Le brouhaha est incessant dans la ville de Gaza entre les cris des vendeurs de rue et les klaxons, mais sur le port résonne désormais un nouveau son: celui des skateboards roulant sur le bitume.
Ailleurs dans le monde, un skatepark peut paraître banal. Mais celui-ci, achevé en janvier et situé à quelques centaines de mètres de la mer, est le premier et unique de l'enclave palestinienne.
Il est une rare occasion de s'amuser pour les jeunes de Gaza, une bande de terre de 40 kilomètres de long sur 6 à 12 kilomètres de large, qui étouffent sous un strict blocus imposé par Israël depuis plus de dix ans et sous des mentalités qui restent très conservatrices.
Une dizaine de jeunes y tentent de nouvelles figures. Parmi eux, Rajab Reefi, 23 ans, qui travaille dans le bâtiment mais est au chômage la plupart du temps, l'économie étant à l'arrêt.
"Nous ne voulons pas seulement jouer ici, nous voulons sortir d'ici et participer à des compétitions internationales pour montrer au monde occidental que les Palestiniens, et nous à Gaza, ne vivons pas que la guerre et la destruction", explique le jeune homme.
"Nous vivons pour être libres, même si nous sommes sous blocus", poursuit-il devant le mur où sont peintes les figures acrobatiques de skateurs multicolores aux mouvements libres et déployés.
- Skate sous blocus -
En Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis plus de 50 ans, plusieurs parcs ont déjà été construits avec le soutien de SkatePal, une ONG basée au Royaume-Uni.
Mais à Gaza, presque complètement coupée du monde extérieur, la construction de ces infrastructures demeure plus compliquée.
Depuis l'arrivée au pouvoir du Hamas en 2007, le blocus a été renforcé, Israël le justifiant par la nécessité d'empêcher l'arrivée d'armes et de contenir le mouvement islamiste auquel il a livré trois guerres.
Au sud, la frontière avec l'Egypte, l'unique ouverture sur le monde non contrôlée par l'Etat hébreu, est ouverte au compte-gouttes depuis près d'un an, après avoir été longtemps fermée.
Gaza souffre également d'un des taux de chômage les plus élevés au monde: 53% et plus de 70% chez les jeunes, selon la Banque mondiale.
Dans ces conditions, obtenir des planches à roulettes est difficile et deux ou trois personnes se partagent parfois le même skateboard, explique Rajab Reefi.
Sous le contrôle du Hamas, l'enclave est aussi devenue plus conservatrice, regardant d'un mauvais oeil des passe-temps peu en lien avec l'islam et certaines activités comme la vente d'alcool ont été interdites.
Le centre culturel italien à Gaza a dû déjouer les obstacles administratifs imposés par Israël afin de construire le skatepark et d'y faire venir quelques dizaines de skateurs chaque année.
Ces derniers sont restés plusieurs semaines à chaque fois pour construire l'infrastructure et former les Gazaouis, qui continuent à se perfectionner en regardant des vidéos YouTube.
"La coordination nécessaire pour faire passer 30 personnes par Erez (le point de passage israélien) n'est pas facile, avec tous les permis, etc.", explique Sami Abou Omar, du centre culturel.
André Lucat, un Italien membre du groupe présent à Gaza en janvier, assure qu'ils n'ont pas compté leurs heures pour terminer les travaux. Les autorités du Hamas étaient initialement sceptiques, jugeant ce loisir trop occidental, mais leurs inquiétudes semblent s'être estompées, explique-t-il.
Choqué par les conditions de vie des Gazaouis, M. Lucat estime que le skateboard "peut leur permettre de vivre comme des enfants, au moins pour quelques instants".
- Une bouffée d'air -
Yasser Massoud, un Gazaoui de 13 ans, vendait du thé et du café pour quelques dollars, le long du front de mer, jusqu'à ce qu'un jour, il entende le bruit des skateboards sur le bitume. Depuis, il ne quitte plus le parc.
Plus d'un an après, sa famille lui a permis d'arrêter de travailler pour se consacrer à ses études et il passe la majeure partie de son temps libre au skatepark.
"J'avais l'habitude de venir tous les jours et de jouer un peu, puis c'est devenu de plus en plus important", raconte le garçon, qui rêve de quitter Gaza.
Au loin, des femmes voilées observent les skateurs, tous des hommes en raison des mentalités conservatrices.
"Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de filles" mais "nous devrions tous avoir la même vie et bénéficier des mêmes chances", juge Rajab Reefi.
Le parc est bondé le vendredi, jour de congé, et constitue l'une des rares activités ludiques à Gaza.
Il est pour les jeunes une alternative aux manifestations hebdomadaires qui ont lieu depuis mars 2018 le vendredi le long de la barrière qui sépare l'enclave d'Israël.
Les manifestants réclament notamment "le droit au retour" des Palestiniens chassés de leurs terres ou qui ont fui à la création d'Israël en 1948.
Au moins 265 Palestiniens ont été tués depuis le début de ce mouvement lors des manifestations ou dans des frappes israéliennes menées lors d'escalades de violence entre le Hamas et Israël. Deux soldats israéliens ont également été tués.
"Ici à Gaza, nous avons le blocus et le chômage qui pèsent psychologiquement sur les jeunes", confie Ezzedine Machharawi, un skater de 24 ans, avant d'ajouter: "Nous nous débarrassons de toute cette énergie négative grâce au skateboard".
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