En Wallonie, le déconfinement pour les personnes ayant un handicap ne semble pas évident. Certains attendent avec impatience un retour en institution ou, dans le sens inverse, les retrouvailles avec la famille, après trois mois de confinement dans un centre. La ministre de la Santé a rédigé une circulaire destinée aux différents services pour qu’ils prennent rapidement des mesures en ce sens. Mais visiblement, cela demande une organisation pas toujours gérable.
"Qu'en est-il des centres pour personnes handicapées ? Ma fille autiste sévère est à la maison depuis le début du confinement et je suis personnellement gravement malade. Nous n'en pouvons plus", s’exclame Martine il y a quelques jours via notre bouton orange Alertez-nous.
Cette habitante de Dour dans le Hainaut est la maman de deux filles, dont Delphine âgée de 34 ans. "Elle est autiste avec un handicap mental associé. S’occuper d’elle est très énergivore", admet Martine, 59 ans.
Depuis plusieurs années, sa fille réside au Condorcet, un hébergement pour personnes handicapées situé à Colfontaine. "C’est une toute petite structure. Ils ne sont que 4 résidents dans la maison. La journée, ils se rendent au Relais, un centre de jour à Dour où se déroulent des activités spécifiques avec d’autres personnes. C’est la même direction et leur philosophie c’est de ne pas "travailler" là où on dort. Ils font vraiment un travail formidable", souligne la maman.
Condorcet et Le Relais sont deux services mis en place par la fondation SUSA, spécialisée dans l’accompagnement des personnes autistes.
Un choix au début du confinement : partir ou rester
Au début du confinement en raison de l’épidémie de coronavirus, les familles de personnes handicapées placées ont dû faire un choix. Soit reprendre leur enfant au sein de leur foyer, pour une période indéterminée. Soit le laisser en institution, sans date connue pour les retrouvailles.
"Au tout début, Delphine a eu de la fièvre. Par mesure de précaution, le médecin a préféré la mettre en quarantaine 14 jours dans le centre d’hébergement. On ne lui a pas fait de test. Ensuite, elle est retournée à la maison", explique Martine."Deux familles sur les quatre ont décidé de reprendre leur jeune adulte. En sachant qu’un retour au foyer était définitif. Deux autres résidents sont par contre restés confinés au Condorcet. C’est pour cela qu’il fallait une équipe 24h/24. Elle a réalisé un travail exemplaire, ce n’était vraiment pas évident", confie Eric Willaye, directeur général de la fondation SUSA.
C’est un bébé de 34 ans
"Je suis à bout, j’ai perdu 27 kilos"
Depuis de nombreuses semaines, Delphine est donc de retour dans la maison de ses parents à Dour. Une situation qui semble très compliquée à gérer pour eux. "C’est un bébé de 34 ans. Je dois la nourrir, l’aider à aller aux toilettes, c’est du nursing perpétuel. Elle mesure 1m84 et pèse 80 kg, et elle a des difficultés à marcher. Donc, physiquement ce n’est pas évident", souligne la quinquagénaire. "Elle ne fait pas la différence entre le jour et la nuit. La nuit dernière, elle n’a pas fermé l’œil, c’était terrible", ajoute-t-elle.
D’autant plus que la santé de Martine est très fragile. "Je souffre de sclérose en plaques. J’ai été hospitalisé pendant sept semaines et opéré à quatre reprises. Je suis donc à bout. J’ai perdu 27 kilos. Là, je suis allongée dans le divan", révèle la maman à bout.
Ses proches ont tenté de l’aider au maximum. "Quand j’étais hospitalisée, ma mère de 82 ans s’est occupée de Delphine. Mon mari, qui est directeur d’entreprise, a toujours continué à travailler. Et ma deuxième fille qui a 27 ans est médecin. Elle travaille non-stop dans un hôpital et son emploi du temps est très chargé. Elle n’a pu me donner un coup de main que le weekend", explique-t-elle.
Son état se dégrade, ses acquis disparaissent car elle n’est plus stimulée en permanence comme dans le centre, où il y a de nombreuses activités
"L’état de ma fille se dégrade"
Pour les parents de Delphine, un déconfinement est dès lors plus qu’une bulle d’oxygène. Il s’agit d'une nécessité pour leur bien-être et celui de leur fille. "Elle s’énerve beaucoup car elle s’ennuie à la maison. Son état se dégrade, ses acquis disparaissent car elle n’est plus stimulée en permanence comme dans le centre, où il y a de nombreuses activités", regrette Martine.
Heureusement, depuis une dizaine de jours, la jeune adulte peut retourner deux jours par semaine au Relais. "C’est déjà un soulagement, mais ce n’est pas assez. A l’heure où les magasins ouvrent et même les restos, je ne vois pas pourquoi on ne laisse pas les personnes handicapées retourner dans leur centre comme avant. Ce sont vraiment les oubliés du système", fustige-t-elle.
Situation inverse: "Ma compagne n’a plus vu sa fille depuis trois mois"
Un avis que partage Jean-Pierre, un habitant de Theux, qui nous a contactés le même jour via le bouton orange Alertez-nous. Depuis trois mois, Chantal, sa compagne de 68 ans, n’a plus vu sa fille qui se trouve au Chèvrefeuil, un service résidentiel pour adultes ayant un handicap mental à Spa. "Cela devient vraiment long. Suite aux nouvelles mesures de déconfinement, les enfants handicapés peuvent-ils retourner chez eux", demande-t-il.
Privée d’oxygène à la naissance, la fille de Chantal présente un handicap mental qui nécessite des soins particuliers. Habituellement, elle retourne chez sa mère un weekend sur deux. "Magalie a 42 ans. Depuis la crise sanitaire, sa maman lui téléphone deux fois par semaine. Elle nous demande souvent quand est-ce qu’on vient la chercher. On lui répond "quand le vilain virus sera parti"", explique Jean-Pierre.
"Nous étions fort inquiets, surtout au début. A ce moment-là, les résidents étaient confinés dans leur chambre. Ce n’est pas toujours facile de leur expliquer la situation. Heureusement, elle a finalement accepté de mettre un masque", raconte-t-il.
Jean-Pierre et Chantal espèrent pouvoir la revoir bientôt. "On parle beaucoup des maisons de repos mais on oublie un peu tous ces résidents en institutions spécialisées. On est les laissés-pour-compte", souffle-t-il.
Plusieurs associations ont d’ailleurs relayé ces témoignages de détresse pour alerter les autorités. Des demandes qui ont été visiblement entendues.
Fin mai, la ministre de la Santé autorise les retours en famille/institution
Le 26 mai, le cabinet de la ministre wallonne de la Santé a publié une circulaire destinée aux responsables des services résidentiels et d’hébergement pour les personnes avec un handicap. Christie Morreale se dit consciente des difficultés causées par la crise sanitaire: "Je tiens d’emblée à remercier les Directions et l’ensemble du personnel pour la mobilisation dont ils ont fait preuve (…) Je souhaite également souligner combien les familles ont été éprouvées par le confinement, l’interdiction des visites et des retours de leur proche".
Dans ce document, la ministre détaille les modalités et les mesures organisationnelles pour mettre en place le déconfinement dans les institutions, sur base des décisions prises par le Conseil National de Sécurité. Elle précise qu’elles sont évolutives, en fonction des prochaines décisions.
Cette circulaire autorise les nouvelles admissions et la réadmission des bénéficiaires ayant effectué leur confinement en famille. Tout comme les retours dans les familles. Ceux-ci sont permis pour "idéalement" 7 jours minimum. Les retours d’un weekend reste déconseillé d’un point de vue sanitaire. Mais une certaine souplesse est tolérée en fonction des situations.
Le 4 juin, un complément à cette circulaire a été rédigé par la ministre. Christie Morreale y permet une "marge d’appréciation" qui prend en compte les réalités et les spécificités de chacun. Elle demande aussi que les directions concertent les familles et le personnel pour organiser ce déconfinement. Pour les autorités, les personnes handicapées doivent en tout cas bénéficier des mêmes droits que n’importe quel citoyen.
L’AVIQ insiste sur la nécessité de mettre en œuvre le déconfinement
L’Agence wallonne pour une vie de qualité (AVIQ) qui est en contact avec les différents services nous confirme cette volonté. "Sur base de circulaires envoyées aux services, nous avons autorisé les visites depuis le 15 mai et les retours en famille depuis le 26 mai", indique Séphora Cekevda, gestionnaire de projets au service communication de l’AVIQ.
"Lors d’un envoi adressé le 4 juin à tous ses services d’hébergement pour personnes en situation de handicap, l’AVIQ a souhaité insister sur la nécessité de mettre en œuvre le déconfinement et de respecter ces circulaires. En effet, à l’heure où le déconfinement se généralise et où chacun peut retrouver sa famille, il n’est plus compréhensible que des résidents soient "interdits" de retours dans celle-ci ou qu’il ne soit pas procédé à des réadmissions ou de nouvelles admissions au sein des services", ajoute-t-elle.
Des directeurs restent face à des problèmes: "Je n’ai pas assez de personnel"
Dans la pratique, cela ne semble pourtant pas si simple. En tout cas pas pour tout le monde. Eric Willaye souligne des mesures qui sont des obstacles pas toujours franchissables. "Les consignes sont assez claires et on s’adapte au mieux à la situation. Pour les retours en famille, la préconisation est une période de minimum 7 jours. Ce qui peut être compliqué voire impossible pour certaines familles", assure le directeur. L'AVIQ répond en assurant que ce nombre de jours est une recommandation et non pas une obligation.
Mais c'est surtout une autre mesure, cette fois obligatoire, qui empêche ce directeur de pouvoir faire fonctionner normalement le Condorcet, la villa où est hébergée Delphine. "Habituellement, ses quatre résidents se rendent au centre de jour Le Relais pour les activités où il y a aussi d’autres jeunes. Et les autorités demandent de ne pas les accueillir dans les mêmes locaux. Mais pour nous, c’est impossible. Je n’aurais pas assez de personnel pour maintenir des silos à la fois pour les bénéficiaires et le personnel. Quand ce cloisonnement sera fini, on pourra le faire, mais visiblement cette contrainte qui est mentionnée dans la circulaire est toujours en vigueur", indique Eric Willaye.
Retour des activités cinq jours par semaine d’ici le 15 juin
Par contre, les activités au Relais pourront bientôt reprendre complètement. "Pour le 15 juin, le temps de bien s’organiser, elles seront à nouveau organisées 5 jours par semaine, avec toutes les mesures sanitaires. Les familles sont contactées individuellement pour connaître leur souhait", se réjouit le directeur.
La maman de Delphine n’a pas hésité très longtemps. "On préfère qu’elle puisse participer aux activités la journée au Relais plutôt que de rester au Condorcet les soirs", confie la quinquagénaire. "Mais je vous avoue que je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas possible d’y retourner comme avant. C’est débile. Notre foyer peut maintenant accueillir dix personnes par semaine. Ma fille voit donc plus de monde à la maison qu’au centre où ils ne sont que quatre résidents", déplore Martine.
"Cela demande un aménagement qui n’est pas possible actuellement", répète Eric Willaye. "Mais comme toutes les règles changent vite et que le déconfinement évolue, la situation va peut-être encore changer les prochains jours. Je me tiens informé en tout cas", assure-t-il.
"Les visites des proches débutent, mais le retour en famille, on n'en est pas encore là"
De son côté, la directrice du Chèvrefeuil à Spa est plutôt étonnée. Lundi dernier, elle n’avait toujours pas reçu de courrier de la part de l’AVIQ et affirme ne pas être au courant des dernières directives. Dans son établissement, seules les visites des proches sont désormais possibles.
"Je viens de mettre en place les visites des familles qui reprennent cette semaine. Nous avons installé un parloir avec du plexi dans une petite maison. Ces visites ont lieu sur rendez-vous et sont limitées dans le temps car nous devons désinfecter entre chaque visite. Il y a aussi notamment une déclaration sur l’honneur à signer. Tout ça est un peu procédurier mais nous n’avons pas le choix", explique Marie-Pierre Verwhilghen.
"Par contre, le retour en famille, on n’en est pas encore là. C’est la même chose pour les personnes qui sont dans leur famille et qui demandent de revenir chez nous. Les allées et venues, ce n’est pas encore pour tout de suite. Et je suis incapable de donner une réponse quant à une date éventuelle", regrette la directrice qui confie recevoir pas mal d’interrogations à ce sujet.
Nous avons eu plusieurs cas positifs parmi nos résidents. Deux personnes ont été hospitalisées et sont malheureusement décédées
"Nous sommes hyper prudents après ce que nous avons vécu"
Visiblement, tout le personnel est encore fort affecté par la crise sanitaire qui a touché cette institution de plein fouet. "Nous avons eu plusieurs cas positifs parmi nos résidents. Deux personnes ont été hospitalisées et sont malheureusement décédées. D’autres ont présenté des symptômes plutôt légers. Nous sommes donc hyper prudents. On marche sur des œufs même si nous avons tous été testés récemment et que les résultats sont négatifs", confie Marie-Pierre Verwhilghen.
En temps normal, le Chèvrefeuil accueille 24 résidents, mais ils ne sont que 15 pour le moment. Parmi eux, il y a donc Magalie. "Certains sont hospitalisés pour une autre raison que le Covid-19, deux sont décédés de ce virus et d’autres se trouvent chez eux", précise la directrice.
Pour éviter le pire, elle avoue préférer y aller pas à pas. Une étape après l’autre. "Depuis trois semaines, les résidents ne sont plus confinés dans leur chambre et on a pu reprendre les activités. Ils ne portent plus de masque, mais le personnel continue de le faire car nous retournons à la maison. Il y a donc un risque. Et comme nous sommes une maison familiale et pas une grosse infrastructure, ce n’est pas facile pour nous de faire respecter toutes les mesures comme la distanciation sociale".
Pour l’AVIQ, une solution rapide doit être trouvée
Pour Jean-Pierre et Chantal, même si la situation s’est améliorée, ce n’est pas suffisant. "Si on rend visite à Magalie, elle voudra rentrer à la maison car c’est ce qui se passe normalement. Et même si elle pouvait revenir sept jours, on craint qu’elle ne voudra pas rentrer. Quand elle vient un weekend, elle est habituée de repartir mais si elle reste plus longtemps, elle va difficilement accepter un retour dans le centre", anticipe Jean-Pierre.
"Ce n’est pas facile pour elle de comprendre la situation. J’ai peur que cela perturbe son équilibre. On préfère attendre encore 2-3 semaines pour revenir à la situation habituelle", ajoute son beau-père. La directrice espère pouvoir en discuter avec eux.
Pour l’AVIQ, une solution doit vite être trouvée. "Nous invitons les familles à prendre contact avec nous si la situation n’était pas rapidement résolue", conseille Séphora Cekevda.
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