Pendant 127 jours, le Français qui résidait à Molenbeek a réussi à échapper à la justice belge et française. Et on se rend compte aujourd'hui qu'il est resté à Bruxelles, planqué à Schaerbeek, Forest puis Molenbeek... Comment cet homme, le plus recherché de toute l'Europe, a-t-il pu passer entre les mailles du filet pendant près de 4 mois?
Si la capture de Salah Abdeslam à Bruxelles porte un "coup important" aux réseaux jihadistes en Europe, elle a également révélé les embûches et les "ratés" des services de renseignement pendant sa cavale de quatre mois.
"De Molenbeek à Molenbeek", titre samedi le quotidien 'Le Soir' pour résumer l'itinéraire du seul survivant des commandos des attentats de Paris, arrêté vendredi dans la commune populaire de Bruxelles, à 500 mètres de sa maison familiale. "Ce coup de filet spectaculaire permet à la Belgique de redorer son blason", se félicite le journal, car "la réputation belge était tombée plus bas que terre et un Abdeslam en liberté était non seulement une menace permanente pour la sécurité quotidienne du pays, mais aussi un défi à ses autorités".
"Un énorme puzzle"
Pour beaucoup cependant, cette traque de plus de 120 jours trahit un aveu d'impuissance. "Cette longue cavale n'est pas un grand succès pour les services de renseignement belges. Soit Salah Abdeslam était très malin, soit les services belges étaient nuls, ce qui est plus vraisemblable", a tempêté samedi un député français et ancien magistrat antiterroriste Alain Marsaud. "Tout ce dossier était un énorme puzzle dont il a fallu mettre patiemment les pièces" en ordre, s'est défendu le procureur fédéral belge Frédéric Van Leeuw samedi sur la RTBF, évoquant une enquête "compliquée par la pression extérieure, d'abord au niveau politique français, ce que je comprends car il y a eu énormément de victimes".
Imprudence fatale
La trace de Salah Abdeslam s'était évanouie le 14 novembre vers 14H00 à Schaerbeek, où des complices affirment l'y avoir déposé après son exfiltration de la région parisienne. Les enquêteurs ont retrouvé ses empreintes en décembre dans un appartement de cette commune située non loin de Molenbeek. D'autres empreintes digitales ont été retrouvées mardi dans une maison de Forest, autre commune de la capitale belge, visée par une perquisition qui a dégénéré en fusillade. Un Algérien de 35 ans, Mohamed Belkaïd, y a été tué par une équipe de police belgo-française, tandis que deux hommes prenaient la fuite.
De l'aveu même des autorités belges, les policiers menaient une opération de routine et ne s'attendaient pas à y trouver les jihadistes. "Ce n'est pas par hasard qu'on est arrivé à Forest. Ce n'est pas n'importe quelle équipe qui s'y trouvait, c'étaient des policiers d'unités antiterroristes", a toutefois assuré le procureur Van Leeuw. Il n'est pas confirmé que Salah Abdeslam était l'un des fuyards, mais les enquêteurs ont bénéficié d'une imprudence fatale: une surveillance téléphonique a permis d'intercepter un appel de l'ennemi public numéro un, "aux abois", à des proches à Molenbeek chez qui il a trouvé refuge, selon des sources policières.
Selon une autre source proche de l'enquête, la police a reçu un appel d'une personne disant avoir été contactée par quelqu'un se présentant comme Salah Abdeslam et réclamant une planque.
Mouvance difficile à infiltrer
Alors qu'on l'annonçait possiblement en Syrie ou aux Pays-bas, l'ancien petit délinquant serait donc resté dans l'agglomération bruxelloise, en bénéficiant de ses réseaux à Molenbeek, devenu en quelques décennies un point d'ancrage du milieu jihadiste en Europe.
"On s'interroge, parce qu'il a évolué dans un périmètre assez restreint autour de Bruxelles. Se pose la question du quadrillage par la police belge de cette mouvance dans ces quartiers. Etait-il suffisant? Disposaient-ils d'assez de contacts, d'informateurs? Ce n'est pas certain", s'interroge Louis Caprioli, ancien chef du contre-terrorisme français à la Direction de la sûreté du territoire (DST).
"Pour tenir en cavale pendant quatre mois, il a manifestement bénéficié de plusieurs réseaux de soutien. Il avait des amis issus du milieu criminel, d'autres du milieu de la radicalisation islamiste et puis ses amis d'enfance et de quartier", ajoute M. Caprioli. "C'est un gros travail: les services belges ne sont peut-être pas assez étoffés mais ils ont face à eux une population nombreuse, dont une partie est radicalisée, qui n'est pas facile à pénétrer", reconnaît-il. "Molenbeek, c'est 95.000 habitants, et il y a une dizaine d'individus capables de faire ces choses-là", insiste le procureur fédéral belge. "Boucler tout un quartier et passer chaque maison au peigne fin, je ne pense pas que ce soit compatible avec notre démocratie et nos valeurs", plaide M. Van Leeuw.
D'ailleurs, le défi est loin d'être surmonté. "Qu'on ne s'y méprenne pas", avertit le quotidien La Libre Belgique, "d'autres cellules sont à l'oeuvre en Belgique. Elles risquent de faire encore couler le sang".
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