Adoptée à l’âge de 5 ans, Alba souhaite témoigner de sa souffrance intérieure. Une blessure liée à son histoire et à ses propres traumatismes. Devenue une jeune femme, elle lutte encore contre un sentiment d’abandon "énorme".
"J’aimerais raconter mon histoire car elle n’est pas évidente. J’ai été adoptée à l’âge de 5 ans. Je suis arrivée en Belgique avec un cœur complètement cassé", confie une jeune femme de 25 ans qui nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous. Pour préserver son univers familial, elle préfère garder l’anonymat. Nous l’appellerons Alba.
Elle est née en 1992 en Colombie. La plupart des souvenirs de son enfance passée à Bogota ne sont pas agréables."Dans ma famille, il y avait la drogue et beaucoup d’instabilité. Mon père a d’ailleurs fait de la prison pour trafic de stupéfiants. On ne voulait pas de moi en fait. Je me demandais ce que j’avais fait pour qu’on agisse comme ça avec moi. J’ai été hospitalisée plusieurs fois après des maltraitances, on ne me nourrissait pas", raconte Alba.
"Mon départ a été assez brutal"
Après l’hôpital, la fillette ne retourne pas chez ses parents mais dans une famille d’accueil où séjournent d’autres enfants maltraités. "Les services sociaux aidaient aussi mes parents biologiques pour que la situation s’améliore. On me remettait donc chez eux pour refaire un test. Mais ça n’allait pas. J’ai donc été transbahutée de la famille biologique à l’hôpital à la famille d’accueil. Le même schéma trois-quatre fois. Jusqu’au jour où on leur dit ‘stop, c’est fini’. A mon avis, c’est un juge qui a dû prendre cette décision-là", pense Alba.
Etant donné la situation considérée comme dangereuse, la petite fille est définitivement retirée de son milieu familial. Alba ne le comprend pas tout de suite, mais elle va aussi quitter son pays natal. "Mon départ a été assez brutal car les derniers moments que j’ai passés en Colombie, c’était dans cette famille d’accueil chez qui je retournais dès que cela n’allait plus. Là-bas, c’était vraiment très chouette, j’ai de bons souvenirs. Ils étaient très gentils avec moi", confie-t-elle. "Un jour, mama, c’est comme ça qu’on l’appelait, m’a dit qu’une famille était là pour une petite fille. Je me suis dit : 'C’est chouette’. Puis je ne l’ai plus vue. Et ensuite mon tour est arrivé. On m’a dit : 'Ta famille est là, demain tu es partie’", ajoute-t-elle.
C’est un couple de Belges qui est venu la chercher pour l’adopter, après une procédure assez longue et exigeante. "Ma maman adoptive a eu mon frère. Ensuite, elle a dû être opérée. Du coup, elle ne pouvait plus avoir d’enfant. Mon grand-père lui a conseillé d’adopter un enfant en Colombie, un pays réputé pour respecter le bien-être des enfants, explique Alba. Mes parents ont dû attendre quatre ans pour pouvoir m’adopter. Ils ont eu la visite d’assistants sociaux, tout l’entourage a témoigné pour prouver que ce sont de bons parents, ayant une vie assez saine pour s’occuper d’un enfant traumatisé", précise-t-elle.
"Je suis arrivée ici avec des grosses séquelles psychologiques"
Sa nouvelle maison se trouve alors dans le Brabant wallon. A près de 9.000 km de la capitale colombienne. La petite fille âgée de 5 ans doit se familiariser avec un environnement très différent. Et une nouvelle langue. "Il a fallu que j’apprenne le français puisque je parlais espagnol. Mon papa voulait m’élever plus ou moins dans les deux langues parce qu’il parle un peu l’espagnol. L’assistante sociale lui a toutefois déconseillé. Du coup, j’ai oublié l’espagnol. Mais si je retourne en Espagne trois mois, je pourrais le réapprendre assez rapidement", pense Alba.
Elle éprouve aussi une grande souffrance intérieure, provoquée par un manque important d’affection. "Je suis arrivée ici avec des grosses séquelles psychologiques. Je n’avais pas d’image de l’amour, de ce que c’était de recevoir de l’amour et d’en donner."
Un sentiment que partagent de nombreux enfants adoptés. La mère est le premier contact avec l’enfant, sa première opportunité de tisser des liens.
"Les années les plus importantes sont les 2-3 premières années de vie de l’enfant. Au moment où se développe son système nerveux. Un enfant qui a été blessé dans ce premier lien avec sa mère, c’est vrai qu’en général il a très difficile de renouer un autre lien et de se sentir aimable et aimé. C’est une blessure qui est là et qui va rester", explique Annie Delplancq, psychologue clinicienne qui travaille dans l'accompagnement des familles adoptives et des enfants au sein de l'association L'Envol.
"Cette blessure peut être soignée, être guérie mais cela ne va pas de soi. Ce n’est pas parce que les parents d’adoption sont remplis d’amour que l’enfant d’une manière spontanée va pouvoir en profiter. C’est quelque chose que l’on rencontre régulièrement", ajoute-t-elle.
Ce traumatisme à l’aube de la vie de l’enfant va donc avoir une influence sur tout son développement et son mode de fonctionnement. "L’enfant qui n’a pas reçu l’amour, la protection dont il aurait dû bénéficier, il va se considérer comme non-important, qu’il ne peut pas faire confiance, qu’il n’est pas en sécurité, qu’il ne peut jamais montré ses fragilités et qu’il n’est pas à sa place", indique Annie Delplancq.
"J’ai une peur de l’abandon qui est énorme"
Même à l’âge adulte, ces considérations peuvent ressurgir, même si la personne a pu tisser des relations et des liens positifs. "Encore aujourd’hui, à l’âge de 25 ans, j’ai du mal à gérer ça. J’ai une peur de l’abandon qui est énorme. C’est un mécanisme d’auto-défense que j’ai mis en place et que j’ai toujours", confie Alba. Visiblement, la jeune femme ne se sent toujours pas rassurée. "Ma relation avec ma famille ici en Belgique, c’est une chouette relation dans le sens où je ne manque de rien mais c’est un amour pratique. Il ne faut pas que ma fille soit endettée, il faut qu’elle ait une voiture pour aller travailler, etc. Mais il n’y a pas un amour "on va te rassurer", "on ne va plus t’abandonner". J’ai une maman qui n’arrive pas à montrer son amour et donc c’est très compliqué pour moi et pour elle aussi."
Alba révèle même qu’elle a tenté à plusieurs reprises d’exprimer ses craintes et son mal-être à ses parents adoptifs. En vain. "Ma maman est exceptionnelle mais c’est quelqu’un de très pragmatique et stressée par la vie. Elle ne comprend pas forcément que cela me touche. Je ne sais pas quoi faire pour qu’elle se réveille. J’ai rédigé des lettres, j’ai fait une tentative de suicide... Elle n’a jamais ouvert les yeux sur ce problème-là. Pour elle, le souci vient de moi, de l’adoption", regrette la jeune femme.
Elle retrouve sa famille biologique sur Facebook
Alba ne semble en tout cas plus en quête identitaire. A 14 ans, elle a retrouvé sa famille biologique via Facebook, grâce aux informations mentionnées dans son dossier d’adoption (son nom, sa date et son lieu de naissance, etc.). "Un jour, j’étais en crise d’identité et je disais à mes parents que je voulais retourner en Colombie. J’ai donc changé mon nom de famille belge pour le colombien", explique-t-elle. Une première femme la contacte en affirmant être sa grand-mère. Ensuite, sa mère biologique l’ajoute comme "amie". Quand Alba découvre les photos sur leurs profils, elle constate tout de suite une ressemblance physique. Méfiante, elle pose tout de même des questions la concernant, en anglais. Et leurs réponses sont similaires aux informations qu’elle détient.
Selon Annie Delplancq, il arrive fréquemment que des enfants adoptés reprennent contact avec leurs familles d’origine grâce aux réseaux sociaux. Le problème, c’est que ces retrouvailles ne sont pas forcément évidentes car elles ne sont pas encadrées et guidées par des personnes qui pourront les "aider à faire la part des choses".
Elle déchante rapidement sur sa mère biologique: "À part me donner la vie, elle n'a rien fait"
"Au début je me disais waouw j’ai retrouvé ma famille, quel bonheur. Je voulais tout le temps communiquer avec eux. Mais il y avait la barrière de la langue. Et puis, je me suis aussi rendu compte que ma maman biologique était malade psychologiquement. Beaucoup de paroles et d’excuses, et ce n’est pas ça que j’attendais. Il y avait la drogue là-dedans, beaucoup de cocaïne. Elle avait pas mal de petits copains. J’ai des frères de papas différents. J’ai vite compris que j’étais face à une femme qui, à part me donner la vie, n’a rien fait. Du coup, j’ai pris un peu mes distances avec la Colombie", indique Alba, qui ne se demande plus quelles sont ses racines alors que certains sont bloqués par des interrogations qui restent sans réponse.
"J’avais des questions du genre d’où est-ce que je viens ? A quoi ressemble ma maman ? Je l’ai découvert et je n’ai pas trop envie de m’attarder là-dessus. Surtout que je suis encore en colère contre eux. Personne ne leur a mis un couteau sous la gorge pour se droguer ou me maltraiter. Au contraire, le pays leur a donné plusieurs fois la chance de se reprendre en main", souligne-t-elle.
"Un homme comme ça, je n’en aurai pas deux"
Aujourd’hui, Alba ne se sent pas assez mature pour se rendre en Colombie. Un retour qu’elle continue d’appréhender. "Je viens de commencer ma vie d’adulte. J’ai un diplôme et je vis seule dans un appartement. Je pense plutôt aller là-bas vers 30-40 ans, peut-être avec mon copain… Aujourd’hui, je suis trop fragile."
Pour la première fois, la jeune femme ressent réellement l’envie d’affronter sa peur de l’abandon afin de s’engager avec son petit copain. Sa crainte de l’engagement, source potentielle de souffrance, doit être vaincue. "C’est très difficile pour moi de gérer un couple. Avant, quand cela devenait plus sérieux, je devenais toujours désagréable et je quittais la personne. Mais là, je tiens à notre relation parce que je l’aime. Et heureusement c’est quelqu’un de très compréhensif parce que parfois je le rejette et il ne le mérite pas."
"Au niveau de l’attachement, la relation amoureuse est une opportunité de créer de nouveaux liens. Cette relation positive, qu’une personne adoptée arrive à vivre malgré toutes ses peurs et ses réticences, va l’aider à sécuriser son style d’attachement", explique Annie Delplancq.
Suivie depuis l’enfance par des psychiatres, Alba ne consulte plus actuellement. Mais elle est prête à aborder de nouveau ses vulnérabilités avec un professionnel. "Il faut vraiment que je fasse un travail sur moi. Un homme comme ça, qui prend soin de moi, je n’en aurai pas deux."
Combien d’enfants colombiens adoptés en Belgique ?
Entre 2003 et 2011, le nombre d’enfants colombiens confiés en adoption en Fédération Wallonie-Bruxelles variait de 15 à 34 par an. A partir de 2012 jusqu’en 2016, il est passé en-dessous de la barre de 10 enfants par an.
Au niveau fédéral, les statistiques révèlent qu’il y a eu 4183 adoptions étrangères autorisées dans notre pays depuis le 1er septembre 2005 jusque janvier 2018. L’Ethiopie est le pays d’où proviennent la majorité de ces enfants (1064). En ce qui concerne la Colombie, 206 enfants ont été adoptés pendant cette période par des Belges, en grande majorité des couples.
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