Alors qu'elle pensait avoir trouvé le logement idéal pour son fils Guillaume, Agnès a été la victime d'un escroc qui a réussi à la convaincre d'acheter un "chèque" Western Union, avant de parvenir à encaisser l'argent d'une bien étrange manière. Au bas de cet article, vous trouverez une liste des indices dont il faut se méfier pour ne pas se faire piéger.
Les arnaques en ligne n'arrêteront jamais de faire des victimes, qu'on se le dise. Malgré nos récentes dénonciations, et la présence de nombreux témoignages sur le web, chaque jour des milliers de personnes sont victimes d'escrocs, cachés derrière leur téléphone ou leur ordinateur à l'autre bout du monde.
Agnès est l'une d'elle et son histoire, vous allez le voir, a des côtés étonnants. Cette mère de famille, qui aidait son fils à trouver un appartement à Liège, a finalement perdu 640€ en versant, à son insu, une sorte d'acompte à un faux propriétaire, via Western Union. Un organisme de paiement international dont la réputation semble se ternir chaque jour davantage. Servirait-il essentiellement à transférer de l'argent douteux ?
Un appartement pour son fils
L'histoire est très banale. "Mon fils Guillaume, 22 ans, travaille à mi-temps, et on lui cherchait donc un appartement pas trop cher. On est tombé sur ce qu'on voulait, je savais que l'appartement était à louer car il est situé non loin de mon travail", nous a raconté Agnès, Aide Familiale de 43 ans, après avoir contacté la rédaction de RTL info via la page Alertez-nous.
Tout dans cette annonce, trouvée sur le site internet Jannonce.be, lui parait normal. "Le prix, 325€, était logique pour un petit kot. Les photos correspondaient et il y avait une pancarte sur la fenêtre, dans la rue, j'avais été voir… je n'avais aucune crainte".
Un propriétaire méfiant… qui inspire confiance
Elle contacte donc le propriétaire, un certain Gregory Lefort, qui est accessible uniquement via un email laissé sur le site d'annonces. Rapidement, Agnès obtient son numéro de téléphone (français).
"Il m'explique qu'il est parti habiter Lille, et qu'il veut donc louer son petit appartement à Liège. Il dit qu'il est méfiant et qu'il ne se déplacera pas pour rien pour faire la visite et signer les papiers, car il s'est déjà fait avoir trois fois par des locataires qui n'avaient pas d'argent", poursuit Agnès.
La discussion se passe bien, "c'est un bon échange, il n'a jamais poussé ou insisté pour que je lui loue l'appartement… il avait l'air honnête. J'étais vraiment sûre de parler à la bonne personne".
Il veut une garantie
Le propriétaire évoque ensuite un moyen d'éprouver les intentions d'Agnès, à savoir qu'elle compte effectivement louer l'appartement. "Il voulait une espèce de garantie financière, et comme je ne connaissais pas de système pour faire ça, j'ai écouté sa proposition".
Il lui parle alors de Western Union, un organisme de transfert d'argent à l'international (sans avoir besoin d'un compte en banque) qu'Agnès ne connaissait pas. "Il me dit que je peux aller à la Poste pour faire un chèque".
Les documents envoyés par Agnès au faux propriétaire.
Confiance dans Bpost
Agnès se rend dès lors au bureau de poste près de chez elle pour se renseigner. En effet, il est possible d'acheter des "chèques" Western Union. Elle en achète un d'une valeur équivalente à environ deux mois de garantie, soit 640€.
"J'ai pris tous les renseignements à la poste, le guichetier m'a assuré que si je ne communiquais pas le code inscrit sur le chèque, personne ne pouvait l'encaisser. Et que si finalement je décidais de ne pas prendre l'appartement après la visite, mon fils pouvait récupérer tout l'argent".
Sûre de s'être suffisamment protégée, elle envoie par email les informations demandées par le propriétaire : une photocopie du chèque (avec le code de 10 chiffres, le MTCN, abréviation pour 'numéro de suivi de l'argent', camouflé) et de la carte d'identité de son fils (avec là aussi les informations sensibles camouflées).
Le château de carte s'effondre
Le propriétaire prend alors la peine d'envoyer un bail "presque complet", selon Agnès, mais déjà signé de sa part. "Il l'avait scanné et me l'a envoyé par email. Il m'a dit qu'on signerait l'original sur place, si ça me convenait".
Alors qu'ils estiment être locataires du petit appartement, Agnès et son fils Nicolas se rendent sur place le lendemain. "On sonne et une femme nous répond. Elle dit que l'appartement est loué, et qu'elle y habite".
Le château de carte et les beaux projets de la famille s'effondrent d'un seul coup. "On était les troisièmes à se rendre sur place en pensant être locataire…": le faux propriétaire a donc fait plusieurs victimes.
L'argent a été encaissé d'une manière… improbable
Sentant l'arnaque, Agnès appelle rapidement Western Union pour savoir si son chèque a été encaissé. La réponse est oui, bien entendu. Mais elle aussi complètement improbable.
"Ils m'ont dit au téléphone que le chèque avait été encaissé aux Etats-Unis… par mon fils".
Agnès n'en revient pas. Mais pour Western Union, tout est en règle: celui qui a émis le chèque (Nicolas, le fils d'Agnès) s'est fait rembourser. Et le fait que ce soit à des milliers de kilomètres du bureau de poste de Liège n'a aucune importance.
Elle a ensuite la seule réaction qu'il convient d'avoir dans pareilles situations: aller porter plainte à la police. "Ils m'ont dit qu'il s'agissait bien d'une arnaque assez connue, que les escrocs jouent sur le fait que la poste est un signe de confiance".
Nicolas, le fils d'Agnès, en colère, a rappelé à plusieurs reprises le faux propriétaire, qui a fini par répondre. "Il a dit qu'il fallait lui envoyer plus d'argent, soit le premier mois de loyer ", pour résoudre le problème. Ce fut leur dernière conversation.
Agnès comprend qu'elle ne reverra plus jamais ses 640€…
Une arnaque classique "à la petite annonce"
Voilà pour l'histoire. Nous allons maintenant tenté de comprendre ce qu'il s'est passé. Pour les conseils et les indices qui auraient dû alerter Agnès, jetez un œil à notre chapitre Les indices d'une arnaque potentielle en fin d'article.
Agnès et son fils ont été victimes d'une arnaque à la fausse petite annonce, un coup classique. Un escroc publie une annonce sur un site moins connu avec les photos et la description de l'appartement puisée sur un autre site, se faisant passer pour le propriétaire.
Souvent basés dans des pays africains francophones comme la Côte d'Ivoire, et donc facilement identifiables par téléphone (numéro, voix lointaine et vocabulaire de l'interlocuteur), les escrocs sont désormais plus malins, et travaillent de la France (à en croire le numéro de téléphone fourni à Agnès) et des Etats-Unis (où a été retiré l'argent, d'après ce que Western Union a expliqué par téléphone).
Avec Western Union, on ne sait pas (toujours) où va l'argent
Pour comprendre comment le faux propriétaire est parvenu à encaisser l'argent d'Agnès sans le fameux code MTCN de 10 chiffres, il faut s'intéresser un peu à Western Union, une vieille société de télégramme qui s'est reconvertie dans le transfert d'argent "cash to cash" (en liquide).
Le principe d'une société qui permet d'envoyer de l'argent à l'autre bout du monde, c'est de pouvoir le faire sans compte en banque. Quelqu'un peut donc aller retirer de l'argent dans l'un des innombrables (486.000) 'points de vente' de Western Union dans le monde.
Théoriquement, dans "la plupart des pays" (comme l'indique Western Union sur son site sénégalais) un numéro de suivi et une pièce d'identité sont nécessaires pour recevoir l'argent.
Mais la pratique semble loin de la théorie. Par exemple, "une preuve du vol de la carte d'identité" peut suffire en Belgique si le montant ne dépasse pas 2.500€.
Quelques recherches sur Google, ainsi qu'un reportage d'Envoyé Spécial (datant de 2011), nous prouvent rapidement qu'il est possible de recevoir de l'argent avec uniquement le numéro de suivi, ou uniquement une copie de la carte d'identité du destinataire… moyennant la complicité de l'agent Western Union qui prendra une petite commission au passage.
On comprend donc mieux comment a agi le faux propriétaire, et pourquoi il voulait une copie de la carte d'identité de Nicolas, l'émetteur du chèque Western Union via un guichet Bpost à Liège.
Un complice du faux propriétaire (on l'imagine) s'est rendu dans un agence Western Union aux Etats-Unis, où il s'est fait passer pour Nicolas grâce à la copie de sa carte d'identité, et a demandé le remboursement du chèque…
Il ne faut jamais donner d'acompte à un propriétaire
Il convient également de remettre les choses dans leur contexte légal. Dès qu'on parle de location d'un appartement ou d'une maison, la notion même d'acompte, voire dans le cas d'Agnès de dépôt de garantie pour prouver ses capacités financières, n'a pas lieu d'être.
En aucun cas vous ne devez verser de l'argent à l'avance au propriétaire. La loi prévoit (mais n'impose pas…) une garantie locative.
Ce dépôt de garantie, destinée à couvrir d'éventuels dégâts causés par le locataire, est encadré par des règles précises. Il en existe plusieurs types, comme le détaille cette brochure récente du SPF Justice.
La plupart du temps, un compte en banque spécifique est ouvert au nom du locataire, qui y dépose l'équivalent de deux mois (d'un seul coup) ou de trois mois (en plusieurs mensualités) de loyer. Le montant est bloqué jusqu'à ce qu'il soit libéré de commun accord avec le propriétaire à la sortie du bail.
"Un acompte n'a aucun sens", mais…
L'asbl 'Syndicat des locataires', active à Bruxelles, nous a confirmé que "verser un acompte n'avait aucun sens". Mais selon son secrétaire général, José Garcia, "tout est possible et imaginable".
Car "c'est la dure loi de l'offre et la demande", donc certains propriétaires demandent ce genre de versement à l'avance, pour "inciter le locataire" à donner suite à sa démarche. Ou si l'on veut, pour s'assurer que le locataire est sérieux.
M. Garcia "conseille de ne pas accepter le principe". Si le propriétaire fait jouer la demande importante pour son bien en demandant un acompte, il ne faut " surtout pas accepter via Western Union".
Conclusion
Agnès pensait avoir trouvé l'appartement idéal pour son fils, mais elle est tombée sur une escroquerie bien ficelée. Ignorant tout de la réputation sulfureuse de Western Union, elle a envoyé une photocopie d'un chèque tout en dissimulant le code normalement nécessaire à son encaissement.
Mais le faux propriétaire, à l'origine de la fausse annonce sur un site belge peu connu (Jannonce.be) avait des ressources: il est parvenu à encaisser les 640 euros, sans doute grâce à la complicité d'un agent Western Union peu scrupuleux aux Etats-Unis (et à la photocopie légèrement floutée de la carte d'identité envoyée par Agnès…).
A bien comprendre le fonctionnement de Western Union, on a l'impression qu'une fois l'argent dans le "circuit" de cette société de transfert d'argent (soit au moment où Nicolas a acheté son chèque au bureau de poste à Liège), la sécurité de cet argent n'est plus du tout garantie…
Ce nouveau témoignage nous rappelle également qu'on n'est jamais assez vigilants dans le cadre d'une petite annonce sur le web (voir ci-dessous).
Quant à Agnès, dépitée, elle nous a contactés "pour que ça n'arrive pas à d'autres", et pour crier haut et fort qu'il ne faut "jamais faire confiance à Western Union".
Les indices d'une arnaque potentielle
Le propriétaire est basé à l'étranger, et accessible uniquement par email dans un premier temps, puis via un téléphone français. Méfiance: mieux vaut rester dans le cadre de la Belgique et pouvoir identifier rapidement et clairement la personne à qui on va louer un bien.
Le site Jannonce.be n'a pas un look très professionnel… Faites confiance à une concurrence plus solide (immoweb, 2emain, immovlan, airbnb, etc…), même si elle n'a pas de moyens supplémentaires pour identifier facilement un fausse annonce. Seule une agence immobilière apporte cette garantie (elle connait le propriétaire et, a priori, a déjà visité le bien mis en location).
Western Union. Ces deux mots, nous l'espérons à force de communiquer sur le sujet, doivent toujours éveiller les soupçons. En soi, l'organisme américain n'est pas une arnaque, mais il est très utilisé par les escrocs car il est possible d'envoyer et de recevoir de l'argent de manière pratiquement anonyme. Il ne nécessite pas de compte en banque ! Dites-vous bien que l'intérêt premier de Western Union est d'envoyer de l'argent à l'étranger, à des proches qui sont en dehors du système bancaire (ou qui ont perdu leur portefeuille, par exemple). Donc – a priori – vous ne devriez pas être appelé à l'utiliser dans votre vie…
Envoi d'une photocopie numérique de documents d'identité au propriétaire que vous ne connaissez pas: à éviter. C'est comme ça que commence l'usurpation d'identité. N'envoyez ce genre de scan ou de photocopie qu'à une société (une banque, par exemple) ou à des personnes que vous connaissez.
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