentiel", l'écrivain Michel Houellebecq pour estimer qu'avec cette loi, la France perdrait "tout droit au respect".
Les partisans du texte soulignent que l'euthanasie active avec assistance médicale est déjà permise en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas, et que l'Espagne et le Portugal viennent de légiférer en sa faveur.
Emmanuel Macron n'avait pas pris d'engagement en 2017 sur ce sujet, hormis indiquer qu'il préfèrerait personnellement choisir sa fin de vie.
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