Aurore est tombée enceinte, en pleine procédure d’adoption. Après réexamen de la candidature du couple de trentenaires, l’organisme d’adoption a décidé de ne pas poursuivre la convention. Les parents vivent cette décision comme un déchirement.
Depuis la rupture de leur convention d’adoption il y a quelques mois, Eric et Aurore sont complètement désemparés: "Nous étions dans les cinq premiers sur la liste d'attente avant la naissance de notre fille et aujourd'hui, une psychologue signe la rupture de la convention suite aux entretiens menés par deux assistantes sociales", nous a écrit Eric via le bouton orange Alertez-nous.
Après avoir signé une convention d’adoption avec un service agréé, la nature a décidé de donner à ce couple habitant le Hainaut ce qu’il désirait tant: un enfant. Conformément à ce que prévoit la loi, la procédure a été gelée. Après un an, Eric et Aurore ont voulu la reprendre là où elle s’était arrêtée. Mais le service d’adoption en a décidé autrement. Et les raisons invoquées dans la lettre révoltent le couple de Soignies: "Nous ne pouvons pas adopter car ils estiment que... Ils se sont permis d'utiliser ce verbe… ils estiment que nous idéalisons notre fille. Mais ne pouvons-nous pas l’aimer?" s’interroge-t-il.
Le couple pointe également d’autres incohérences, à ses yeux: "Comment une assistante sociale peut parler à notre fille en lui disant qu'elle va sans doute avoir un petit frère ou une petite sœur? Où est la psychologie là-dedans? Pourquoi aucun soutien post-procédure n'existe? Pourquoi aucun recours n'est possible?".
L’adoption, un parcours du combattant
Au-delà du désarroi de cette famille, nous allons tenter de comprendre comment se déroule la procédure d’adoption en Belgique, une procédure qui peut s’apparenter à un véritable parcours du combattant.
Le couple habitant Soignies dans le Hainaut nourrissait le rêve de devenir parents depuis sept ans, il s’est lancé dans une procédure d’adoption en 2014, après plusieurs tentatives infructueuses. "Les médecins nous ont clairement dit qu’il nous serait impossible de procréer. Avoir un enfant c’est tout ce qui comptait pour nous et donc on s’est pas mal renseigné sur nos options", se souvient Eric. Le couple a alors démarré la procédure.
Comment se passe cette procédure?
Un projet d’adoption n’est évidemment pas une décision anodine. En témoigne, les chiffres des adoptions par année qui peuvent paraître extrêmement faibles. A titre d’exemple, il y a eu 31 adoptions nationales et 21 adoptions internationales en Belgique francophone en 2016. Du côté flamand, on a dénombré 23 adoptions en Belgique pour 62 adoptions internationales.
La procédure longue et coûteuse est différente selon qu’il s’agit d’une adoption internationale ou nationale (extra ou intrafamiliale). Ici, nous allons nous intéresser à la procédure d’adoption nationale, comme celle envisagée par Eric et Aurore. En gros, il faut compter environ 5.000 € et au moins deux ans entre le lancement du projet d’adoption et la proposition d’enfant, parfois plus.
1) Cycle de préparation
Pour entamer leur projet, les candidats doivent s’adresser à la direction de l’adoption de l’autorité centrale communautaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, afin de s’inscrire à un cycle de préparation. Le but est ici de responsabiliser les candidats adoptants.
Ce cycle est composé de deux séances d’information de quatre heures et de trois séances de sensibilisation de quatre heures également. Ces dernières sont animées par des psychologues avec notamment des jeux de rôle, pour essayer de leur apprendre ce que représente l’adoption du point de vue de l’enfant, mais aussi des parents biologiques. A l’issue de ce cycle, les candidats reçoivent un certificat. Le coût de cette préparation tourne autour des 175 €.
2) Encadrement par un organisme d’adoption agréé
Ensuite pour ce qui est de l’adoption nationale, les candidats se dirigent vers un organisme spécialisé. Il en existe trois en Belgique, dont un dédié à l’adoption d’enfants à particularités (handicap ou situation médicale particulière).
Première étape: la recevabilité de la demande
Les candidats s’adressent à ces organismes pour que leur candidature soit examinée. Seulement, il y a beaucoup plus de demandes que d'enfants en besoin d’adoption.
L’organisme doit donc opérer un choix via un modus operandi convenu avec l’autorité centrale. "Mais c’est souvent source de frustration car tous les candidats n’ont pas la possibilité d’adopter", explique Didier Dehou, directeur du service adoption de l’Autorité centrale communautaire. A ce stade, si la demande n’est pas déclarée recevable, il existe un recours pour vérifier qu’il n’y a pas eu de discrimination. Mais très peu de plaintes sont enregistrées.
Deuxième étape: examen de la candidature
L’organisme a six mois pour examiner la candidature sous un angle psychologique, social et médical. Il y a au minimum deux entretiens sociaux, dont un au domicile des adoptants, trois entretiens psychologiques et un entretien médical. Cet examen coûte 1.200 €.
Au terme de cet examen, l’organisme communique sa décision motivée par écrit aux candidats adoptants. Si la candidature est refusée, un entretien est proposé pour expliquer les raisons du refus. Et si la candidature est acceptée, les candidats adoptants concluent avec l’organisme une convention d’adoption. Les candidats doivent alors verser 2.600 €. L’organisme est chargé d’encadrer le reste de la procédure (et notamment la proposition d’enfant) jusqu’au jugement en prononciation d’adoption.
Aurore tombe enceinte, en pleine procédure d’adoption
Eric et Aurore ont passé avec brio toutes ces étapes. Nous sommes en avril 2015, ils attendent donc de pouvoir accueillir leur enfant adoptif. Seulement, sept mois plus tard, Aurore tombe enceinte. Le couple l’annonce à l’organisme d’adoption et conformément à la procédure, la convention est suspendue en février 2016 pour un an.
Après la naissance de leur fille, le couple se manifeste dans l’année et émet le souhait de poursuivre la procédure. Toujours en accord avec le prescrit de la loi, deux entretiens sont réalisés: un sans l’enfant et un autre à leur domicile en présence de leur bébé pour voir s’il serait capable d’accueillir un autre enfant. "L’assistante sociale s’est présentée à notre fille et lui a dit : ‘Je viens voir papa et maman parce qu’il se peut que tu aies un petit frère ou une petite sœur plus tard", se remémore Eric. Après ces deux entretiens, l’habitant de Soignies n’avait pas un bon pressentiment mais sa femme Aurore, elle, était très très positive.
Le courrier arrive fin août. Et c’est la douche froide: la réponse tant attendue est négative. Pour le couple, c’est un immense choc. "Ma compagne s’est mise à pleurer en lisant les 5 premières lignes. C’est seulement quand j’ai vu ses larmes que j’ai compris que tout s’arrêtait. J’ai eu l’impression de vivre un mauvais rêve. Et pour ma femme, c’est encore pire, comme si on lui arrachait vraiment quelque chose. Imaginer un peu une femme qui tombe enceinte et à la fin de sa grossesse on lui dit ‘votre enfant ne vit plus’ , ça a été un peu son ressenti. Je la console encore aujourd’hui. On faisait partie des candidats, on était sur une liste", confie Eric désemparé.
"Une idéalisation importante de leur fille"
Les termes utilisés par la psychologue sont très durs à encaisser: "Notre équipe ne perçoit pas à ce stade de disponibilité psychique suffisante pour accueillir un second enfant. En effet, votre couple semble pris dans une idéalisation importante d’Azra qui nous fait craindre une difficulté à pouvoir, par la suite, prendre en compte la réalité et la spécificité de l’adoption d’un enfant", a-t-elle écrit.
Eric ne comprend pas les arguments évoqués: "On nous étudie quand même pendant presque deux années où on nous parle de psychologie de l’enfant, des liens, de l’attachement. Si on décide de reprendre la procédure, ce n’est pas une décision qu’on prend à la légère. On est assez mature, on se sent capable et on se dit que le climat et le cadre seront favorables".
"Punis" parce qu’ils ont eu un enfant naturel?
Les parents de la petite fille de près d’un an et demi vivent ce refus comme une injustice, un peu comme s’ils avaient été "punis" parce qu’ils avaient eu la chance d’avoir un enfant naturel. "J’ai l’impression que cela nous a desservi, même puni. On aurait compris si dans la loi il y avait des notions de priorité par rapport à ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfants, ou ceux qui sont encore en procédure. Mais là on nous donne encore l’espoir. On ne pourrait pas être de bons candidats parce qu’on aime notre fille? C’est quand même absurde", pointe Eric.
Dans la lettre, l’organisme explique qu’un entretien peut être organisé pour discuter de cette décision de vive voix. Mais le couple heurté choisit de prendre rendez-vous directement avec le directeur en charge du service adoption de l’Autorité centrale communautaire. Celui-ci les a bien entendu reçus et écoutés mais il n’est pas habilité à revenir sur la décision prise par l’équipe pluridisciplinaire de l’organisme agréé. Que penser de cette décision et aussi de l’absence de recours dans un tel cas de figure?
Un cas très rare
Il faut savoir que cela arrive souvent qu’un couple "réussisse" à avoir un enfant durant la procédure d’adoption mais ce qui est beaucoup plus rare, c’est le fait de vouloir poursuivre son projet d’adoption. De là à considérer que les organismes ne sont peut-être pas assez armés pour appréhender de telles situations? Didier Dehou, le directeur en charge du service adoption balaye cette éventualité: "Non, les organismes sont armés car ce qui est investigué, questionné, c’est la question de la disponibilité, de l’équilibre, la question aussi de la place de l’enfant".
Et est-ce que le fait qu’il y ait peu d’enfants en besoin d’adoption a un impact? "Le fait d’avoir déjà un enfant que ce soit par adoption ou par voie naturelle n’est pas un critère pour refuser une candidature, ni au niveau de la recevabilité ni en tant que tel au niveau de l’examen psycho-social. On a beaucoup de couples qui adoptent une deuxième fois, ou des familles avec des enfants biologiques qui adoptent un autre enfant", assure Didier Dehou.
Pourquoi n’y a-t-il pas de recours?
Didier Dehou l’avoue, pour l’instant la procédure n’est pas optimale en ce qui concerne l’adoption nationale. Il y a un vide juridique. Et cela fait 12 ans que l’autorité réclame un tronc commun entre procédure internationale et nationale.
Une modification de la loi a été entérinée en juillet dernier mais elle n’entrera en vigueur que d’ici un an puisque les Communautés doivent modifier leur décret respectif. Qu’est-ce que cela changera? "La question de l’aptitude des candidats adoptants sera très largement tranchée par le tribunal de la famille avant l’intervention de l’organisme d’adoption et cela règlera beaucoup de problèmes", souligne Didier Dehou.
Concrètement, tous les candidats adoptants feront l’objet d’une enquête sociale par les services de l’autorité centrale. Ces candidats auront l’occasion de prendre connaissance du rapport d’enquête qui sera déposé au tribunal. Il y aura une audience avec un débat contradictoire. Les candidats pourront amener des éléments complémentaires différents. En cas de décision négative, il y aura un appel possible. Et la Cour d’appel du Tribunal de première instance pourra ordonner une contre-expertise.
Une intervention de la justice pour objectiver la procédure
Cela changera donc tout pour les candidats adoptants. L’organisme d’adoption aura aussi moins de responsabilités et de pouvoir car la justice interviendra (comme c’est déjà le cas pour les adoptions internationales). "La procédure est objective mais c’est vrai que les signes extérieurs du système actuel ne sont pas bons", concède d’ailleurs Didier Dehou.
Pour l’instant, le directeur reçoit trois à cinq candidats malheureux par année, des personnes qui en l’absence de recours s’adressent à l’autorité centrale. Mais comme indiqué plus haut, la procédure actuelle est appelée à changer et les candidats adoptants ne se retrouveront plus face une décision qu’ils ne peuvent contester.
En attendant, Eric et Aurore sont révoltés, ils estiment que la manière dont la procédure s’est terminée n’est pas normale et ont contacté un avocat pour explorer leurs options: "Nous sommes tristes de savoir que le fait d’aimer son enfant ou l’idéaliser peut-être un peu n’est pas bon pour un couple qui s’engage dans une procédure d’adoption".
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