La jeune entreprise 87 seconds, spécialisée dans la vidéo explicative à destination des entreprises, est installée dans le quartier Dansaert, à Bruxelles. Loin de l'image des entrepreneurs à succès qui n'hésitent jamais à le rappeler, les deux administrateurs, Thibaut et Philip, cultivent le bien-être au travail avant tout. Et ça marche. Le monde de l'entreprise 2.0, c'est l'avenir, tout simplement…
Les récentes annonces de fermeture de l'usine Caterpillar de Gosselies, ou de digitalisation du secteur bancaire (ING, AXA, etc), nous rappellent que le monde du travail est cyclique, et en constante évolution.
Tous ceux qui restent figés dans un modèle inadapté à la société actuelle (elle aussi en évolution permanente), doivent un jour ou l'autre faire face à la réalité.
Le gros avantage des start-ups, ces petites entreprises qui pullulent partout dans le monde en s'inspirant d'un modèle californien qui sent bon la cantine bio de Facebook ou Google, c'est de partir d'une feuille blanche. "From scratch", diraient les jeunes entrepreneurs, qui aiment utiliser le jargon anglais en provenance de la côte ouest des Etats-Unis.
Les modes de fonctionnement des entreprises, les processus de prise de décision, la gestion des ressources humaines… tout peut être repensé. Au final, en effet, on rejoint le cliché des bureaux de start-up de la Silicon Valley, avec un patron en chemise à fleurs et des employés qui travaillent avec leur MacBook Air sur une table de pique-nique en écoutant du jazz. Mais le travailleur est mis au centre de l'entreprise, et on prend vraiment soin de lui. Et ça, ça change tout…
Philip Swinnen et Thibaut Dehem, pas trop stressés
87 seconds
Depuis quelques années, ces jeunes entreprises qui n'ont besoin que d'une idée et de quelques soutiens financiers (désormais "faciles" à trouver dans le privé), se multiplient en Belgique. Nous n'avons dû faire que quelques kilomètres pour rencontrer les responsables de 87 seconds, une start-up située dans le quartier Dansaert, le long du canal à Bruxelles. Un quartier dit "créatif", en pleine reconstruction, tant au niveau du paysage que du socio-économico-culturel.
87 seconds, c'est une entreprise de 40 personnes (dont la moitié à Paris depuis quelques temps) qui fait de la vidéo explicative. Un mélange d'images de synthèse et d'images réelles, en format 'web' et à destination des entreprises. Le concept cartonne actuellement, que ce soit pour de la communication interne ou pour de la publicité.
Le tout est intégré dans une plateforme web très pratique pour le client comme pour l'équipe de 87 seconds.
Comment Thibaut a-t-il eu l'idée ?
C'est Thibaut Dehem, aujourd'hui 28 ans, qui a fondé l'entreprise en 2012. "Après mes études de gestion à Solvay, je ne voulais pas travailler directement. On a décidé avec un ami de faire le tour du monde en vélo. On est parti 9 mois avec un projet en tête: découvrir le monde entrepreneurial. On a même écrit une chronique dans L'Echo", nous explique ce jeune patron, tenue décontractée et visage accueillant. Bien loin de l'image bling bling du jeune requin aux dents longues qu'on croise encore bien souvent.
Après un an dans une grande entreprise, il "devenait fou", frôlant "la dépression", sourit-il. "J'aime quand les choses bougent, j'aime prendre des risques, j'aime foncer". Il s'est intéressé à quelques projets avant de recevoir le soutien de "deux business angels". C'est le nom qu'on donne aux entrepreneurs ayant déjà réussi financièrement (ou simplement aux gens ayant les moyens d'investir à risque), et qui utilisent leur argent pour soutenir des projets auxquels ils croient.
"On a parlé de la vidéo explicative, qui à l'époque faisait un carton" en Californie. "On s'est rendu compte que c'était difficile car il y avait beaucoup de besoins humains. Donc on a discuté et on a restructuré le processus"
Une salle de réunion... unique
Une croissance rapide
87 seconds était né, "avec seulement 40.000€". La start-up étant dans le domaine du "service" (et non dans la fabrication d'objet), les besoins financiers n'étaient pas gigantesques. Thibaut a donc gardé une certaine liberté dans son évolution, sans devoir rendre trop de comptes à des investisseurs. "Les business angels ne viennent que quelques fois par ans, pour qu'on discute des pistes d'avenir".
Les premiers jours de Thibaut étaient un peu spéciaux. "J'étais tout seul au début, avec mon ordinateur". Le premier client fut une société de co-voiturage. La vidéo date de 2012 ("plus vraiment au goût du jour, du coup", prévient-on du côté de 87 seconds) :
Puis les choses se sont accélérées rapidement. Le premier "employé" fut Philip Swinnen en 2013, qui par la suite est devenu administrateur délégué, aux côté de Thibaut. Les clients se sont enchaînés, tout comme les ouvertures de "bureaux" à l'étranger.
"En 2012, on était 5 temps plein. On est 40 en 2016, dont 20 à Paris", où le bureau a pris un essor très rapide. "On a une personne à Amsterdam, trois à Genève et trois à Lyon". Les structures de ces bureaux décentralisés sont évolutives, selon le succès rencontré.
Et si le secret de la réussite, c'était l'humain ?
Voilà pour la belle histoire. Mais ce qui nous a frappés lors de notre rencontre avec les responsables de 87 seconds, c'est que ces deux jeunes, qui tournent autour de la trentaine, ont une approche très humaine du monde de l'entreprise.
"Le produit, on sait qu'il va continuer à avoir du succès. La vidéo d'entreprise, c'est un marché qui monte. Ce qui compte, maintenant, c'est de recruter les bonnes personnes", nous a expliqué Thibaut.
Et quand on a les bonnes personnes, il faut les garder. Ce n'est pas qu'une question d'argent, visiblement. Ni d'infrastructure. Les nouveaux bureaux de 87 seconds, après un quatrième déménagement, sont dans un ancien… club de squash. Le décor est original, avec un terrain transformé en salle de réunion et un autre en salle de tournage. Mais ne cherchez pas le moindre signe extérieur de richesse ou de réussite.
La carte, les clés, le bar...
A bien écouter la philosophie de Thibaut et Philip, le plus important, c'est l'ambiance de travail, la gestion du personnel dans le sens originel du terme. "On donne directement des responsabilités aux gens. Même un nouvel 'account' (un commercial) va gérer le suivi du client de A à Z". Idem pour la partie technique, où les développeurs et designers ont "leur" client, et sont impliqués dans tout le processus.
De la responsabilité accompagnée de confiance. Il y a un bar rempli de bières dans la salle centrale. "Et chaque vendredi, c'est une équipe différente qui fait à manger. L'après-midi, c'est workshop (atelier)".
Sur ce bar trône une vieillie coupe. Et dedans, une carte de crédit et les clés d'un scooter. "On laisse ça à disposition de ceux qui en ont besoin, par exemple pour acheter un plug-in vidéo sur internet, ou pour aller chercher ou déposer quelque chose pas loin. Les gens se servent, ils remettent en place. Il n'y a jamais eu de problème", explique Thibaut.
Ils seraient plus riches dans une multinationale
Si tout ça fonctionne aussi bien, c'est aussi parce que les deux responsables ne jouent pas au petit chef. "On n'est vraiment pas dans une organisation hiérarchique ou pyramidale. Pour que ça marche, il faut mettre un maximum son ego de côté", trouver les bonnes personnes, et assurer une bonne ambiance de travail.
"La qualité du produit, c'est le talent des gens", résume Thibaut, qui avoue passer "80% de son temps à faire de la ressource humaine".
Très honnêtement, les deux responsables expliquent qu'ils "auraient certainement gagné beaucoup plus d'argent dans une grosse multinationale", et que les bénéfices sont majoritairement réinjectés dans l'entreprise. "Certains patrons, dès qu'il y a du gras, ils mettent en poche. Nous, on investit".
C'est là que les vidéos sont produites
L'Europe va dans ce sens
L'économie et la société ont changé. Pour un Caterpillar qui paie peu d'impôts puis délocalise, il faudra des dizaines de start-up comme 87 seconds, quel que soit le domaine d'activité. Mais la clé d'une relance économique et d'un avenir meilleur, il faut aller la chercher dans le concept reproduit par cette start-up bruxelloise.
Les autorités politiques l'ont compris. La Commission européenne a dévoilé récemment un nouveau paquet de réformes de l'impôt sur les sociétés destiné à lutter contre certaines pratiques fiscales agressives des multinationales, tout en proposant des coups de pouce pour les jeunes entreprises innovantes.
On va dans le bon sens, donc, mais on attend encore du concret.
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