Julie, Stéphanie, Johanna... En France, on n'a jamais autant parlé de féminicides, mais les mêmes histoires se répètent de semaine en semaine : depuis janvier, au moins 116 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex, selon un décompte et une étude au cas par cas des journalistes de l'AFP.
Le 10 novembre dans le Bas-Rhin, Sylvia, 40 ans, était poignardée par Jacky dont elle voulait divorcer. Le lendemain, en Loire-Atlantique, Karine, 48 ans, était tuée de la même manière par Tony, dont elle était séparée depuis deux ans. Idem le jour d'après en Seine-Saint-Denis pour Aminata, 31 ans, tuée par Alou devant leurs deux enfants.
Samedi à Paris, les proches des victimes de féminicides défileront en tête de la "marche nationale" contre les violences faites aux femmes. Deux jours plus tard, le gouvernement doit annoncer de nouvelles mesures contre les violences conjugales et les féminicides, après six semaines de concertations sur le sujet.
Depuis plusieurs années, le nombre de femmes tuées par leurs conjoints ou ex ne baisse pas en France : une tous les trois jours en moyenne, paroxysme de violences conjugales qui touchent 220.000 femmes par an. "Notre système ne fonctionne pas pour protéger ces femmes" et "c'est un drame", a admis vendredi la ministre de la Justice Nicole Belloubet.
Pour comprendre ce phénomène, l'AFP a, à partir de juillet, mobilisé ses journalistes dans toute la France pour étudier chaque cas de féminicide présumé.
Au moins 116 cas sont à ce stade considérés comme des féminicides, selon les informations recroisées localement auprès des services de police et de gendarmerie, de magistrats ou d'élus. A ce rythme, le bilan de 2019 pourrait bien dépasser celui de 2018, où le gouvernement avait dénombré 121 femmes tuées par leurs conjoints ou ex.
Des enquêtes se poursuivent par ailleurs pour une dizaine d'autres affaires où des femmes ont été tuées, selon ces sources.
- "Tu es ma chose" -
Les trois premières de 2019 ont été tuées le même jour, le 6 janvier. A Toulouse, Monica, 29 ans, est poignardée par son conjoint Felisberto qui l'accuse de la tromper, et la tue alors que leur fille est dans sa chambre. Dans les Yvelines, Pascale, galeriste d'art de 56 ans, se dispute avec son mari Robert, 69 ans, qui l'abat de plusieurs balles. Taïna, 20 ans, est retrouvée sous un pont en Seine-et-Marne: elle a été battue à mort à coups de barres de fer par son petit ami Jonathan, un militaire de 21 ans avec lequel elle venait de rompre.6Dans la plupart des cas, le scénario du féminicide ne fait pas de doute pour les enquêteurs même si la présomption d'innocence continue de s'appliquer.
Selon les psychiatres, témoins et autorités interrogés par l'AFP dans le cadre de cette enquête, les scénarios semblent en tout cas se répéter, mettant en scène, dans tous les milieux sociaux et classes d'âges, des hommes impulsifs, dépressifs ou manipulateurs, des femmes violentées, sous emprise ou qui veulent rester avec leurs enfants, des seniors affaiblis...
La séparation reste le premier motif des meurtres (dans au moins 23,5% des cas), devant les disputes (16,5%) et la jalousie (14%).
En octobre 2018 à l'Ile-Rousse (Corse), Julie Douib, 35 ans, quitte Bruno, 42 ans, le père de ses deux enfants. Depuis trois ans, raconte-t-elle à ses proches, il la frappe régulièrement, la détruit psychologiquement et l'isole socialement.
"Il lui disait tout le temps: +t'as pas de cerveau, tu es ma chose+", se souvient Lucien, le père de Julie. Le couple se partage la garde alternée des enfants. Cinq mois plus tard, le 3 mars, il débarque chez elle et l'abat de deux balles.
Un meurtre par arme à feu, premier mode opératoire des féminicides en 2019 à égalité avec les armes blanches (32%), les coups (18%) et la strangulation (16%), selon le décompte de l'AFP.
- Suicides et seniors -
Comme Julie Douib, de nombreuses femmes tuées, près de 30%, avaient déjà subi des violences (physiques ou psychologiques).
En début d'année près de Tours, Stéphanie, une institutrice de 39 ans, dépose une main courante contre son ex qui a poussé le harcèlement jusqu'à s'installer dans un appartement de la même résidence.
Le 31 mars dans la nuit, elle envoie un message inquiet à une amie: quelqu'un tente de forcer la serrure de son appartement. Elle sait que c'est Jean-Michel et appelle la police. "On ne se déplace pas pour ça Madame", lui aurait-on répondu selon ses proches. Le lendemain, son père la retrouve égorgée dans son appartement.
Les associations, qui dénoncent le manque d'attention des forces de l'ordre, demandent aussi qu'on "soigne" et "éloigne" les conjoints violents. "Ce ne sont pas les manquements de la police qui ont tué ces femmes, ce sont des hommes", rappelle Sandrine Bouchait, présidente de l'Union nationale des familles de féminicide (UNFF).
Autre enseignement, le fort taux de suicide ou tentative de suicide des auteurs après le meurtre, environ 41%. Comme Jean-Michel, retourné mettre fin à ses jours chez lui après avoir tué Stéphanie.
Le suicide est également très présent chez les plus de 70 ans, dont la part, méconnue, reste importante: environ 22% des victimes et des auteurs en 2019, comme en 2018.
Parmi eux, Simone, 81 ans et atteinte d'Alzheimer depuis 10 ans, étranglée par son mari Louis qui n'arrivait plus à s'en occuper et refusait de la laisser devenir "une poupée de chiffon" en maison de retraite. Mais aussi Paolo, un paisible retraité de 78 ans, qui n'a pas supporté que sa femme Jackie le quitte et l'a poignardée en pleine rue.
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