Une pizzeria, une boulangerie ou un coiffeur : en Uruguay, une prison d'un genre particulier permet aux détenus de lancer leur entreprise. Le succès est tel que certains condamnés, une fois leur peine purgée, reviennent pour faire vivre leur commerce.
Comme la plupart des prisons en Amérique latine, où règnent la violence et la surpopulation et où les programmes de réinsertion font défaut, des miradors et des barbelés accueillent les visiteurs à l'entrée de Punta de Rieles, à l'est de Montevideo. Mais une fois à l'intérieur, on peut y voir des prisonniers sortir du pain du four, fabriquer des parpaings ou produire des laitues. Chacun de ces commerces est géré par des détenus ou des ex-condamnés.
Gilbert a lancé une boulangerie
C'est le cas de Gilbert Ayrala, neuf fois en prison pour vol. Après 18 années derrière les barreaux, il a décidé de monter une boulangerie au sein du pénitencier. "J'ai commencé à voler des voitures. Je suis monté dans l'échelle du crime. Et j'ai fini en volant une banque, j'ai été chef d'une bande... C'est un peu contradictoire, non ? Que le voleur se transforme en travailleur. Mais j'ai vu les possibilités ici", explique celui qui franchit tous les jours le portail de Punta de Rieles dans sa petite camionnette blanche. "Mon cousin et moi, on était détenus au même endroit. On avait beaucoup de choses en commun, un peu d'argent (...) L'énergie avec laquelle j'ai commis des crimes, je l'ai utilisée pour travailler", raconte Gilbert.
Les délinquants sexuels exclus
Ce programme de réinsertion sociale cible tous types de prisonniers, condamnés à des peines courtes ou longues. Seuls les délinquants sexuels sont exclus. Le projet prévoit aussi que les anciens condamnés, une fois leur peine purgée, puissent revenir au quotidien dans l'établissement pour poursuivre leur affaire et servir d'exemple.
Près de 700 détenus, sur les 10.000 que compte l'Uruguay, pays de 3,5 millions d'habitants, sont regroupés dans cette prison "modèle". Pour arriver là, les prisonniers doivent avoir une bonne conduite et "écrire beaucoup" afin de demander leur transfert, confie l'un d'eux à l'AFP. Cela reste malgré tout une prison: des rixes au couteau ont lieu régulièrement et un détenu s'est récemment évadé, avant d'être à nouveau arrêté peu après.
Alvaro espère créé une entreprise de fabrication de parpaings
"Ici, je me lève à 5H30. Je bois un maté (thé traditionnel d'Amérique du sud, ndlr) tranquillement et je sors travailler à 7H30. Je fabrique 400 parpaings par jour. Je travaille, je travaille", résume Alvaro Brusti, 34 ans, dont cinq enfermé pour vol à main armée. A sa sortie dans un peu plus de deux ans, lui qui n'avait jamais travaillé avant espère créer une entreprise de fabrication de parpaings, confie-t-il à l'AFP.
Sa production, à l'image de celle de ses autres compagnons de détention, sera vendue aux familles et à des revendeurs. La paie d'Alvaro et des autres entrepreneurs est déposée sur un compte spécial. Il envoie une grande partie de l'argent à sa famille et le reste lui est remis sous forme de "bons" qu'il peut échanger dans l'enceinte de Punta de Rieles contre des produits fabriqués par d'autres détenus.
Dans ce centre pénitentiaire, les prisonniers peuvent recevoir leurs proches et les inviter à déjeuner à la pizzeria ou à manger une glace en payant avec le fruit de leur travail. Les familles se retrouvent dans le jardin central où courent des enfants.
Une culture de laitues sans terre
A proximité, Fernando, alias "Nando", tient sa boutique de tatouages. "Les tatouages, ici, ça marche toujours", explique ce jeune homme condamné à une longue peine. Il est fier de son matériel "professionnel" qu'il a lui-même acheté "grâce à son travail". Sur la main d'un de ses co-détenus, il dessine un oeil en rouge et noir.
Francisco Javier, un Espagnol qui encourt 25 ans de prison et affirme être en détention provisoire depuis 10 ans, gère une culture de laitues en hydroponie, c'est-à-dire sans terre, dans une solution d'eau et de nutriments. "Elles se vendent à l'extérieur (à des commerçants) et aux internes. C'est notre investissement et s'il y a des dettes, on les règle nous-mêmes", explique-t-il au côté de son associé Gustavo Cordero.
Tous deux sont âgés de 45 ans et ont lancé cette affaire il y a quelques mois. Ils ont investi 3.000 dollars, raconte Francisco dont la serre est parfaitement entretenue. "Ce travail, je l'ai pris comme un défi, pour me prouver à moi-même que je pouvais", ajoute son associé.
"La dignité engendre la dignité"
Pour le directeur de l'établissement Luis Parodi, 65 ans, les prisonniers "nous ressemblent assez. Quand on les traite d'égal à égal, il se mettent au niveau". Les détenus passent par une période d'essai avant de bénéficier de tous les avantages, dont l'utilisation de portable (sans internet). Le principe de cette prison est simple, estime son directeur, éducateur de formation: c'est "la dignité qui engendre la dignité".
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