Le projet d'accord UE-Turquie sur les migrants a suscité jeudi des questions sur sa compatibilité avec les droits de l'Homme: l'ONU a jugé "illégales" les expulsions collectives envisagées, et plusieurs membres des 28 se sont inquiétés de possibles compromissions avec le régime islamo-conservateur d'Ankara.
L'Allemagne, qui a déjà accueilli plus d'un million de migrants, a en revanche défendu ce plan, dénonçant avec la Grèce la récente fermeture "unilatérale" de la route des Balkans.
A Genève, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme a fait part de ses "graves inquiétudes" face au projet d'accord entre l'UE et Ankara, qui prévoit de renvoyer vers la Turquie tous les migrants, y compris les demandeurs d'asile syriens qui fuient la guerre dans leur pays.
En échange, les Européens s'engageraient, pour chaque Syrien renvoyé, à transférer un réfugié syrien depuis la Turquie vers le territoire de l'UE.
"Je suis notamment préoccupé par les possibles expulsions collectives et arbitraires, qui sont illégales", a déclaré Zeid Ra'ad Al Hussein, devant le Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies. "Les restrictions aux frontières" qui ne prennent pas en considération le parcours de chaque individu "violent le droit international et européen".
Il a indiqué qu'il comptait discuter de ces questions avec les responsables européens lors de sa visite à Bruxelles au début de la semaine prochaine, avant le sommet européen des 17 et 18 mars.
Contesté par les ONG, le projet UE-Turquie est aussi loin de faire l'unanimité au sein des 28. Plusieurs membres de l'UE ont exprimé leurs doutes, inquiets de sa faisabilité mais aussi d'éventuelles compromissions avec le régime de Recep Tayyip Erdogan, taxé de dérive autoritaire.
Les ministres de l'Intérieur des 28 étaient réunis jeudi à Bruxelles pour examiner les nombreux "détails" de l'accord à affiner.
- 'On n'avance pas avec des critiques' -
"Je trouve préoccupant que la Turquie mette sous tutelle un journal critique envers le gouvernement, puis trois jours plus tard présente une liste de souhaits", a déclaré jeudi la ministre de l'Intérieur autrichienne, Johanna Mikl-Leitner, en référence au journal Zaman dont la mise sous contrôle a été critiquée par Bruxelles et Washington.
"Je me demande vraiment si nous avons encore du respect pour nous-mêmes et pour nos valeurs", a ajouté la ministre.
Les Turcs sont "très éloignés des valeurs et principes de l'Europe", a souligné le ministre belge Jan Jambon, alors que l'une des contreparties demandées par Ankara, pour sa collaboration dans le dossier migratoire, est l'ouverture rapide de nouveaux chapitres dans ses négociations d'adhésion à l'UE.
Il faut vérifier la faisabilité du plan avec la Turquie, sur le plan "légal, diplomatique, politique mais aussi humain", a insisté le ministre luxembourgeois Jean Asselborn.
L'Allemagne milite au contraire pour ce plan, alors que les pays des Balkans ont coupé la route aux migrants, les bloquant en Grèce où ils arrivent en bateau depuis la Turquie, un pays qui héberge déjà quelque 2,7 millions de Syriens.
"On n'avance pas avec des critiques, mais avec des résultats concrets", a lancé le ministre allemand Thomas de Maizière.
"Si nous n'arrivons pas à trouver un accord avec la Turquie, alors la Grèce ne pourra pas supporter le poids (migratoire) longtemps", a mis en garde la chancelière allemande Angela Merkel.
"L'UE n'a aucun avenir si ça continue comme ça", a twitté le Premier ministre grec Alexis Tsipras.
Comme Berlin, il a dénoncé la décision "unilatérale" de la Slovénie, suivie par la Croatie et la Serbie, de ne plus laisser passer de réfugiés. La Macédoine ne laisse elle plus entrer de migrants depuis la Grèce.
Face à ce blocage, le ministre italien de l'Intérieur Angelino Alfano a dit ses craintes de voir les migrants gagner l'Albanie puis son pays, même si pour l'instant, il n'a vu "aucun signe" d'un tel afflux.
Son collègue espagnol, Jorge Fernandez Diaz, redoute que les migrants empruntent la route du Maghreb avant de rejoindre les côtes ibériques. "Nous ne devons pas baisser la garde", a-t-il dit.
Pour l'instant, le processus de relocalisation de réfugiés en UE depuis l'Italie et la Grèce traîne en longueur et la Commission a appelé les pays a accélérer, fixant un objectif de 6.000 personnes par mois.
La Slovénie a annoncé qu'elle accueillerait, dans ce cadre de ce plan, ses premiers demandeurs d'asile en avril.
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