Les salons de toilettage, considérés comme "non-essentiels" n’ouvrent plus leurs portes aux chiens et à leurs maîtres depuis plusieurs semaines. Si certains professionnels crient à la maltraitance animale, d’autres comme Sylvie, préfèrent que leur activité soit arrêtée, la jugeant trop dangereuse pour leur vie et celle de leur clientèle.
"Depuis votre article, on se fait incendier par nos clients!", nous lance Sylvie, toiletteuse dans un salon à Charleroi, via Alertez-Nous. À la lecture du témoignage de Stéphanie, une collègue namuroise qui prône la réouverture des salons, le sang de Sylvie n’a fait qu’un tour. "Je me suis effondrée! Je n’ai vraiment rien contre elle, mais il faut comprendre que les chiens peuvent être vecteur du coronavirus!"
Comment s’en sortir avec une prime de 1.200 euros ?
"On panique, on a peur"
Au contraire de Stéphanie, Sylvie ne souhaite pas reprendre le travail pour l’instant. Mais elle ne tient pas ce discours de gaieté de cœur. "Les gens croient qu’on est là, à dormir sous nos lauriers. Mais on rame! Beaucoup crèvent la gueule ouverte. Comment s’en sortir avec une prime de 1.200 euros ? On panique, je vous le cache pas, on a peur."
Fermer durant les périodes de fin d’année est un énorme manque à gagner pour elle. "Nos plus gros chiffres, habituellement, c’est maintenant qu’on les fait. On fait 40% de notre chiffre annuel en fin d’année."
Une cliente m’a dit 'Je suis en congé parce que j’ai le coronavirus, je vais en profiter pour passer au salon'
"Moi aussi, je suis pour la cause animale"
Du côté des professionnels désireux d’ouvrir à nouveau leur salon, l’argument du bien-être animal est soutenu. "J’ai 11 chiens, j’en ai sauvé de tous les horizons, je fais du toilettage… Moi aussi, je suis pour la cause animale. Sous ce prétexte, on nous dit d’aller au front, mais ils ne pensent pas qu’il y a beaucoup de risques. Je compte déjà 12 décès dans mon entourage. On doit absolument faire un vide si on veut que ça s’arrête. La vie avant tout!"
Même avec des précautions, la toiletteuse ne voit pas comment un risque de contamination pourrait être évité. "Bien-sûr, le chien n’a pas le corona mais il peut être vecteur! Les clients font quatre bisous à leur animal puis vous le tende avec leurs bras. Une autre cliente m’a dit 'Je suis en congé parce que j’ai le coronavirus, je vais en profiter pour passer au salon'. De notre côté, on a une bombe entre les bras et on travaille durant 20 minutes avec la boule au ventre", raconte Sylvie. "On ne peut pas dire aux poils de rester sagement là où ils sont. Le virus peut rester 4 heures minimum sur un chien." Sylvie ne voudrait pas avoir des morts sur la conscience. "J’ai plein de dames âgées dans mes clients."
"Leur chien doit être beau sous le sapin!"
Sylvie aimerait que chacun se rende compte de la dangerosité d'une réouverture. Selon elle, 50% de ses clients souhaitent coûte que coûte envoyer leur chien au toilettage. "Les gens mettent une pression de dingue pour qu’on rouvre. Ils commencent à paniquer, car leur chien doit être beau sous le sapin! Il y aura toujours des récalcitrants qui arrivent à cette période pour leur unique toilettage de l'année. Les maitres sont parfois le problème, ils ne sont pas assez consciencieux."
"On n’est pas vétérinaires. On est juste des esthéticiennes canines!"
Pour elle, il n’y a aucune raison de paniquer pour les animaux. "Lors du premier confinement, les toisons de certains chiens devenaient dangereuses avec l’été qui arrivait. Là, on arrive en hiver, ces chiens ne doivent pas être tondus, c’est juste une question esthétique pour les maîtres. À un moment donné il faut rester raisonnable. Soit on reste 6 semaine fermés et on serre les dents, soit on continue et dans un an, ça ne sera pas terminé. On n’est pas des vétérinaires! On est juste des esthéticiennes canines !"
Vers un "click and collect" version toilettage?
Sylvie n’est pas la seule à tenir cette position. Début novembre, elle et d’autres toiletteuses ont même transmis un courrier au ministre des Indépendants et des PME, David Clarinval, qui expliquait sur Bel RTL réfléchir à un assouplissement des mesures pour les salons de toilettage. "On pourrait imaginer que les toiletteurs puissent travailler en click and collect, c’est-à-dire on apporte le chien devant le salon et on vient le rechercher, une fois que le toilettage est terminé, afin d’assurer qu’il n’y ait pas de contact en le propriétaire et le toiletteur. Mais, c’est vrai que tout le monde n’interprète pas ça comme ça. Il y a encore des questions qui se posent et on va apporter les réponses très prochainement", disait-il le 3 novembre.
Fermement opposée à une réouverture
Pour elle, le gouvernement doit prendre conscience que le chien peut être vecteur du coronavirus. "Nous sommes une dizaine de "vieilles toiletteuses" avec toutes minimum 15 ans de métier. On s’est concertées, on s’est rendu compte que nous étions plusieurs à avoir le même avis. On a donc pris l’initiative d’écrire au ministre", nous explique-t-elle. "Le milieu du chien est assez fermé, les signataires sont des professionnels de tous les horizons et de partout en Belgique."
Dans cette lettre, les toiletteuses s’opposent "absolument et résolument à une réouverture à brève échéance." Leurs préoccupations concernent "la dispersion, la transmission et la contagion au coronavirus". Pour elles, il est erroné de croire qu’un système de « Click & Collect » constituerait une mesure préventive suffisante contre la contagion.
La preuve par 5
"Il n’en est rien en réalité car, dans une telle situation, rien ne serait fondamentalement différent de ce qui se pratique en situation 'normale'", pour plusieurs raisons, qu'elles détaillent en 5 points dans leur lettre au ministre:
- Il est inévitable que le ou la client(e) a câliné son toutou, l’a caressé, s’est laissé lécher par lui, dort même souvent avec lui, et lui a partagé son virus. À son tour, l’animal va le véhiculer jusqu’au salon de toilettage et, inévitablement, contaminer l’endroit et surtout les personnes chargées du travail.
- Il y a, dans la plupart des cas, au moins deux employés occupés en même temps sur un site : l’un doit tondre ou brosser l’animal, éventuellement lui couper les ongles, tandis qu’à deux pas, une autre personne donne le bain à un autre chien.
- Les salons de toilettage sont, par définition, des endroits particulièrement chauds et humides, envahis par les micro gouttelettes et des masses de poils perdus qui volètent partout et qui sont un autre moyen de contamination.
- Contrairement à ce qui se prétend, il est absolument impossible d’aérer suffisamment un tel endroit sans devoir recourir à des portes grandes ouvertes. À moins de disposer d’une armée de stewards spécialement prévus pour courir derrière l’animal qui aura choisi la liberté plutôt qu’une séance de toilettage, une telle solution est tout simplement inenvisageable.
- Vu la situation, il est impératif de travailler masqué. La difficulté à respirer convenablement, la chaleur et l’humidité, les poils qui volent et se collent partout sur les visages, les mains et les vêtements, constituent une source supplémentaire de stress. Il nous semble particulièrement inopportun de vouloir, dans de telles conditions de travail et surtout d’hygiène, demander la réouverture des salons de toilettage.
Pour Sylvie, les toiletteurs désireux d’ouvrir leur salon sont plus attirés par l’aspect financier que le bien-être animal. "Ce sont souvent des jeunes, des gens passionnés, et leur métier leur manque", conçoit l'indépendante. "Le fait qu’on leur dise que leur commerce est non-essentiel, ils ne le digèrent pas. Ils démarrent et ils n’ont pas tout en main pour juger, et ils oublient la pandémie."
Sylvie et ses collègues n'ont pas encore reçu de réponse du ministre Clarinval. Contacté par nos soins, son porte-parole nous indique que "l'arrêté ministériel dépend de la ministre de l’Intérieur."
Mais de ce côté, la porte-parole de la ministre Annelies Verlinden n'a pas eu vent d'un changement de position du gouvernement sur le sujet des salons de toilettage. "Pour l’instant, rien ne change", nous explique Marie Verbeke. "Tout reste comme ça jusque au 13 décembre." Malgré tout, cette position pourrait évoluer bientôt. "Un comité de concertation a lieu vendredi, mais je ne suis pas en mesure de vous dire si ce sujet sera à l'agenda."
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