Les libérations en quelques jours de trois condamnés, à chaque fois pour non-respect du "délai raisonnable" dans le traitement d'une procédure repose la question de la lenteur et du manque de moyens de la justice.
Lundi, la justice a libéré Manuela Gonzalez, surnommée la "veuve noire de l'Isère", condamnée à 30 ans de réclusion en 2014 avoir tué son dernier mari, Daniel Cano, et qui attendait d'être rejugée en appel.
La cour d'appel de Grenoble a donné raison à son avocat qui, faute d'audiencement (programmation) du nouveau procès, avait réclamé sa remise en liberté arguant que le délai raisonnable pour être jugé avait été dépassé. Sa cliente était en détention provisoire depuis cinq ans et trois mois.
Cette affaire intervient après la libération mercredi pour la même raison du meurtrier d'un policier, Rajeswaran Paskaran, qui lui aussi attendait d'être rejugé aux assises après avoir été condamné à 20 ans de réclusion en première instance. Il était en détention depuis six ans.
A ces affaires, s'est ajoutée lundi la libération de l'ancien chef nationaliste corse Charles Pieri, à la suite d'un vice de procédure qui a accru le malaise sur les dysfonctionnements judiciaires.
Dans les deux premiers cas - qui ne remettent pas en cause la tenue du procès en appel - les avocats se sont fondés sur la convention européenne des Droits de l'homme (CEDH) qui stipule que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal". "Ce délai n'est pas précisé par le texte et s'apprécie au cas par cas", a expliqué à l'AFP une magistrate.
La Cour de cassation a renforcé en juin la jurisprudence en la matière en considérant que devait être prise en considération "la durée totale de la privation de liberté" d'une personne (appel compris) et non uniquement le délai séparant son arrestation de son jugement de première instance.
- "La justice est submergée" -
Après l'annonce de la libération du meurtrier du policier, le Premier ministre, Manuel Valls, a assuré que "les conséquences seront tirées" et la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a diligenté une inspection au tribunal d'Evry. Dans le second dossier, la ministre a réclamé en urgence un rapport aux chefs de cour de Grenoble.
Mais le procureur général de Grenoble a déjà fait savoir qu'il demandait "des moyens supplémentaires" pour pouvoir juger plus rapidement les affaires criminelles.
"La chambre de l'instruction de Grenoble n'a fait qu'appliquer les règles du procès équitable qui s'imposent à toutes les juridictions", souligne Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche) en rappelant que la France est régulièrement condamnée par la CEDH pour ses manquements au respect des délais raisonnables.
"On le voit particulièrement aux assises car on passe plusieurs jours sur une affaire. Mais les problèmes de délais concernent également les dossiers à l'instruction ou dans les contentieux prud'hommaux ou les salariés attendent parfois plus de cinq ans qu'on tranche leur litige". Pour la magistrate, "il est clair que ça coince dans certaines juridictions parce qu'elles n'ont pas les moyens de fonctionner".
"Toute les cours d'assises sont concernées par ces délais extrêmement longs", souligne Virginie Duval présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).
"On sait que la Drôme et l'Isère auraient une centaine de dossiers en stock et on ne peut pas faire passer plus de 7 à 8 procès par session de trois semaines. En plus, Grenoble a un procès de six semaines programmé", détaille-t-elle.
"L’introduction de l'appel aux assises (en 2001) a aggravé la situation car les moyens n'ont pas été augmentés en proportion", ajoute la magistrate pour qui "tant qu'on aura pas une volonté politique forte pour dire: la justice est submergée et ne peut plus faire face à ses missions, ça ne changera pas".
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