Un nuage noir, un bourdonnement assourdissant... Un essaim d'abeilles a fait une arrivée très remarquée dans la vallée du Geer, en province de Liège. Ali a assisté à leur installation dans l'une de ses ruches et nous a raconté ce qu'il a vu.
Il y a quelques semaines, Ali et l’un de ses locataires ont assisté à un spectacle naturel impressionnant. Ils ont vu arriver un nuage d’abeilles qui a ensuite pris possession d’une des ruches du premier. "Dans le village de Wonck, à 3 km de chez moi, un essaim d'abeilles s'est envolé, il y avait presque un nuage en direction de ma ferme. Des personnes ont vu ça, ils m'ont dit que c'était très impressionnant, ils ont eu très peur", nous a-t-il décrit via le bouton orange Alertez-nous.
Ali est un Bruxellois de naissance venu s’installer dans la vallée du Geer, en province de Liège, il y a de nombreuses années. C’est un passionné de nature qui réserve une partie de son jardin aux papillons et aux hirondelles et qui possède plusieurs ruches. L’hiver dernier, les abeilles d’une de ses ruches sont mortes. "Je les ai traitées contre le varroa (NDLR: une espèce d'acariens parasites de l'abeille adulte) pourtant, mais ça n’a pas suffi. Je crois que la reine était trop vieille, elle avait déjà 3 ans, nous explique-t-il. Il y avait beaucoup de miel dans la ruche et je n’ai pas eu le temps de l’enlever. Je l’ai déplacée il y a quelques jours de mon jardin jusque sous mon carport."
(Image d'illustration d'un essaim d'abeilles en vol)
"C'est vraiment extraordinaire !"
La nature a alors fait le reste et c’est un homme heureux qui a vu une nouvelle colonie d’abeilles prendre possession des lieux. "Ouf, incroyable, mais vrai ! Comment est-ce possible qu'une reine sente le miel aussi loin de là. La vie, c'est vraiment extraordinaire !", s’est-il exclamé. Pourtant, ce spectacle auquel a assisté Ali est tout à fait habituel. Dans le cycle de l’abeille nidifère, à chaque naissance d’une nouvelle reine, une nouvelle colonie est créée et s’établit dans un nouvel endroit, c’est ce qu’on appelle l’essaimage.
Si Ali et son locataire ont été témoins de cet essaimage, c’est parce que c’était la période la plus favorable. "L’essaimage peut arriver deux à trois fois par an, mais la saison la plus propice, c’est mai et juin et particulièrement de mi-mai à mi-juin. C’est la saison où le premier couvain mâle a émergé et les premières cellules royales ont été produites. Il va y avoir la période de fécondation et une fois qu’il y a eu la période de fécondation, les premiers essaims partent", décrit Grégoire Noël, doctorant au service d’entomologie fonctionnelle et évolutive de l’ULg-Gembloux.
Comment se passe cette fécondation?
Pour qu'il y ait fécondation, il faut que la nouvelle reine s'accouple avec un mâle. Elle ne le fait qu'une fois dans sa vie lors de ce que l’on appelle le vol nuptial. Elle sort de la ruche, vole à la verticale à plusieurs dizaines de mètres de hauteur et émet des phéromones pour attirer les mâles aux alentours. La reine peut alors se faire féconder par plusieurs d'entre eux. Elle emmagasine tout le sperme nécessaire pour toute sa vie dans sa spermathèque.
Par ponte, la reine ne peut libérer que des mâles ou des femelles, pas les deux en même temps. C’est donc la ruche qui décide de quoi elle a besoin à quel moment. "Nous les êtres humains, on a deux paires de chromosomes et pour différencier le mâle de la femelle, il y a le chromosome Y et le chromosome X. Chez les abeilles, ce n’est pas du tout pareil, souligne M. Noël. Il n’y a que les femelles, reines comprises, qui ont un double chromosome. Les mâles, ils n’ont qu’un simple chromosome, donc ils ont les chromosomes divisés par deux. Il y a une fécondation à l’intérieur des ovaires de la reine qui ne produit que des femelles. Une fécondation entre le gamète mâle et le gamète femelle, ça ne produira que des femelles. Et s’il n’y a pas de fécondation, elle ne produira que des mâles. La reine a un clapet qu’elle ouvre ou ferme en fonction de si la colonie a besoin d’ouvrières ou si elle a besoin de mâles."
"La première reine qui sort va tuer les autres reines possibles dans leur cellule royale"
Pour que de nouvelles reines soient créées, il faut que les œufs pondus soient femelles et qu’ils soient nourris à la gelée royale par les ouvrières. "La colonie va élever des nouvelles reines, il va y en avoir plusieurs qui vont être produites. Celle qui va être la première à sortir de sa cellule va aller tuer toutes les autres reines possibles dans leur cellule royale. Dans les jours qui suivent, la jeune reine va se faire féconder par des mâles en dehors de la colonie et elle va revenir dans la colonie. À ce moment-là, les ouvrières vont comprendre que la nouvelle reine est fécondée et elles vont pousser l’ancienne reine à partir et donc à essaimer. C’est comme ça qu’une colonie se reproduit", explique Grégoire Noël.
(cellule royale)
La danse de l'abeille
Une partie de la colonie suit alors la reine-mère pour l’aider à en créer une nouvelle. Toutes ces abeilles vont d’abord devoir trouver un autre endroit où s’établir. Pour ce faire, elles ont un système très efficace et plutôt rigolo. "Il y a un choix qui doit être fait de la part des ouvrières pour savoir quelle est la meilleure maison. Comme si, nous, on allait sur Immoweb et qu’on recherchait un appartement, les abeilles vont faire pareil. Elles vont faire un choix très rationnel, elles vont regarder un peu tout ce qu’elles ont autour de leur environnement et elles vont choisir la maison la plus adaptée et la plus adéquate à leurs besoins pour la nouvelle colonie avec l’ancienne reine", détaille M. Noël.
Une fois que les abeilles éclaireuses ont trouvé l’endroit qu’elles jugent idéal, elles reviennent là où se trouve l’essaim de la reine-mère. Elles se lancent alors chacune dans la danse de l‘abeille pour expliquer ce qu’elles sont trouvé. "Les autres savent qu’en fonction de tel ou tel code de la danse de l’abeille, le nouvel emplacement aura telle ou telle caractéristique. Lorsqu’elles ont choisi, elles vont toutes vibrer dans le même sens et elles vont aller le choisir. Il se peut que l’abeille A qui a été visiter le point A revienne et soit complètement en contradiction avec l’abeille B qui a visité le point B. Là, il y a plusieurs danses qui se font et si par exemple 40% de la colonie n’est pas d’accord avec les 60 autres pourcents, ça devient un choix démocratique parce qu’à un moment donné, elles vont toutes se mettre d’accord, elles trouvent un consensus. Elles le trouvent par communication chimique et par la danse de l’abeille", détaille encore le doctorant.
(Danse de l'abeille)
Si la ruche d'Ali a été choisie, ce n'est pas un hasard
Lors de cette élection de nouveau domicile, les abeilles privilégient les nids où il y a de la cire et du miel, parce que ce sont des choses qui coûtent le plus d’énergie à produire pour se préparer pour l’hiver suivant. C’est sans doute pour cela que la ruche d’Ali a trouvé grâce aux yeux de l’essaim. Ses abeilles étaient mortes l’hiver dernier, laissant une grande quantité de miel et de cire qu’il n’avait pas encore eu le temps d’enlever.
"C’est très impressionnant, ça fait peur parce qu’on croit qu’on peut se faire piquer"
Une fois que la colonie se met en route vers son nouveau logement, son déplacement est impressionnant, car les abeilles sont très nombreuses. "Ça peut être 60% de la colonie qui part, c’est-à-dire de 10.000 à 20.000 individus. C’est très impressionnant, ça fait peur parce qu’on croit qu’on peut se faire piquer, alors que pas du tout, rassure Grégoire Noël. Un essaim, en général, vu que les ouvrières sont gorgées de miel, elles ont plus intérêt à garder le miel et ne pas mourir et donc à ne pas vous attaquer. Évidemment, il ne faut pas les embêter, mais de manière générale elles ne vous feront rien."
"Quand elles sont arrivées, elles ont directement commencé à vider toutes les abeilles mortes"
Quand les abeilles sont arrivées dans la ruche d’Ali, leur réaction l’a étonné. "Au début, elles étaient très agressives. Quand elles sont arrivées, elles ont directement commencé à vider toutes les abeilles mortes à l’intérieur de la ruche. Elles ont fait ça très vite, c’était vraiment intéressant à voir", raconte-t-il.
Lors de leur première installation, les abeilles font effectivement le grand nettoyage de l’endroit qu’elles investissent. Et s’il y a des abeilles mortes, elles les sortent. "Là, ce qui est dommageable, c’est que si la colonie était morte d’une maladie ou a été exposée fortement aux pesticides, tout ça se retrouve encore dans la cire, dans le miel ou même parfois dans le bois et il se peut que la nouvelle colonie qui est arrivée, si elle n’est pas assez forte, elle y passe la saison suivante parce qu’elle est directement infectée", regrette le doctorant.
Espérons que cette nouvelle colonie qui fait le bonheur d’Ali ne soit pas contaminée et résiste à l’hiver.
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