RTL INFO a eu accès aux auditions des quatre journalistes français devant les services du Renseignement intérieur français (DGSI).
En 2013, quatre journalistes français ont été enlevés en Syrie. Didier François et Edouard Elias ont été kidnappés dès leur arrivée, sur la route menant à Alep le 6 juin 2013. Nicolas Henin et Pierre Torres ont disparu le 22 juin 2013 à Raqqa. Les quatre otages ont ensuite été regroupés dans l'Hôpital ophtalmologique d'Alep dont les sous-sols avaient été transformés en centre de détention et de torture du futur Etat islamique. Un lieu où étaient quotidiennement torturés les Syriens et les étrangers arrêtés par Daesh. Vers le 25 octobre 2013, les journalistes ont été conduits dans une menuiserie aménagée en centre de détention. Ils y rencontreront d'autres otages, parmi lesquels James Foley et John Cantlie. Ils seront finalement libérés le 19 avril 2014.
Abou Omar, trahi par sa voix et son ironie…
Selon les témoignages des quatre journalistes, Mehdi Nemmouche a été leur geôlier, notamment durant leur détention à Alep. Il se faisait appeler Abou Omar (ou Abou Amar). Dans les locaux de la DGSI, les journalistes ont formellement reconnu la voix de leur geôlier quand les enquêteurs leur ont fait entendre les vidéos de revendication de l’attaque du musée juif et des vidéos de vacances de Mehdi Nemmouche. "Nous étions privés de la vue, puisque nous n'avions pas le droit de regarder nos geôliers (...) Nous nous sommes habitués pendant notre séquestration à développer les autres sens et notamment l'ouïe pour retenir leurs voix, comprendre leurs mouvements et anticiper leurs intrusions dans nos cellules. Aussi, est-ce pour cette raison que j'ai reconnu Mehdi Nemmouche d'abord à sa voix mais aussi à son ironie, à son vocabulaire et à ses plaisanteries". (Edouard ELIAS, 13/05/2016). Sa manière de parler et son accent faisaient penser à un homme originaire des banlieues du nord de la France.
Même si les geôliers étaient souvent cagoulés, certains otages ont pu donner une description du fameux Abou Omar : il avait une barbe peu fournie, il était athlétique et il avait, en fonction des témoignages, entre 30 et 40 ans. Nicolas Henin explique qu'il ne portait pas toujours de masque: il "voulait être reconnu et rêvait des assises (...) J'ai le sentiment qu'il désirait être arrêté, c'est le seul qui est venu nous voir sans masque à plusieurs reprises, soit en venant devant la porte de notre cellule, soit en ouvrant le soupirail". (Nicolas HENIN, 03/06/2014)
Sur le plan psychologique, Nicolas Henin décrit Mehdi Nemmouche comme un homme autoritaire, qui cherche à impressionner. "C'est un raté qui cherche à se réaliser coûte que coûte. Il était peu religieux, l'islam était un outil qui lui permettait de réaliser ses projets. Je ne l'ai jamais entendu citer des vers du Coran. Par contre, il connaissait très bien l'actualité et j'ai le sentiment qu'il voulait faire la manchette des journaux. Les Beatles (NDR : un groupe de bourreaux britanniques, parmi lesquels le tristement célèbre Jihadi John) ne lui faisaient pas confiance et n'appréciaient pas qu'il vienne nous parler et nous narguer pendant des heures. Je pense qu'ils s'étaient rendu compte que c'était un individu incontrôlable, un électron libre du jihad". (Nicolas HENIN, 03/06/2014).
Devant la salle de torture, dans les couloirs du centre de détention, le geôlier français fredonnait souvent des chansons enfantines comme le générique du dessin animé "Moi, Renard" diffusé en France dans les années 90. Il jouait aussi à l’humoriste et aimait prendre des intonations différentes avec sa voix.
Selon Didier François, il a également essayé de filmer les otages dans les toilettes avec son téléphone portable. "Il ne cessait de me traiter de 'grosse merde'". Il s'intéressait aussi beaucoup aux anciens conflits en Bosnie qu'il semblait bien connaitre. "Il se définissait souvent comme un criminel devenu "nettoyeur ethnique islamique". Il nous a assuré qu'il menait des opérations dans les villages chiites de Syrie, qu'il violait les femmes devant les hommes, qu'ensuite il fumait les hommes et qu'il revenait avec des camions vider les maisons, qu'il mangeait la bouffe qu'il y avait dans les frigidaires". (Didier FRANCOIS, 03/06/2014)
L’enfer de l’hôpital ophtalmologique
Dans l'hôpital ophtalmologique d’Alep, la cellule des otages français était juste en face de la salle de torture. Il s’agissait d’une salle assez vaste avec des cordes suspendues aux canalisations du plafond. Plusieurs chaises étaient disposées dans la pièce. Selon les otages français, dans cette salle, les sévices commençaient vers 20h et se terminaient vers 4h du matin. Un petit groupe de francophones parmi lesquels Abou Omar était particulièrement appliqué dans ces séances de tortures. "Les prisonniers syriens étaient terrifiés de se faire torturer par des jihadistes qui leur hurlaient dessus en français. J'ai clairement entendu les cris des suppliciés et les vociférations en français des tortionnaires. Les tortures consistaient en des coups de bâton, de matraque, de chaîne et de câbles électriques tressées. Il y avait également des tortures à l'électricité et du water boarding c'est-à-dire une simulation de noyade". (Nicolas HENIN, 03/06/2014).
L’un des otages raconte avoir entendu les cris du même homme durant 2 jours, après quoi, cet homme a été décapité dans le couloir. "Je sais qu'il y a eu un égorgement dans le couloir, derrière la porte de ma cellule. J'ai donc vu les geôliers installer un dispositif d'enregistrement vidéo. Ils sont allés chercher une victime, que je n'ai jamais vue. Par contre, je sais que cette personne a été torturée pendant deux jours. J'ai reconnu ses cris. (…) Je n'ai pas vu directement la scène, ni le corps. Par contre j'ai pu voir les traces de sang au sol". (Edouard ELIAS, 06/05/2014)
Dans cette prison d’Alep, les otages déclarent avoir été gardés par Abou Omar de juillet à décembre 2013. "Il est plutôt dans le bas de l'échelle par rapport aux autres jihadistes venus d'Europe, mais il a un statut particulier par rapport au fait qu'il vient d'Europe. De par son vocabulaire, et au fait qu'il nous a expliqué qu'il avait déjà fait de la garde à vue, il avait une façon d'interroger très 'policière''. (Nicolas HENIN 02/05/2014).
Nicolas Henin raconte avoir été conduit dans une salle d'interrogatoire le 19 juillet 2013. Cette nuit-là, le journaliste français a été interrogé sur son éventuelle appartenance aux services secrets. Selon ses déclarations aux enquêteurs, cette nuit-là, c'est Mehdi Nemmouche qui était chargé de lui donner des coups de poing, parfois violents. Quelques jours plus tard, le geôlier français est revenu avec un grand sabre traditionnel. Il l’a présenté à son otage comme un sabre à "décapiter les kouffars". Mehdi Nemmouche lui aurait ensuite mis ce sabre sur la nuque à plusieurs reprises: "Ils m'ont fait agenouiller et m'ont menacé de me décapiter à l'aide d'un sabre en criant Allah Akbar. Il me semble que c'est Abou Omar qui tenait le sabre".
Selon Didier François, Medhi Nemmouche "participait aux entraînements militaires, le soir, dans la cour de l'hôpital. (....) Il faisait clairement partie des équipes de gardes qui dans les sous-sols de l'hôpital d'Alep torturaient les prisonniers syriens". (Didier FRANCOIS, 03/06/2014). Il racontait aux otages français les violences qu'il commettait sur les Syriens. Selon Didier François, Mehdi Nemmouche l'aurait volontiers égorgé mais il n'a commis aucune violence sur lui. Il avait des ordres de ses chefs…
Mehdi Nemmouche pouvait surtout se montrer virulent en paroles. "Un soir sur deux, le groupe de cinq français nous levait en pleine nuit, et nous disait de nous mettre face au mur, et nous menaçait verbalement. Un soir, ils ont extrait Pierre (Torres), refermé la porte du couloir, et je n'ai plus rien entendu, et environ une minute plus tard, je vois Pierre dans le couloir étendu sans bouger. Une personne qui m'a semblé être Abou Omar, de par la voix, m'a apostrophé : "Regarde ton copain, il est mort, je l'ai tué au couteau et toi je vais te décapiter et poser ta tête sur ton cul". (Nicolas HENIN, 02/05/2014)
Mohamed Merah, un modèle à ses yeux
Selon les journalistes, à l’époque de leur détention, Mehdi Nemmouche ne semblait pas spécialement avoir un projet particulier en France, mais il répétait aux otages qu'ils viendraient témoigner à son procès quand il serait devant les assises. "Il a tenu des propos antisémites en disant qu'il voulait faire comme Mohamed Merah et qu'il avait envie de fumer une petite juive de 4 ans. (...) Mohamed Merah était très clairement un héros, voire un modèle à ses yeux. (...)" (Didier FRANCOlS, 03/06/2014).
Après l'arrestation de Mehdi Nemmouche, Nicolas Henin déclare aux enquêteurs: "Je pense qu'il avait prévu ce qu'il a fait à Bruxelles. A plusieurs reprises, il m'a déclaré "Je suis en forme ce matin, je me verrais bien prendre une Kalachnikov et aller fumer une petite israélite. Il se projetait régulièrement dans le futur et nous disait "Tu seras partie civile à mon procès". Pour moi, ce qu'il a fait à Bruxelles est une initiative personnelle et non un acte commandé. J'avais l'intuition que je reverrais cet individu". (Nicolas HENIN, 03/06/2014).
En novembre 2017, Mehdi Nemmouche a été mis en examen à Paris pour enlèvement et séquestration en relation avec une entreprise terroriste. Dans ce dossier, Mehdi Nemmouche adopte la même technique de défense que pour le procès du Musée juif : il se mure dans le silence.
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