Annulée en 2020, réduite l'an dernier pour cause de pandémie, la Ducasse d'Ath a repris ses droits. Samedi après-midi, le berger David a terrassé le géant Goliath, sous les ovations de la foule.
Parmi les figurants, le "Sauvage" est bien présent, acteur du cortège folklorique créé en 1873. Ce personnage est au centre d'une polémique depuis quelques années, pour cause de "blackface".
L'organisation Bruxelles Panthères avait envoyé un premier courrier à l’UNESCO en 2019 afin de dénoncer l'existence du "Sauvage" en raison de l’usage du "blackface". "Après plus de deux ans de pandémie mondiale et deux ans après le mouvement mondial Black Lives Matter suite à l’assassinat de George Floyd, la position des autorités athoises et des communautés organisatrices de la ducasse n’a pas bougé d’un iota. Leur souhait est de continuer à produire un personnage négrophobe dans un événement populaire patrimoine immatériel de l’humanité qui rassemble des dizaines de milliers de personnes, dont une grande part d’enfants, pendant plusieurs jours", écrit l'organisation le 10 août sur son site.
Bruxelles Panthères parle des "conséquences désastreuses de la perpétuation de cette pratique déshumanisante" qui "à nos yeux devrait être illégale."
Le "Sauvage" est maintenu dans le cortège, mais sans certains de ses attributs habituels, ses chaînes et son anneau au nez. Ce "geste d'apaisement" a pour objectif de mettre fin à la polémique. "Au détriment des traditions, on me prive de mes attributs qui sont là depuis des générations et des générations", explique l'homme qui incarne le "Sauvage", précisant que "malgré tout, on va faire la Ducasse et ça va être une Ducasse de déchaînés".
"Nous avons voulu poser un geste d'apaisement. Nous insistons à nouveau sur le fait que notre Ducasse n'a rien de raciste ni négrophobe", explique Bruno Lefebvre, bourgmetre d'Ath. "Notre folklore n'est pas raciste. Ce sont des moments de famille et de partage", estime-t-il.
L’UNESCO va lancer une enquête mais le bourgmestre explique que le dernier mot reviendra à la population athoise car c'est elle "qui a construit ce folklore". "Lorsque nous avons été reconnus par l’UNESCO, elle a insisté sur le fait que la Ducasse, ce folklore, est une construction populaire. Si elle doit évoluer, c'est la population athoise qui décidera et personne d'autre."
Bruno Lefebvre précise que "si le blackface est devenu imbuvable dans notre pays, que les parlements s'en saisissent et se mettent d'accord sur l'interdiction du blackface, mais on ne peut pas faire porter à la population athoise les difficultés liées au blackface".
Les porteurs de géants étaient presque tous présents afin de "soutenir" le personnage du "Sauvage". De nombreuses personnes sont également venues assister à ce moment. Certains citoyens estiment qu'il ne fallait pas en arriver là. "Toute la population est triste", lance une femme. "On suit l'évolution de la vie, mais nous en tant qu'Athois, on trouve ça un peu triste, car le Sauvage fait partie de notre folklore depuis qu'on est enfant", estime une jeune femme.
La ville d'Ath a lancé un sondage il y a quelques mois. 40 % des 1300 personnes sondées comprennent que le personnage du "Sauvage" puisse choquer.
Qu'est-ce que le blackface ?
Le blackface, en français "grimage en Noir", est "une forme théâtrale américaine de grimage ou de maquillage pratiquée dans les minstrel shows, puis dans le vaudeville, où un comédien blanc incarne une caricature stéréotypée de personne noire, détaille Wikipédia.
L'auteur américain John Strausbaugh l'inclut "dans la tradition d'exhiber les Noirs pour amuser les Blancs qui remonte au moins à 1441, lorsque les esclaves ouest-africains furent exposés au Portugal. Le théâtre élisabéthain et le théâtre jacobéen ont souvent mis en scène des personnages noirs, notamment dans Othello ou le Maure de Venise de Shakespeare (1604). Cependant, les pièces de cette époque ne présentent pas la caricature des traits supposés innés des Noirs caractéristique du blackface", selon Wikipédia.
"Aux États-Unis, le blackface disparait à partir des années 1960 à la suite du mouvement afro-américain des droits civiques".
"Se grimer en Noir, c’est faire fi de "l’expérience brutale" qui est la leur, car "le maquillage s’enlève": "Etre noir, ce n’est pas un travestissement, ce n’est pas pour rire, c’est une condition, prise dans une histoire raciale"", souligne Eric Fassin, professeur de sociologie, dont les propos ont été relayés par le Monde.
Vos commentaires