David, 72 ans, est hospitalisé depuis le mois de novembre à l'UZ Brussel. Il n'a plus vu son épouse Michèle depuis le 12 mars et le début du confinement. Marié depuis 42 ans, le couple n'a jamais été séparé si longtemps et n'aspire qu'à une chose: se retrouver. Si des hôpitaux interdisent toujours les visites, certains les autorisent à nouveau alors que d'autres se préparent à les relancer.
Hospitalisé pour une double pneumonie et une infection depuis le mois de novembre, David n'est plus sorti de l'UZ Brussel depuis lors. Pour l'accompagner dans cette épreuve, son épouse Michèle avait pris l'habitude de venir le voir tous les jours. "On n'a pas d'enfant, notre famille est loin, on n'est que nous deux, on fait tout ensemble", nous dit la dame.
Marié depuis 42 ans, le couple est inséparable. Ou du moins l'était. Car le coronavirus a brutalement séparé David et Michèle. "La dernière fois qu'on a pu se voir était le 12 mars. Cela devient long", explique Michèle. "J'ai difficile à tenir, j'ai difficile quand on parle de tout ça… De garder le moral", balbutie David. Le micro de son téléphone trahit une gorge nouée et des yeux larmoyants. "Difficile de rester positif. Le positif a des limites", confie l'homme de 72 ans.
Michèle nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous. Elle nous a permis de joindre David, son mari. Le couple témoigne pour faire connaître la situation des patients seuls à l'hôpital. Nous verrons ensuite qu'en réalité, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne.
Chaque jour elle venait, ça m'apportait beaucoup de réconfort
Le cauchemar a donc débuté en novembre. David est alors hospitalisé pour une double pneumonie. Mais les problèmes ne s'arrêtent pas là: il nous dit avoir été touché par une infection qui a infligé de graves blessures à ses deux jambes. "Je me suis retrouvé en soins intensifs. Puis ça a été mieux, la pneumonie est presque guérie… Mais mes jambes ne me supportent plus. Je dois faire de la revalidation. Les médecins ont dit que ça allait durer un bout de temps", explique David depuis son lit d'hôpital.
Le couple habite Ganshoren depuis 1994. Leur maison est à dix minutes de l'hôpital. Michèle s'est donc vite habituée à aller voir son mari. "Chaque jour elle venait. Ça m'apportait beaucoup de réconfort", explique David, qu'on devine esquisser un sourire. Notre témoin savait que sa guérison prendrait du temps, mais il nous dit s'être vite fixé l'objectif de reprendre possession de ses jambes le plus rapidement possible pour retrouver son foyer. Aidé par les visites quotidiennes de Michèle, le moral et le mental tenait bon.
Elle ne doit pas s'imaginer tout à fait comment je suis maintenant. Les soins ont un peu changé mon look
Le 12 mars, pourtant, tout s'écroule. Le pays est ébranlé par le coronavirus, les autorités imposent en urgence le confinement. Le territoire vit au ralenti, le temps est comme suspendu. Sauf pour David, qui voit les jours, les heures et les minutes défiler. "Dans ma carrière j'ai été directeur de supermarché, puis j'ai travaillé en Allemagne pour les Forces belges. J'ai toujours eu beaucoup de contacts, je suis quelqu'un qui aime bouger", raconte David, aujourd'hui cloué au lit.
Mais le confinement fait bien pire. Le couple, marié depuis 42 ans, est séparé. Le confinement éloigne l'âme-sœur de David. Celle qui venait le soutenir tous les jours. Celle qui lui remontait le moral. "Le moral n'y est plus. Je me sens comme en prison. C'est injuste. C'est le même train-train tous les jours: se lever, manger, les soins, dormir… J'ai la télé, les magazines, mais c'est l'humain qui manque. J'ai des moments de cafard. Dans ces cas-là je lui téléphone, c'est la seule solution", explique David. L'homme se demande même si sa femme le reconnaîtra. "Elle ne doit pas s'imaginer tout à fait comment je suis maintenant. Les soins ont un peu changé mon look", indique notre témoin. "Ça fait mal quand même", souffle-t-il.
Moi aussi je perds parfois le moral... Mais je ne veux pas lui montrer
Le déconfinement a débuté ce 4 mai. Le couple a alors retrouvé l'espoir de se revoir bientôt… Mais les semaines passent et rien ne change. David et Michèle ne sont qu'à quelques minutes l'un de l'autre, mais ils ne peuvent toujours pas se voir. "Là on a rouvert les centres commerciaux. Tous les gens qui le veulent peuvent se donner rendez-vous et tirer une petite bavette… Mais ici c'est toujours pareil", déplore David.
Notre témoin tient cependant à remercier le personnel soignant, pour lequel il ne tarit pas d'éloges. "J'ai des contacts avec les infirmières, mais elles ont beaucoup de travail et peu de temps pour discuter. Je leur tire mon chapeau. Ce sont des gens d'un courage incroyable", s'exprime-t-il.
De son côté, Michèle est assaillie par un mélange de sentiment d'injustice et d'inquiétude pour son mari. "Je suis triste et en colère qu'on ne donne pas la possibilité que les gens aillent rendre visite. Je crois que ça irait mieux si on pouvait se voir de temps en temps, l'un en face de l'autre, au lieu de le faire par téléphone. Moi aussi je perds parfois le moral. Mais je ne veux pas lui montrer, car lui il est à l'hôpital", nous explique Michèle.
L'un et l'autre déplorent que les autorités oublient l'importance du lien social pour les patients. Ils ne sont pas les seuls à s'interroger sur cette situation.
De nombreux témoins s'interrogent
D'autres témoins nous ont contactés via le bouton orange Alertez-nous. Yvette témoigne d'une situation similaire. "Mon époux étant dans un centre hospitalier de revalidation, quand pensez-vous reprendre les visites? Car les patients sont en grande solitude et n'ont plus le moral pour faire les exercices", nous envoie-t-elle. "Je dois me faire hospitaliser la semaine prochaine pour quatre jours pour une opération des cervicales. Mon compagnon peut-il m'accompagner et me rendre visite? Car on n'en parle pas", demande Sidonie.
Pour répondre à ces questions et tenter de savoir si David et Michèle pourront bientôt se revoir, nous contactons d'abord le centre de crise.
C'est la direction de l'hôpital qui prend indépendamment la décision d'autoriser ou non les visites
Officiellement, "les visites sont toutes interdites excepté pour les parents d’enfants de moins de 18 ans et pour la famille proche de patients en situation critique ou en soins palliatifs", précise le site www.info-coronavirus.be en date du mardi 19 mai.
Néanmoins, "c'est la direction de l'hôpital qui prend indépendamment la décision d'autoriser ou non les visites", nous indique-t-on au numéro vert du centre de crise. Selon ces explications, l'établissement juge en fonction de la situation, de la possibilité de respecter les mesures de sécurité, etc. "Chaque hôpital décide, même s'il y a des lignes directrices en matière de sécurité", nous confirme le centre de crise du ministère de l'Intérieur.
Résultat: si la situation le permet, un hôpital peut donc autoriser à nouveau les visites sous conditions. Nous contactons donc l'hôpital de David, mais aussi d'autres établissements pour avoir une vision plus générale.
UZ Brussel: pas de visites
Du côté de l'UZ Brussel, où est hospitalisé David, les visites sont effectivement interdites. "On suit les directives des autorités de restriction des visites. Il n'y a que des exceptions pour le service de maternité, où uniquement le partenaire peut rendre visite. Il y a aussi une exception pour les patients en soins palliatifs, où une personne peut venir. Et pour les enfants, qui peuvent être accompagnés. Mis à part ça, on applique toutes les mesures mises en place au début du confinement", explique Gina Volkaert, porte-parole pour l'UZ Brussel.
Pour assurer le lien avec les proches, l'hôpital a créé dès le début un centre d'appels. Son rôle est de faire le lien entre les patients et les familles. "Ce service fonctionne sept jours sur sept. Le but est de faciliter les appels, en audio ou vidéo. On vient aussi en aide aux personnes qui n'ont pas de smartphone, ou qui n'ont pas l'habitude de l'utiliser ou encore dont la situation médicale ne leur permet pas de l'utiliser", expose Gina Volkaert. "Concrètement, on vient avec un smartphone ou une tablette dans la chambre du patient pour qu'il puisse parler et voir ses proches".
Ça, c'est pour l'UZ Brussel. Mais nous allons voir que dans d'autres hôpitaux, les patients peuvent à nouveau recevoir des visites.
Le Tivoli à La Louvière: "On a rouvert les visites ce lundi 18 mai avec des conditions bien strictes et précises"
C'est le cas au CHU Tivoli, à La Louvière. "Le fédéral a donné son accord pour une reprise des visites et chaque hôpital s'organise en fonction. Nous on a rouvert les visites ce lundi 18 mai avec des conditions bien strictes et précises", nous explique Cynthia Colson, responsable communication du centre hospitalier. Les conditions complètes sont visibles sur ce site.
Parmi les mesures, voici les plus importantes:
- visites seulement entre 18h et 19h,
- un patient ne peut recevoir qu'une seule visite par jour, mais les visiteurs peuvent être différents d'un jour à l'autre
- règles d'hygiène: le visiteur ne doit pas être malade, il doit porter un masque, etc.
- pas de visite dans les unités covid-19
La raison numéro un de ce retour des visites? Le moral des patients, précisément. "La principale raison, c'était la souffrance psychologique de certains patients qui sont là depuis plusieurs mois. Parfois leur état de santé se détériore à cause de ce facteur-là", indique Cynthia Colson. "La situation est sous contrôle, pour les hospitalisations covid-19 il n'y a plus grand-chose… Donc on a fait ce choix pour aider psychologiquement et pour le côté humain".
En pratique, l'hôpital établit chaque jour une liste des patients. Cette liste permet de savoir le nombre maximum de visiteurs possibles et de filtrer les entrées à l'accueil. "Pour le premier jour, il y a eu environ 80 visiteurs. Il y a quelques points d'organisation à rectifier, certains ont dû patienter un peu, mais tout s'est globalement bien passé", précise la responsable communication.
CHR de Namur: visites toujours interdites
Nous poursuivons notre tour de Wallonie et contactons le CHR de Namur. Le responsable communication précise que les visites sont toujours interdites. Il y a cependant des exceptions pour les tout petits: pour la pédiatrie, la maternité et la néonatologie, les visites sont autorisées uniquement pour les deux parents. Enfin, en cas de force majeure, vous pouvez vous adresser aux responsables de l'unité. Le détail des mesures et exceptions pour cet hôpital sont disponibles ici.
Groupe CHC en région liégeoise: "On songe à rétablir les visites"
Nous terminons par le CHC en région liégeoise, qui inclut les cliniques Montlégia, Hermalle, Heusy, Waremme. Là encore, les visites sont toujours interdites mais des exceptions existent également (voir sur ce site).
Le responsable des relations presse nous précise tout de même que le sujet est en discussion. "On songe à rétablir les visites pour les patients en long séjour. La décision est imminente", indique Eddy Lambert.
Si je la voyais plus, c'est certain, ça m'aiderait à récupérer
De son côté, notre couple espère se retrouver très bientôt. Michèle a d'ailleurs fait la demande au médecin de son mari il y a quelques jours. "Il a dit formellement que c'était non. Que ce ne sont que les personnes en fin de vie qui peuvent avoir de la visite. C'est très dur", confie Michèle.
"On pourrait contrôler les entrées, instaurer des mesures ou accepter les venues selon un certain degré de parenté. Mon épouse est très importante. Si je la voyais plus, c'est certain, ça m'aiderait à récupérer, ça me mettrait un peu de bonheur sur le cœur", réagit David. Malgré la situation, malgré le manque, malgré la maladie, notre témoin nous dit être bien déterminé à remarcher et à aller de l'avant.
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