Depuis des décennies, les ouvriers sri-lankais bâtissent les gratte-ciel des villes du Golfe. Mais dans leur pays natal, les entreprises ont du mal à trouver des bras pour alimenter le boom de la construction de l'île.
Ravagé par près de quatre décennies de guerre civile, le Sri Lanka est engagé dans une vaste entreprise de reconstruction, notamment dans le nord en ruine. Les investissements dans de nouveaux logements, routes et ports - qui avoisinaient 600 milliards de roupies (3,7 milliards d'euros) par an - devraient tripler en 2017, à 10,9 milliards d'euros.
Cependant, pour tenir le rythme, l'île de l'océan Indien nécessite 400.000 ouvriers supplémentaires. Une augmentation de deux-tiers par rapport au nombre actuel, explique Nissanka Wijeratne, président de la Chambre de l'industrie de la construction.
"Nous ne pouvons en trouver autant si rapidement et il va falloir en acheminer. Nous faisons face à une sérieuse pénurie de bras", dit-il.
Pour essayer d'endiguer le flux migratoire vers les pétro-monarchies du Golfe, des entrepreneurs du bâtiment vont jusqu'à offrir des motos ou des voitures en bonus aux travailleurs qui accepteraient un chantier dans leur patrie.
Stigmatisation sociale
Le gouvernement sri-lankais a, lui, choisi une approche plus coercitive. Il souhaite relever la barre du salaire minimum requis pour pouvoir partir travailler à l'étranger.
Tout Sri-Lankais comptant aller prendre un emploi à l'international devra justifier d'un salaire mensuel supérieur à 400 dollars, au risque de se voir refuser la permission de quitter le pays.
"Nous voulons décourager ceux qui partent à l'étranger pour de petits salaires. Certains de ces travailleurs pourraient gagner plus d'argent s'ils restaient au Sri Lanka", déclare à l'AFP le ministre des Finances Ravi Karunanayake.
La stratégie est risquée. Environ un Sri-Lankais sur dix travaille hors du pays et leurs transferts d'argent au pays constituent la principale source de devises étrangères de cette nation de 21 millions d'habitants.
L'année dernière, ces expatriés ont ainsi envoyé 6,8 milliards d'euros à leurs familles.
Le manque de cols bleus est aussi la conséquence d'une stigmatisation sociale. Les activités ouvrières étant mal perçues dans la société, de nombreux Sri-Lankais préfèrent des emplois de bureau mal payés plutôt de s'orienter vers la maçonnerie, la charpenterie ou la plomberie.
"Il y a une certaine perception sociale du secteur de la construction, c'est pour cela que les jeunes gens préfèrent les emplois publics même s'ils sont moins bien rémunérés", analyse M. Wijeratne.
Délocalisations au Bangladesh
Les entreprises les plus désespérées se tournent elles aussi vers l'étranger, non pas pour des contrats mais pour trouver des petites mains. Quelque 200.000 étrangers seraient ainsi employés sans être déclarés dans le secteur du bâtiment, selon des estimations officielles.
"Des étrangers sont employés illégalement car nous avons une pénurie de main-d'oeuvre", déplorait récemment le ministre du développement urbain Champika Ranawaka.
Des entreprises chinoises, dans l'incapacité de recruter localement, ont ainsi importé des bataillons d'ouvriers au Sri Lanka pour faire tourner leurs gigantesques chantiers.
Le long d'un des principaux fronts de mer de Colombo, des centaines de travailleurs chinois attendent chaque jour leur navette pour rentrer après avoir terminé une rotation sur le chantier du nouveau hôtel Shangri-La. De l'autre côté de la rue, leurs compatriotes s'affairent sur un immense projet immobilier de 1,3 milliard d'euros.
Le manque d'ouvriers impacte déjà le secteur du bâtiment. Une grosse entreprise sri-lankaise confie ainsi refuser de nouveaux contrats de construction d'immeubles en sachant qu'elle n'aura pas les ouvriers pour les réaliser.
Le problème dépasse de loin ce seul secteur. L'hôtellerie, l'industrie des égouts et de l'eau sont elles aussi affectées et se tournent vers l'Inde voisine pour dénicher des forces vives.
Quant à l'industrie textile, à qui il manque 50.000 personnes, de nombreuses entreprises ont déjà délocalisé... au Bangladesh.
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