Sabine a poussé le bouton orange Alertez-nous pour dénoncer une situation qu’elle vit depuis plus de 10 mois. Son fils Guillaume, 22 ans, a été lourdement agressé en mars 2021 par une bande de mineurs à Liège. Depuis, cette maman a l’impression que ces jeunes peuvent vivre librement sans contrainte alors que son fils, lui, souffre toujours de séquelles importantes. Il est suivi quatre fois par semaine par des médecins. Selon un avocat, les mineurs ne sont pas impunis mais de nombreux critères sont à prendre en compte dans le jugement.
"Notre fils a été agressé par un groupe de mineurs d’âge le 26 mars 2021 à Liège. Notre situation de victime entraîne pour lui un tas de conséquences désastreuses et de séquelles à vie. Tous les jours depuis l'agression, mon esprit est occupé par cette tragédie. Les larmes que je verse n'ont aucune valeur pour cette justice, cette protection de jeunesse qui protège à tout va ces délinquants. Quelle est la loi qui a protégé mon enfant ? Les victimes sont oubliées, laissées de côté." C’est en colère et désemparée que Sabine a poussé le bouton orange Alertez-nous pour expliquer sa situation et celle de son fils.
Guillaume, 22 ans, a en effet été lourdement frappé par des jeunes près du parc de la Boverie à Liège en mars 2021. Il ne se souvient de rien mais il nous raconte ce que ses amis lui ont décrit après son agression. "J’étais assis avec un ami sur un banc le long de l’eau, en face du parc de la Boverie. Trois personnes sont venues aborder les filles à côté de nous. Mon ami a voulu aller leur dire d’arrêter de les embêter. Mais il s’est fait agresser, il a reçu un coup au nez qui a été fracturé", nous explique Guillaume. En voulant aider son ami, le jeune homme s’est alors pris un important coup derrière la tête. "Je suis tombé inconscient", dit-il. Mais malgré son état, les trois mineurs ont continué à lui asséner des coups, c’est probablement ce qui a causé les graves lésions dont il souffre toujours aujourd’hui. "Il a eu deux fractures du crâne, plusieurs hémorragies cérébrales, un œdème cérébral…", détaille sa maman, toujours très choquée par ce dramatique événement.
Je veux que les personnes qui vont décider sachent la vie d’après une agression
Le Liégeois a été hospitalisée durant une bonne semaine après son agression. Il en garde quelques flashes mais les souvenirs sont vagues. "Les médecins disent que c’est du au choc que j’ai eu au niveau de la tête que j’ai perdu la mémoire avant et après", glisse Guillaume. Outre la perte de mémoire, il souffre également de vertige et de perte d’équilibre. "J’ai aussi perdu le goût et l’odorat car ce nerf a été touché pendant l’agression. Et j’ai eu un œdème à droite au-dessus de l’œil donc avec la cicatrisation du cerveau, ça m’arrive d’avoir juste une douleur à cet endroit."
Ces séquelles physiques sont difficiles à porter au quotidien, nous dit le jeune homme qui a toujours aimé être très actif. "J’ai toujours aimé bouger, je n’ai jamais aimé rester à la maison à ne rien faire. J’avais commencé un travail de frigoriste, c’est un métier qui me plaisait vraiment énormément. Malheureusement, depuis l’agression, je suis en incapacité de travail car mon métier consiste à beaucoup monter sur des échelles mais maintenant j’ai des pertes d’équilibre. Et pour les activités comme le sport, j’ai beaucoup plus difficile à en faire car je vais avoir la tête qui tourne… C’est vraiment embêtant de ne pas pouvoir faire ce que je veux", regrette notre interlocuteur.
Il voit aujourd’hui quatre médecins par semaine pour de la revalidation cognitive et de la kiné vestibulaire. "Ce sont des choses qui, au quotidien, sont pesantes. C’est très lourd car on se sent seuls face à tout ça", dénonce sa maman qui a l’impression que les victimes sont toujours mises de côté dans les affaires judiciaires. "Je veux que les personnes qui vont décider sachent la vie d’après une agression. On parle beaucoup des agresseurs dans l’enquête mais on parle très peu des victimes, de leur victime", estime-t-elle. Sabine affirme avoir dû faire toutes les démarches elle-même pour que son fils soit pris en charge par des spécialistes. "Personne n’est venu voir Guillaume de manière spontanée. Les consultations médicales, c’est parce qu’on pousse les portes. Il faudrait quelqu’un qui nous aide dans les démarches, notamment administratives."
Un service d’assistance policière aux victimes
En réalité, des aides existent bel et bien pour les victimes d’agression. On appelle cela le service d’assistance policière aux victimes. Il y en a dans toutes les zones de police, selon les moyens de chacune. "Chez nous, on analyse d’office les interventions policières et on reprend contact avec les victimes, ces personnes qui ont vécu un événement potentiellement traumatisant. On envoie un courrier, on appelle… pour offrir ce service", nous explique Anne-Françoise Anciaux, criminologue et psycho-traumatologue à la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles. Un travail proactif qui permet ainsi aux victimes de se sentir soutenues et encadrées. "Naturellement, s’il n’y a pas de contact ou de prise en charge ou juste une proposition d’aide, on peut vite se sentir isolé car les rouages de la justice sont complexes. Si on n’explique pas comment fonctionne la plainte, la procédure… On peut vite se sentir très perdu", poursuit-elle.
Il faut donner des informations sur ce qui avance
Pour Anne-Françoise Anciaux, il est important de venir rapidement "combler par une présence, de la chaleur pour mettre fin au sentiment du calvaire vécu. Au plus vite une prise en charge est mise en place, au plus vite la personne peut sortir de ce moment d’isolement." Le service d’assistance policière aux victimes peut aussi orienter ces personnes vers des thérapeutes et spécialistes adaptés à leurs besoins. La criminologue indique également que des références "dans le temps" sont indispensables pour permettre aux victimes d’avancer. "Expliquer quand on va procéder à telle audition, qu’il faut telle information pour démarrer le dossier… Il faut donner des informations sur ce qui avance. Il faut les prendre par la main, c’est important", souligne-t-elle. C’est exactement ce que reproche la maman de Guillaume. Dix mois après l’agression, elle prétend qu’ils n’ont plus aucune nouvelle. "Au niveau de l’enquête, je tiens à le dire, il y a eu deux inspecteurs qui ont pris en charge l’enquête directement et il y a eu des résultats quasiment tout de suite dans les jours qui ont suivi. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de suivi", déplore Sabine.
Pas de justice pour les mineurs ?
La famille sait aujourd’hui qui sont les agresseurs de Guillaume. Il s’agit de trois mineurs d’âge, dont l’un d’eux a, semble-t-il, été placé en Institution Publique de Protection de la Jeunesse (IPPJ). Pour ce qui est deux autres auteurs, nous ne disposons pas d’information. Malgré nos sollicitations, le parquet de Liège n’a en effet pas souhaité communiquer sur ce dossier. "J’ai peur qu’avec le temps, l’agression de Guillaume devienne un fait divers. Et c’est ce qui se passe car il n’y a pas moyen de punir ou condamner car ce sont des mineurs., donc on ne pourra rien leur faire. Oui, un d’eux a été placé en IPPJ mais il n’y a pas que lui. Ils étaient plusieurs à avoir frappé Guillaume", dénonce la maman du jeune homme.
On a une approche pour protéger le délinquant contre lui-même et éviter qu’il récidive
Mais l’impression que les mineurs ne sont jamais punis par la loi n’est en réalité pas véridique. Comme nous le confirme un avocat spécialisé en protection de la jeunesse, le sentiment d’impunité est lié au fait que les mesures de sanction n’arrivent pas immédiatement après le fait. "Le juge va analyser la situation, voir s’il y a des indices de culpabilité dans le dossier. Il va aussi se poser la question de ce qui est mieux tant pour la société que pour le jeune. On a une approche pour protéger le délinquant contre lui-même et éviter qu’il récidive et qu’il arrête d’agresser la société", développe Xavier Van Der Smissen.
L’intérêt du mineur prime donc toujours dans les dossiers judiciaires. Le juge tiendra compte de nombreux critères avant de prendre sa décision : la scolarité du mineur, sa situation à la maison, s’il présente des problèmes psychiatriques, notamment. "Si le maintien en famille n’est pas possible, parce qu’il n’est pas adéquat, qu’il risque de récidiver ou qu’il ne comprend pas que ce qu’il a fait est mal, alors on envisage un placement s’il a plus de 14 ans. On va l’extraire de sa famille et le placer soit en milieu ouvert, soit en milieu fermé pour les cas les plus graves", ajoute l’avocat.
Peu de place dans institutions de protection de la jeunesse
La justice n’est donc pas plus laxiste pour les mineures mais elle tient compte du fait que le jeune n’a pas "terminé son évolution". "Ils doivent encore apprendre des choses. On peut espérer que le jeune va se rendre compte de la gravité de son geste et, par des contacts avec des psychologues, des éducateurs, les parents qui le réprimandent, il va pouvoir évoluer et devenir une bonne personne et un adulte responsable", note notre interlocuteur.
Xavier Van Der Smissen pointe également un autre facteur important à prendre compte : la place dans les institutions. "Le juge d’instruction peut placer autant de personnes qu’il veut derrière les barreaux pour les adultes. Il n’y a pas de quota et il n’est pas question de place disponible ou pas. Chez les mineurs, ce n’est pas du tout comme ça. Il faut qu’il y ait de la place disponible", dit-il.
Ainsi, si le juge fait face à un mineur délinquant qui a commis un fait grave, il peut immédiatement souhaiter le placer en milieu ouvert ou fermé. Malheureusement, si les IPPJ ne disposent pas de place, il ne pourra pas prendre cette décision. Il faudra attendre qu’une place se libère. Ce qui n’est jamais le cas pour les personnes majeures. "Les mineurs ne sont pas impunis mais il y a moins de place dans les institutions et on fait plus attention à leur confort et à l’éducation", conclut l’avocat spécialisé en protection de la jeunesse.
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