Les deux seuls ministres prokurdes du gouvernement intérimaire turc ont quitté leurs fonctions mardi en accusant le pouvoir de promouvoir une "logique de guerre" dans le conflit kurde, à six semaines des élections législatives anticipées du 1er novembre.
A la surprise générale, Müslüm Dogan et Ali Haydar Konca ont profité d'un conseil des ministres pour présenter leur démission au Premier ministre islamo-conservateur de transition, Ahmet Davutoglu, qui les a aussitôt acceptées.
"Il n'est pas besoin de dresser la liste de toutes les raisons (de notre démission) mais, pour résumer, nous sommes opposés à la logique de guerre menée par l'AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir)", a déclaré M. Konca, qui occupait le portefeuille des Affaires européennes, lors d'une déclaration à la presse.
Depuis deux mois, des combats meurtriers ont repris entre les forces de sécurité turques et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est à majorité kurde du pays.
Presque tous les jours, les attentats des rebelles succèdent aux opérations militaires de représailles turques. Ces violences ont fait voler en éclat les discussions de paix engagées à l'automne 2012 par Ankara avec le PKK pour tenter de mettre un terme à un conflit qui a déjà fait quelque 40.000 victimes depuis 1984.
Selon un bilan de la presse favorable au régime, près de 150 soldats ou policiers et plus de 1.200 "terroristes" rebelles ont été tués depuis la fin juillet.
"La Turquie a été plongée dans un tourbillon de sang dans lequel policiers, soldats, rebelles, femmes, enfants et personnes âgées ont perdu la vie", a ajouté M. Konca, membre du Parti démocratique des peuples (HDP).
Selon le HDP et plusieurs ONG, ces combats ont fait des victimes civiles. Vingt-trois personnes sont mortes plus tôt en septembre dans la ville de Cizre, à la frontière avec la Syrie et l'Irak, soumise pendant huit jours à un strict couvre-feu, affirment-ils.
- Le HDP accusé -
"Cette logique de guerre (...) nous fait regretter le temps de la loi martiale dans les années 1990", a ironisé l'ex-ministre en faisant référence aux "années de plomb" où les affrontements entre l'armée et le PKK étaient à leur apogée.
Le porte-parole du gouvernement, Numan Kurtulmus, a condamné en retour les propos des ministres démissionnaires, les jugeant "inacceptables".
Depuis des semaines, le président Recep Tayyip Erdogan accuse le HDP de soutenir le PKK. Dimanche encore, le chef de l'Etat a appelé les citoyens à ne pas voter pour le HDP et à choisir l'AKP "pour que la paix revienne en Turquie".
Le parti de MM. Erdogan et Davutoglu a essuyé un cinglant revers lors des législatives du 7 juin en perdant la majorité absolue qu'il détenait depuis 2002 au Parlement.
La réussite du HDP lors de ce scrutin, avec 13% des suffrages et 80 sièges de députés, a largement contribué à la défaite de l'AKP, qui a enterré les ambitions de M. Erdogan de réformer la Constitution pour doper ses pouvoirs.
Ses détracteurs accusent M. Erdogan d'avoir fait capoter les discussions pour la formation d'un cabinet de coalition après le 7 juin et d'attiser les tensions nées de la reprise du conflit kurde pour prendre sa revanche lors du scrutin de novembre.
MM. Dogan et Konca étaient entrés il y a moins d'un mois dans l'équipe ministérielle intérimaire chargée d'expédier les affaires courantes jusqu'au scrutin du 1er novembre.
Ils étaient alors devenus les premiers ministres de l'histoire politique de la Turquie à porter les couleurs d'un parti qui défend la minorité kurde du pays, qui représente 20% des quelque 76 millions de Turcs.
"Le HDP pensait que ces postes de ministre lui permettraient de surveiller l'AKP lorsqu'il s'est agi de +faire la guerre+", a commenté Dogu Ergil, professeur de sociologie à l'université Fatih d'Istanbul. "Comme le gouvernement n'a pas reculé, ils ont préféré partir pour ne pas apparaître comme faisant partie d'un +gouvernement de guerre+".
Les derniers sondages publiés en Turquie indiquent que l'AKP ne devrait pas retrouver la majorité absolue lors du scrutin du 1er novembre.
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