La grève dans le milieu de l'enfance ce jeudi aura permis au secteur d'afficher différentes revendications. Pour Mandy, Virginie et Josiane (prénom d'emprunt), des accueillantes d'enfants à domicile, un problème majeur n'a pas été suffisamment mis en lumière. Alors que la réforme des milieux d'accueil aurait dû leur permettre de passer sous statut salarié d'ici 2025, elles apprennent que cette "promesse" ne pourrait pas être tenue par les autorités compétentes. Témoignages et explications.
Les fédérations d'employeurs et les organisations syndicales du secteur de l'Enfance ont uni leurs forces ce jeudi pour alerter sur leur situation difficile. Des arrêts de travail ont eu lieu dans des milieux d'accueil et les Services de promotion de la santé à l'école (PSE).
Sous-financement, conditions de travail pénibles, salaires bas, fins de carrière difficiles,... les problèmes sont structurels.
Ce jeudi, Mandy, Virginie et Josiane (prénom d'emprunt), des accueillantes d'enfants, ont décidé de contacter notre rédaction pour nous parler de ce qui leur tient le plus à coeur: obtenir un véritable statut.
Actuellement, les accueillantes d'enfants conventionnées par l'ONE (Office national de l'enfance) ont le droit d'accueillir des enfants de 0 à 6 ans. Celles-ci sont rémunérées à la prestation et n'ont pas de revenu fixe. Leur situation étant quelque peu précaire, elles sont ainsi nombreuses à réclamer un statut de salarié.
Ce dossier, sur la table depuis des dizaines d'années, devrait connaître une avancée considérable, mais il pourrait à présent être ralenti. Si certaines accueillantes ont déjà pu signer leur contrat d'employées salariées, ce n'est pas le cas pour tout le monde.
La réforme des milieux d'accueil entamée sous la précédente législature devait initialement permettre à toutes les accueillantes conventionnées de passer sous statut salarié d'ici 2025. Mais cette avancée ne pourrait pas avoir lieu dans ce délai. "800 travailleurs ont déjà pu bénéficier du statut plus intéressant, il reste encore 1.100 conventionnés et avec le budget prévu, seuls 30 pourraient changer de régime chaque année", a indiqué Yves Hellendorff, secrétaire national non marchand pour le syndicat chrétien CNE.
D’ici là, je serai pensionnée
Un véritable coup dur pour Mandy, accueillante conventionnée depuis avril 2016, à Anhée (province de Namur). "Au final, on passe à la trappe. C’est le sentiment qu’on a. J’avais contacté le cabinet de la ministre Linard qui m’a dit qu’on aurait un statut qu’il y aurait une progression, une récompense. Mais apparemment, on fait marche arrière", regrette-t-elle. "Il y aurait encore des statuts mais très peu contrairement à ce qui avait été dit. J'ai l'impression qu'on pourrait encore attendre 30 ans pour obtenir ce statut. D’ici là, je serai pensionnée."
Mandy raconte également ses angoisses, elle qui accueille 5 enfants et s'en occupe 10 heures par jour. "J’ai peur de tomber malade. J’ai attrapé le covid, et j’ai été à l’arrêt durant deux semaines. La fatigue était forte mais je suis retournée au travail car je perdais beaucoup d’argent. Dès qu’un enfant est malade, on ne perçoit rien non plus. Cela fait vite un trou dans le budget du mois. Nous avons aussi besoin d’une reconnaissance."
Pas question pour elle de jeter l'éponge. Son travail est une de ses passions au quotidien. "Je n’arrêterai pour rien au monde ce métier. Parfois, je me dis que je mets ma famille en péril car le salaire n’est jamais deux fois le même. Mais j’aime ce que je fais, c’est une passion. C’est indescriptible tout ce qu’on offre et tout ce que les enfants nous offrent. Une reconnaissance serait la bienvenue. La seule qu’on a, c’est celle des parents qui nous soutiennent. Ce ne sont pas les primes pour couvrir des frais de la crise qui importent, c’est vraiment le statut qu’il nous faut."
J’ai tout claqué pour faire ce métier
A Amay, Virginie exerce cette profession depuis 2017. L'octroi d'un statut marquerait aussi pour elle la fin d'une situation précaire. "Je fais partie des nombreuses accueillantes en Wallonie qui n’ont pas encore eu accès au statut. On me le promet depuis 4 ans... J’ai un salaire toujours variable et le fait de ne pas être reconnue me ferme des portes notamment auprès de ma banque. On n’existe parfois pas aux yeux de la société."
Après avoir changé de vie pour devenir accueillante d'enfants, elle regarde l'avenir avec davantage d'inquiétude. "J’adore mon métier. J’ai tout claqué pour faire ça. J’ai acheté une maison pour avoir une surface de vie suffisamment grande pour que ma famille ait aussi son espace sans se retrouver au milieu des jeux. J’ai changé de vie pour mon travail, mais je me rends compte que je n’irai peut-être nulle part. Je travaillais dans des archives d’hôpital avant, j’ai repris des études pour devenir accueillante conventionnée. Maintenant, on me dit que le statut promis pourrait ne pas arriver..."
Je ne sais pas ce que je vais devenir
Même son de cloche auprès de Josiane, dans la région de Charleroi. "J’ai débuté ce métier il y a 10 ans par amour des enfants, et chaque mois, c’est un peu la galère pour savoir ce qu’on va toucher. Après l’annonce que le passage au statut pourrait être ralenti, je ne sais pas ce que je vais devenir. Je n’ai pas fait grève ce jeudi car je n’aurais rien gagné comme argent. Mais j’étais solidaire avec ce mouvement."
Elle met une déception en avant: "On a beaucoup entendu parler des crèches qui font grève. Mais il faut savoir que les puéricultrices ont un salaire tous les mois, que les enfants soient présents ou pas. Ce ne sont pas les mêmes revendications que les nôtres. Il n’est pas logique qu’en 2021, il y ait des travailleurs qui n’aient pas de contrat de travail et de sécurité. Nous sommes dans une situation précaire en tant que travailleur."
Si elles doivent encore attendre 10 ans, c'est un gros coup dur
De leur côté, les syndicats se disent inquiets quant à l'avenir de la réforme des milieux d'accueil (crèches et accueillantes à domicile) votée par la précédente majorité. La négociation du contrat de gestion de l'ONE (Office de la naissance et de l'enfance) pour la période 2021-2025 est vue comme une menace car "le financement de la réforme serait passé de 125 millions à 50 millions d'euros." Plusieurs chantiers seraient mis à mal dont le passage de nombreuses accueillantes conventionnées au statut de salariées.
"Le passage au statut a progressivement été programme jusqu’en 2025. L’idée était que d’ici là, toutes les accueillantes passent au statut complet. En 2019, cela avait été acté dans la réforme des milieux d’accueil. Le Parlement avait voté la réforme du milieu d’accueil, dans lequel il y avait le passage au statut. Si le projet de contrat de gestion de l’ONE tel qu’il a été présenté au gouvernement jeudi passé est maintenu, cela n’aura pas lieu", assure Yves Hellendorff, secrétaire national non marchand pour le syndicat chrétien CNE.
Et de poursuivre: "Il n’y a pas eu de concertation et le gouvernement a eu un contrat de gestion en première lecture, dans lequel il n’y aurait que 30 accueillantes qui passent par an d’ici 2025. On serait très loin d’avoir fait passé toutes les accueillantes. En résumé, une partie va être faite durant cette législature avant de refiler la patate chaude à la suivante. Il y a des accueillantes qui attendent déjà depuis quelques années, si elles doivent encore attendre 10 ans, c’est un gros coup dur."
La ministre de l'Enfance Bénédicte Linard réagit
Suite à la grève de ce jeudi , la ministre de l'Enfance Bénédicte Linard (Ecolo) s'est exprimée sur la réforme des milieux d'accueil de la petite enfance ("réforme MILAC"), et elle souligne que des discussions sont toujours en cours.
"Sur le moyen et long terme, les négociations sur le contrat de gestion de l’ONE sont actuellement sur la table du gouvernement et aboutiront prochainement. Précisons que la réforme MILAC doit pleinement entrer en vigueur à l’horizon 2026. Une augmentation importante des moyens est prévue et se fera de manière progressive. Le futur contrat de gestion de l’ONE devra aussi permettre de renforcer structurellement le secteur de l’enfance et donc, de mieux soutenir ses travailleuses et travailleurs dans la durée notamment par le passage progressif au statut."
Bénédicte Linard ajoute qu'elle entend "la colère et les craintes exprimées" par les accueillantes. "Cette crise a amplifié des fragilités qui étaient déjà existantes : on sait que ces professions, souvent occupées par des femmes, sont peu valorisées par notre société et sont parfois précaires, je pense particulièrement aux accueillantes conventionnées, alors qu’elles jouent un rôle fondamental dans la vie des enfants qu’elles accueillent", ajoute-t-elle.
Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles indique par ailleurs vouloir répondre à certaines demandes du secteur, à savoir : garder les crèches ouvertes, obtenir des aides financières et être prioritaires pour la vaccination. Les mesures d'aide "covid-19" aux milieux d’accueil sont par ailleurs prolongées jusqu’au 30 juin 2021.
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