Un jour à oublier. Dans une vidéo postée sur Facebook, un vendeur ambulant à Charleroi fait le bilan de la réouverture dimanche de son commerce au sein du marché. Entre files importantes à l'extérieur et allées vides à l'intérieur, cette journée était une véritable "catastrophe", selon lui.
Depuis le lundi 18 mai, la réouverture des marchés est autorisée en Belgique dans le cadre de la phase 2 du déconfinement. Ce dimanche 24 mai, c’était au tour du marché dominical de Charleroi de faire son retour. Tout ne s’est pas passé comme certains l’avaient imaginé à en croire certains témoignages notamment sur les réseaux sociaux ou via le bouton orange Alertez-nous.
Pas la même dedans que dehors
Damien est l’un des vendeurs ambulants en question. Avec ses deux employées, il vend des hamburgers et des frites. Il a mis en ligne une vidéo sur Facebook longue de 6 minutes où il fait un constat sans appel de cette réouverture (voir vidéo en haut de l’article). Il pointe du doigt la gestion du flux de clients. "De la place, il y en a. On ne saurait pas se cogner", ironise-t-il tant les artères paraissent vides. Tour à tour, il passe devant chaque étal du marché. Et partout, on observe une faible présence de la clientèle, des files inexistantes.
"Il faut pratiquer la distanciation, je comprends. Mais il ne faut pas non plus déconner, les allées sont vides"
Au même moment à l'extérieur de l'enceinte du marché, on voit sur la vidéo une queue importante. "Les gens quand ils voient la file, ils partent. C’est ça la folie. Et à midi, il faut ramasser", fait remarquer l'un des maraîchers interrogés par Damien dans sa vidéo. Le vendeur de frites enchaîne: "C'est affreux, c'est la fin du monde. Une catastrophe. (…) Il faut s'organiser, je suis d’accord. Il faut pratiquer la distanciation, je comprends. Mais il ne faut pas non plus déconner, les allées sont vides."
Des conditions strictes
Pour la Fédération nationale du commerce ambulant, le problème de la situation dépeinte par Damien dans sa vidéo, c'est le système de comptage. Pour rappel cette réouverture des marchés était sous conditions strictes: jusqu'à cinquante échoppes permises moyennant le feu vert des autorités locales. Un plan de circulation devait être élaboré. Le port d'un masque était obligatoire pour les commerçants et fortement conseillé pour les clients. Afin de faire respecter la distanciation sociale toujours d’application et de gérer le flux de clients (entrées et sorties), gardiens de la paix et policiers étaient présents à l'entrée du marché. Léonard Monami est le président de la fédération. Pour lui, la distanciation sociale provoque un calcul injuste: "Il doit y avoir 1 mètre 50 entre chaque badaud aux étals." Par exemple: si un étal est long de 15 mètres, maximum 10 personnes pourront en profiter. Ajoutez à cela qu'un espace de 3 mètres était imposé entre chaque étal. Résultat du calcul, on ne peut faire rentrer qu'un nombre faible de clients, selon Léonard Monami.
C'est discriminatoire par rapport aux grandes surfaces où ils peuvent accueillir une personne par 10m2
Aucune différence scientifique
La Fédération met en évidence un autre élément, soulevé également par des messages reçus par notre rédaction: "C'est discriminatoire par rapport aux grandes surfaces où ils peuvent accueillir une personne par 10m². En plus, sur les marchés nous sommes en plein air. Pourquoi a-t-on rendu plus contraignant l'exploitation des marchés - en plein air - que les espaces confinés comme les magasins et grandes surfaces ?" Cette question nous l'avons soumise à Yves Van Laethem, infectiologue et porte-parole inter-fédéral Covid-19. Y aurait-il une explication scientifique ? "Pour moi il n'y a pas de différence. Médicalement parlant à partir du moment où la structure est surveillée par l'une ou l'autre personne comme les agents de la paix et que ça ne dérape pas – il n'y a pas de raison de faire une différence entre un commerce fermé où l'on vendrait des légumes et un commerce ouvert dans un marché."
D'autant que les marchés ont lieu à l'air libre. "C'est mieux que d'être enfermé. Dans les choix faits il y a eu des priorités. L'ordre des priorités est une discussion politique mais pas du scientifique", ajoute l'infectiologue qui émet alors une hypothèse. "Au départ, un marché c'est le brouhaha. Tout le monde se presse, on se glisse entre deux caravanes, etc. C'est l'image même de ce qu'on ne veut pas avoir. C'est probablement ça qui a bloqué les esprits." Et l'infectiologue de rappeler : "Si le marché se coordonne bien, s'auto discipline, il n'est pas plus risqué qu'un magasin."
Sur ce choix politique, le 10 mai dernier sur le plateau de "C'est pas tous les jours dimanche", Erika Vlieghe, infectiologue et présidente du groupe d'experts chargés de préparer le déconfinement (GEES) rappelait le caractère neutre de sa mission balayant l'idée de favoriser un secteur plutôt qu'un autre. (>Lire l'article)
La régularité récompensée
Habituellement, le marché de Charleroi peut accueillir jusque 350 échoppes. Mais avec les normes imposées par le Conseil nationale de sécurité (CNS), il en est réduit à 50. La Ville de Charleroi a fait le choix de récompenser l'assiduité des maraîchers. Mahmut Dogru est l'échevin en charge notamment des marchés à Charleroi. "Nous avons sélectionnés les maraîchers sur base du taux de présence en 2019. Prendre des règles qui conviennent à tout le monde, tout en sachant qu'on ne peut en prendre que 50… il était évident qu’on n'allait pas contenter tout le monde."
Entre deux eaux
Impossible pour l'instant de chiffrer le taux de fréquentation ainsi que le manque à gagner des vendeurs dominicaux. Mahmut Dogru dit comprendre la colère de Damien: "Ce ne sont pas des décisions que nous avons prises" faisant référence aux conditions imposées par le fédéral. "Par contre c'est nous qui devons les appliquer. Nous sommes sur le terrain et nous entendons les coups de gueule (…) Nous sommes entre le marteau et l'enclume. Il y a d'un côté le CNS et les maraîchers de l'autre. Nous, nous sommes au milieu à essayer de faire respecter ces consignes. C'est une situation très inconfortable. Mais jamais je ne voudrais mettre en péril l'avenir des maraîchers parce qu'on n'aurait pas pris au sérieux les mesures du CNS."
Le prochain Conseil national de sécurité aura lieu le 3 juin prochain. Rien n'empêche qu'un assouplissement des règles y soient discuté même si pour l'instant aucun élément n'abonde dans ce sens.
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