Consultant en informatique, notre témoin est dans une période difficile de sa vie à cause d'un récent burn-out. Fragile psychologiquement, il a manqué de prudence et de bon sens. Du pain béni pour les escrocs en ligne, dont le nombre de victime belge explose littéralement, selon la FSMA, l'autorité belge des marchés financiers.
Vous entendez régulièrement parler des cryptomonnaies, cette monnaie entièrement virtuelle qui aimerait remplacer les monnaies traditionnelles des Etats (euros, dollars, yens, etc…). Difficile de savoir si elle y parviendra un jour, mais ce n'est de tout façon pas pour demain. En attendant, ces cryptomonnaies (Bitcoin, Dogecoin, Ethereum, etc) font beaucoup parler d'elles car leur valeur, très fluctuante, permet à ceux qui les achètent au bon moment de gagner de l'argent en les revendant au bon moment... Cela restant très volatile, de nombreux analystes conseillent la plus grande prudence avant de transformer vos euros en bitcoins.
Mais cet engouement, relayé sur les réseaux sociaux principalement, attire aussi les escrocs. Francis vient d'en faire les frais. "J'ai perdu plus de 8000€, volés par une société d'investissement frauduleuse", nous a-t-il confié via le bouton orange Alertez-nous de RTL info. Il nous raconte son histoire pour éviter que ça arrive à d'autres personnes.
Contacté via Twitter
Francis a 50 ans et il habite Tubize (Brabant wallon). Consultant en informatique, il est développeur de logiciel, mais actuellement en arrêt maladie suite à burn-out. Au niveau des investissements, "j'ai un compte épargne, mais j'ai surtout déjà investi directement dans des cryptomonnaies. J'ai acheté des Dogecoin, celle promue par Elon Musk, et j'ai gagné quelques centaines de dollars", nous a-t-il expliqué.
Une expérience concluante pour notre témoin, qui a décuplé son intérêt… et ses recherches d'informations. "J'étais sur Twitter, et j'ai été contacté par une personne, une certaine Rose Morris (sans doute signalé, son compte a été suspendu très récemment), qui m'a demandé comment se passaient mes investissements financiers. J'ai dit que c'était plus ou moins correct, mais pas terrible non plus, vu les taux qu'on peut trouver auprès des banques. Elle m'a alors dit qu'il existait une entreprise qui a généré des millions d'euros de bénéfices en peu de temps grâce à des logiciels. En fait, des robots qui gèrent automatiquement les investissements en cryptomonnaies, générant des gains financiers très rapides". Ce genre de logiciel analysant l'historique des cours de certains secteurs financiers (ou de monnaies, réelles ou virtuelles), pour tenter de prédire leur évolution, a toujours existé. Mais il n'y a jamais de miracles ni de garanties quand on investit. Et aucune preuve qu'une plateforme a effectivement recours à ce logiciel…
Les escrocs y vont fort, et promettent des merveilles à Francis. "La dame m'a dit que si je voulais de beaux bénéfices, il fallait passer par un logiciel, qui parvient à générer des profits de parfois 8% par semaine. Et elle m'a envoyé un lien vers le site saintmaxcryptos.live, pour que je m'inscrive".
Pour notre témoin, "le site a l'air très pro, on voit plusieurs plans d'investissement". Il n'y a pourtant aucun détail sur le mode de fonctionnement de la plateforme, ni aucune coordonnée de personne ou d'entreprise. Francis s'y inscrit néanmoins, et "décide finalement d'investir le plus petit montant, soit 500 dollars. Comme j'avais gagné un peu d'argent avec le Dogecoin, je me suis dit que ça pourrait marcher, et qu'au pire, je perdais 500 dollars".
De 500 à 8.000 euros en quelques semaines
Francis a du y transférer de l'argent pour, soi-disant, acheter un 'package'. Ferré comme un poisson, notre témoin va se faire avoir par le ou les escrocs qui se cache(nt) derrière saintmaxcryptos.live (le site est toujours actif, il est possible de discuter et de s'inscrire, voir copie d'écran ci-dessus).
Ils m'ont montré des vidéos de gens qui avaient gagné de l'argent, et des preuves de paiement
"La plateforme n'accepte que les cryptomonnaies, et non les dollars ou les euros. Ils m'ont dit de verser 0,00… (je ne sais plus, une fraction de bitcoin qui équivaut à 500 dollars) sur le portefeuille électronique de la société". Les virements en bitcoin se font entre portefeuilles virtuels, à l'aide de l'adresse (un genre de code) du portefeuille virtuel de destination. C'est un peu comme un virement entre comptes bancaires, sauf que tout est anonyme.
"Pour me mettre en confiance, ils m'ont montré des vidéos de gens qui avaient investi et gagné, des preuves de paiement vers leurs clients, etc". Une fois la première transaction effectuée, Francis était pris au piège et les escrocs ont appliqué une technique bien connue: payer pour continuer…
Pour résumer: "ils m'ont dit de virer une petite somme pour les frais de transactions", ensuite "ils m'ont dit que le marché avait évolué favorablement et que pour vraiment gagner de l'argent, il fallait souscrire au package supérieur". Les communications "sont par WhatsApp ou par téléphone", les escrocs étant "insistants, voire agressifs parfois.Tout doit aller vite, car soi-disant ils ont 36.000 clients qui sont sur liste d'attente". Francis continue.
Pour récupérer son argent, il doit… envoyer une vidéo
Arrive le moment classique d'une escroquerie: "Le contact que j'avais m'a dit qu'une partie des employés étaient partis avec l'argent, mais que de nouveaux managers étaient là. Pour récupérer mon argent, je devais soi-disant en réinjecter". Comme souvent, les victimes ayant déjà investi quelques milliers d'euros ne veulent pas croire que c'est une arnaque, et se disent qu'ils vont finir toucher l'argent.
Et ça fonctionne… virtuellement. "Ils me faisaient croire que j'avais gagné beaucoup d'argent grâce à eux. Mon compte est toujours crédité de 34.000 dollars !". C'est au moment de redemander, une énième fois, de récupérer l'argent, que notre témoin comprend que c'est foutu. "La dame me dit qu'ils vont me rendre l'argent si je leur envoie une vidéo de moi, en selfie, disant que j'ai investi 5.000 dollars chez Saintmaxcrypto et j'ai gagné 25.000 dollars grâce à Rose Morris. C'était le jour de mon anniversaire, le 4 septembre, je m'en souviendrai toute ma vie".
Une vidéo qui servirait à convaincre d'autres victimes…
Francis refuse, arrête tout et se rend à la police pour déposer une plainte. Il a également rempli une déclaration de personnes lésée et espère avoir un avocat pro deo (gratuit) pour éventuellement aller plus loin. Mais le parquet a finalement classé sans suite son affaire:
En rassemblant les preuves pour constituer un dossier, il s'était pourtant rendu compte qu'il avait perdu pas mal d'argent. Additionnés, entre le 8 août et le 4 septembre, les "7 transferts depuis mon compte Binance (un genre de portefeuille en ligne de cryptomonnaie)" atteignent l'équivalent "de 8.132 euros" :
Fragilité psychologique
C'est bien connu: les escrocs profitent toujours des faiblesses des victimes pour mieux les tromper. Francis traverse une période difficile de sa vie. "J'ai fait un burn-out très grave il y a plusieurs mois. J'avais perdu 15 kilos, je ne savais plus monter les escaliers, c'était grave. J'ai pris énormément de médicaments, antidépresseurs et anxiolytiques. Donc au niveau de ma tête, ce n'était pas la forme".
S'il s'est laissé voir, c'est donc aussi parce que notre témoin était dans un état psychologique affaibli. "Oui, j'avais des soucis de réflexion, de bon sens. Sans doute que les médicaments ont eu un impact sur le fait que je me suis fait arnaquer".
Une explication qui parait logique pour quelqu'un qui a "25 ans d'expérience dans le développement de logiciel"…
De lourdes conséquences
En couple, Francis a "trois enfants à charge, et des revenus diminués car actuellement sous la mutuelle". La perte de 8.000 euros l'a anéanti psychologiquement: "Ils m'ont fait un tort monstrueux à chaque fois que j'y ai cru, et puis que je me suis rendu compte que c'était une arnaque. C'est chaque fois un choc psychologique. Il y a des gens qui vont jusqu'à se suicider".
Et financièrement, il y a aussi eu des conséquences: "Tout le mois de septembre a été un stress colossal. Je me suis demandé tous les jours comment j'allais rembourser tout ça. J'ai dû contracter un crédit de 5.000 euros pour retrouver un équilibre financier, surtout pour combler les trous de ma carte de crédit. Mais tout est réglé et ça va s'arranger. J'ai retrouvé des finances stables".
"Des vautours partout autour"
Malgré sa très mauvaise expérience, Francis ne tourne pas le dos aux cryptomonnaies: "J'y crois. Ça représente des milliards de dollars. Mais il y a des vautours, partout autour, qui essaient de vous arnaquer en vous promettant des gains plus élevés, en disant que vous avez besoin d'un investisseur pour vous aider. Et en plus, il y a d'autres 'sociétés' qui se disent spécialisées dans la récupération de l'argent perdu".
Notre témoin de la région tubizienne conclut par un conseil avisé: "Avant de faire quoi que ce soit, il faut se renseigner au niveau de la FSMA. Internet est devenu une arnaque monstrueuse, il y a des millions de dollars qui sont volés chaque jour".
La FSMA continue de mettre en garde
La FSMA, c'est l'autorité belge des services et marchés financiers. Elle supervise et régule toutes les activités liées aux investissements des Belges. Les entreprises qui en proposent doivent avoir un numéro d'agrément pour exercer légitimement. Ça ne vous étonnera pas: Saintmaxcrypto est complètement inconnu des services de la FSMA, qui recensent pourtant sur cette page une quantité invraisemblable de sites d'investissement frauduleux…
Lister les sites frauduleux, c'est beaucoup de travail
Les derniers chiffres que nous avons pu obtenir sont alarmants. "Sur les 6 premiers mois de l'année 2021, nous avons reçu 404 notifications de consommateurs qui concernent spécifiquement ce type de plateformes de trading en ligne. Ce ne sont pas toujours des plaintes, parfois des signalements ou des questions", nous a expliqué un porte-parole. Ce chiffre doit est comparé à l'année 2020: "On avait l'an dernier sur le premier semestre également, 187 notifications de ce type". On constate donc une augmentation de plus de 100% en seulement un an…
La FSMA rappelle que les cryptomonnaies échappent complètement à leur contrôle, et déconseille donc aux Belges d'y investir de l'argent. Quant à toutes ces plateformes d'investissement en ligne liées à la cryptomonnaie, "aucune n'est sous notre supervision". Une équipe de la FSMA effectue une enquête sur chaque site signalé ou repéré. "C'est beaucoup de travail, car on ne peut pas placer directement le nom d'un site sur notre liste" des plateformes suspectes ou frauduleuses. Mais dès que c'est fait, la FSMA transmet les adresses web à la justice, "qui elle seule peut bloquer ces sites sur le territoire belge". Une collaboration efficace, "mais le timing, essentiel, nous échappe". Dit autrement: il faut que ça aille vite car les escrocs changent souvent le nom et le look de leur site dès qu'il a mauvaise réputation. Et parfois, ça ne va pas assez vite…
Les choses pourraient en partie changer, "car une directive européenne va entrer en vigueur, elle va soumettre certains types de plateformes actives dans les cryptomonnaies à une supervision, avec une obligation d'inscription". Il y a donc certaines plateformes d'investissement dans les cryptomonnaies dans lesquelles on pourrait avoir davantage confiance.
"Mais les escrocs resteront en dehors du système, et ils continueront d'agir. La FSMA va lancer une campagne de prévention sur les réseaux sociaux, et on a également sur notre site un quiz rapide pour savoir si vous êtes face à une arnaque en ligne".
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