Le mouvement de grogne des producteurs laitiers et porcins contre la faiblesse des prix se poursuit ce jeudi, dans la province de Hainaut, dans le pays de Herve et en Flandre.
Dans le Hainaut, des éleveurs laitiers et porcins bloquent depuis mercredi soir, à l'initiative notamment de la Fugea et avec l'aide d'une trentaine de tracteurs, les centres de distribution du groupe Colruyt à Ollignies (Lessines) et Ghislenghien. Aucun camion Colruyt n'a pu rejoindre les deux dépôts. Une délégation des agriculteurs a pu rencontrer la direction de Colruyt sur le site d'Ollignies mais cette réunion n'a rien donné. "Ils sont conscients du problème mais ils ne peuvent pas faire plus car ils n'ont pas beaucoup de marge. C'est le message qui nous a été transmis", explique la porte-parole de la Fugea, Gwenaëlle Martin.
"On ne va pas se laisser saigner"
Ce jeudi matin, sur le rond-point, à la sortie Lessines de l’autoroute, des pneus brûlaient et de la fumée de la colère noire était bien visible ainsi qu'une pancarte qui disait:"On ne va pas se laisser saigner". "Le but c’est vraiment de bloquer tous les camions. On a fait une action sur l’autoroute aussi. C’était aussi bloquer tous les camions et laisser passer toutes les voitures. Les voitures ont le droit de circuler, c'est vraiment bloquer tout ce qui est marché intérieur, la nourriture. On ouvrait les camions pour voir ce qu’il y avait dedans. Tout ce qui était vide, on laissait partir, mais tout ce qui était rempli on stockait, on laissait tout sur place", a expliqué le président provincial du Hainaut de la fédération des jeunes agriculteurs au micro de Bernard Lobet pour Bel RTL. Les agriculteurs ont bien l’intention de bloquer les accès du centre de distribution le plus longtemps possible.
200 tracteurs en route vers la laiterie Corman
Près de 200 tracteurs étaient rassemblés, jeudi matin à Battice, afin de faire entendre la voix des agriculteurs belges en colère, selon les responsables du MIG. Sur le coup de midi, les véhicules avaient toutefois quitté les lieux pour se diriger, en convoi, vers la laiterie Corman, à Goé. "Le directeur de cette laiterie est également responsable de la confédération belge de l'industrie de lait (CBL), qui regroupe les laiteries belges. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, les laiteries ne souffrent pas de la situation. Ce sont les producteurs qui pleurent", a expliqué Christian Wiertz, le vice-président du MIG. Les agriculteurs en colère souhaitent rencontrer les responsables de la laiterie avant de poursuivre leur action, à un endroit qu'ils gardent secret.
Erpe-Mere et Courcelles
En outre, des agriculteurs en colère devraient partir ce jeudi après-midi vers Erpe-Mere (Flandre orientale) et Courcelles, près de Charleroi, pour bloquer les centres de distribution des magasins Aldi et Lidl. "La détermination est là. Et elle est encore plus forte qu'en 2009", déclare le président de la Fugea, Philippe Duvivier. En 2009, une précédente crise du lait avait été marquée par de nombreux coups de colère de producteurs, comme l'épandage de trois millions de litres de lait dans un champ près de Ciney.
Les responsables politiques et les banques pointées du doigt
Erwin Schopgès préside l'association de laitiers MIG. Il a beaucoup de cibles potentielles dans le viseur."Les responsables politiques se sont laissés pousser par l'industrie laitière qui veut absolument voir un marché libre et avoir la matière première la moins chère possible. Ce sont les banques qui nous donnent des crédits et nous mettent dans la misère. Elles sont en train de nous reprendre nos terres. Avec cette politique-là, l'agriculture durable et familiale va disparaître. Il n'y aura plus que des exploitations industrielles. Ce n'est pas cela que l'on veut et ce n'est pas comme cela que l'on va produire du lait et de la viande de haute qualité", dénonce-t-il au micro de Bernard Lobet, sur place pour Bel RTL.
Le collecteur flamand Mikka a décidé de ne plus ramasser de lait wallon dès le 1er novembre
Et ce qui ne va rien arranger à la colère des producteurs laitiers wallons, c'est cette information du journal L'Echo. Le collecteur flamand Mikka a décidé de ne plus ramasser de lait wallon dès le 1er novembre pour réduire ses frais.
Des actions aussi en Flandre
Le nord du pays, n'est pas épargné par les actions des agriculteurs. Elles ont débuté ce matin à Saint-Nicolas, en Flandre orientale, à l'initiative de l'Algemeen Boerensyndicaat (ABS). Une dizaine de tracteurs se sont immobilisés aux échangeurs de l'E17. Deux sorties ont été fermées à Saint-Nicolas centre et Tamise. Depuis autres ont ensuite été fermées, celles de De Pinte et Aalter. La circulation est cependant peu perturbée et aucun incident n'a été signalé ce jeudi midi, a encore précisé la police locale. A Aalter, c'est la sortie en direction d'Ostende qui a été bloquée, selon le centre flamand du trafic. Une autre action a démarré à Eke, dans la commune de Nazareth (Flandre orientale).
Des prix trop bas pour couvrir leurs frais de production
Les éleveurs dénoncent des prix trop bas pour couvrir leurs frais de production et pointent notamment du doigt la grande distribution et singulièrement les "hard discounters" qui font du lait un produit d'appel. En moyenne, les producteurs laitiers wallons ne perçoivent plus qu'environ 25 centimes le litre. Du côté de l'ABS, on avance des prix de l'ordre d'1,1 euro le kilo de porc payé aux éleveurs alors que le prix de revient s'élève à minium 1,35 euro du kilo. Une situation inquiétante qui dure depuis des mois, déplore-t-on.
Le nombre d'éleveurs en chute libre
Et ce d'autant que le nombre d'éleveurs est en chute en Wallonie: le nombre d'éleveurs laitiers est ainsi passé de 19.382 en 1984 à 3.335 en décembre 2014, le nombre d'éleveurs de porcs étant passé de 3.898 éleveurs en 1990 à 584 éleveurs en 2013. Le nombre d'éleveurs viandeux, enfin, est en légère baisse: 7.722 éleveurs en 1984 contre 6.915 en 2013.
Quant aux jeunes, ils sont de moins en moins à vouloir exercer ce métier. "La FUGEA et le FJA se réunissent pour revendiquer une filière durable pour l'avenir. Ceci passera par un prix rémunérateur pour tous les acteurs de la chaine alimentaire avec pour priorité la rémunération correcte de l'éleveur avec interdiction de brader les prix".
"Les supermarchés belges n'exercent aucune influence sur les prix"
Comeos, la fédération du commerce et des services, "comprend la situation difficile" des agriculteurs mais souligne "que les supermarchés belges n'exercent aucune influence sur les prix". Dès lors, la fédération demande aux manifestants "de lever les barrages et de rechercher des solutions ensemble". "Les secteurs belges du lait et de la viande de porc sont confrontés à de graves problèmes. Nous en avons parfaitement conscience, mais ce n'est pas nous qui fixons le prix: ce prix est déterminé aux niveaux européen et mondial", rappelle Dominique Michel, l'administrateur délégué de Comeos.
"La viande de porc produite en Belgique est exportée à plus de 60% et le lait à plus de 50%. Les supermarchés belges ne vendent que 10% de la viande de porc belge et seulement 15% du lait belge en tant que lait de consommation. Notre impact sur la fixation des prix est donc nul", ajoute-t-il en pointant la surproduction agricole. "En 2009, il y avait déjà une surproduction dans le secteur du lait. Aujourd'hui, nous produisons en Belgique encore 12% de lait de plus qu'à l'époque. Vient s'y ajouter l'embargo russe qui s'applique aussi au lait et à la viande de porc, de sorte que la demande a encore baissé", poursuit Dominique Michel. "Nous sommes conscients de la situation difficile que ceci engendre pour les agriculteurs et comprenons leur frustration. Mais les barrages ne nous rapprocheront pas d'une solution. Nous devons rechercher ensemble, avec l'agriculture et l'industrie alimentaire, en tant que partenaires de la chaîne alimentaire, des solutions pour un avenir durable pour l'agriculture", insiste-t-il encore en appelant à une "solution au niveau européen".
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