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Impossible pour Albert d'obtenir un prêt voiture: pourquoi les banques rechignent à prêter aux seniors et quelles solutions s'offrent à eux?

Impossible pour Albert d'obtenir un prêt voiture: pourquoi les banques rechignent à prêter aux seniors et quelles solutions s'offrent à eux?
 
 

Après avoir demandé à plus de 10 banques un prêt pour une nouvelle voiture, Albert s'est rendu compte qu'aujourd'hui, on ne prête plus d'argent aux personnes âgées. Il est illégal de discriminer en fonction de l'âge mais c'est le risque de décès qui est pris en compte par les banques, qui ne proposent que trop rarement des alternatives aux clients âgés. Pour aider ceux-ci à faire valoir leurs droits, il y a Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances.

"Plus aucune banque ne prête aux personnes âgées. Il s’agit d’une énorme discrimination". C’est le triste constat auquel est arrivé David, un habitant du Hainaut, suite à l’histoire vécue par Albert, son papa.

"Pour pouvoir vivre sans dépendre d’autrui", Albert, âgé de 80 ans, a tenté d’obtenir un prêt voiture, nous a expliqué son fils via notre bouton orange Alertez-nous. Nous avons donc contacté Albert pour en savoir plus. "Pour pouvoir me déplacer pour mes soins de santé, j’ai besoin d’une voiture", nous dit-il. Mais "ce que je peux vous dire, c’est que quand on a 80 ans, c’est devenu impossible d’emprunter de l’argent. Aujourd’hui, ils ne font plus de prêts nulle part. Croyez-moi, j’ai été demander dans une bonne dizaine de banques différentes !"

Pourtant, il rentrait dans les conditions d’octroi d’un prêt : des revenus stables (sa pension) et un remboursement qui n’aurait pas dépassé le tiers de ses revenus. Et soit on ne lui donnait pas la raison du refus, soit on lui disait clairement que c’était à cause de son âge. Au mieux, une banque lui a proposé un prêt de 1.000 euros, mais c’est le maximum qu’il pouvait emprunter.


Loin d'être le seul cas en Belgique

Des cas comme celui d’Albert, on en voit régulièrement chez Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, selon son directeur Patrick Charlier. Il se souvient particulièrement de deux cas.

Le premier est celui qui a fait l’objet d’une jurisprudence chez Unia. Il s’agissait d’un homme de 69 ans qui n’avait pu obtenir un crédit auto de 4 ans. La raison : dans les conditions générales de chaque prêt, la banque stipulait que le montant devait être remboursé avant l’âge de 70 ans. Ce qui excluait automatiquement toute personne de plus de 70 ans de l’accès au crédit. Unia s’est saisi du dossier et est intervenu auprès de la banque pour lui signaler cet état de fait et négocier avec elle. In fine, "l’institution financière a accepté de supprimer ce point de ses conditions générales" et le client a pu souscrire son prêt.

Le second cas, c’était celui d’un homme de 79 ans. Là, ce n’était pas stipulé noir sur blanc, mais c’est un collaborateur de la banque qui avait déclaré au senior que tout prêt devait être remboursé à l’âge maximal de 80 ans. Là encore, Unia, qui joue un rôle d’intermédiaire dans ces dossiers, a négocié avec la banque et obtenu que le client puisse bénéficier du prêt sous certaines conditions.


En théorie illégal: c'est une discrimination par rapport à l'âge

Dans ces deux cas, comme dans celui d’Albert, il s’agissait bien de discrimination. C’est illégal, et c’est punit par la loi. "Depuis 2003, la loi interdit formellement  la discrimination fondée sur l’âge. De plus, en matière de crédit, la loi a justement prévu le critère sur base duquel les demandes doivent être filtrées : le prêteur est tenu de vérifier si le client a bien une capacité de remboursement suffisante. Or cette capacité dépend des revenus et des charges mais non de l’âge", rappelait d’ailleurs l’association de consommateurs Test-Achats dans son communiqué du 3 octobre 2014 intitulé « Trop vieux pour une simple carte de crédit ».

Car cette difficulté à accéder au crédit pour les seniors, elle ne se manifeste pas que pour les crédits voiture. Elle est aussi valable pour les crédits à la consommation, les cartes de crédit ou bien entendu les crédits hypothécaires (qui font l’objet d’une réglementation différente, voir plus bas). Elle est connue d’Unia comme de Test-Achats. Mais aucune banque n’applique officiellement de limite d’âge puisqu’elle est illégale. Voilà pourquoi "il n’existe pas d’âge fixé au-delà duquel les prêteurs n’octroient plus de crédit. Cela dépend de la pratique de chaque banque", explique Julie Frère, la porte-parole de Test-Achats.


Si l'âge n'est pas un critère, le risque de décès en est un

Du côté de Febelfin, la Fédération belge du secteur financier, on confirme : "L’âge n’est pas un critère en tant que tel, c’est la capacité de remboursement qui va être évaluée", confirme son porte-parole Rodolphe de Pierpont. Et pour l’évaluer, les banques doivent prendre en compte le risque. C’est là que l’âge joue un rôle.

Car "quand une personne ayant un prêt en cours décède, la dette ne s’efface pas. Elle entre dans le cadre de la succession", rappelle Patrick Charlier. Et pour récupérer l’argent prêté, encore faut-il que les héritiers acceptent l’héritage et donc les dettes qu’il comporte. Voilà pourquoi, face au risque de décès accru avec l’âge et donc à celui de ne pas voir le crédit remboursé, "les banques pèsent le pour et le contre" avant de prêter de l’argent aux personnes âgées, détaille Patrick Charlier. Dans le cas d’Albert, il est donc évident que "à 80 ans, on ne peut pas dire que ce risque est nul" 


Les banques peuvent proposer des solutions alternatives: c'est ce qu'Unia négocie

Le problème est que les employés des organismes bancaires obéissent trop souvent aveuglément à des règles internes qui stipulent qu’au-delà d’un certain âge, c’est trop risqué, donc ils refusent le prêt purement et simplement. Pour le directeur d’Unia, "ils devraient plutôt réfléchir à des solutions plus individualisées. Comme demander une attestation médicale ou réclamer qu’une autre personne se porte garant, serve de caution et reprenne donc le prêt en cas de décès."

C’est d’ailleurs ce que parvient toujours à négocier Unia. "Si après notre intervention, on constate toujours un refus manifestement discriminatoire, on peut aller en justice" contre la banque. "Mais on n’a jamais dû aller jusque-là. Notre médiation marche plutôt bien", se félicite Patrick Charlier.

Car faire appel à Unia est une solution qui s’offre à toute personne âgée qui ne parvient pas à obtenir un prêt et soupçonne que la raison ait un rapport avec son âge. "Ce sont des dossiers relativement classiques. On interroge l’organisme bancaire sur ses raisons puis on négocie."


Au pire, il reste le prêt privé

Mais parfois, les délais sont trop longs pour des emprunteurs qui ont besoin de l’argent rapidement. Ils optent alors pour l’autre solution : le prêt privé, qui consiste à se faire prêter de l’argent par une personne physique (souvent quelqu’un de la famille) et non pas une banque.

C’est cette option qui a été choisie par Albert, qui ne savait pas qu’il pouvait être défendu par Unia. A 80 ans, il peut désormais continuer à se déplacer en voiture en toute autonomie, sans dépendre de personne.


L’âge moins discriminatoire pour les crédits hypothécaires

A la différence d’un prêt classique, le prêt hypothécaire nécessite de souscrire une assurance solde restant dû. Là, ce ne sont plus les banques qui fixent une limite d’âge, mais bien les assureurs, en fonction de la santé du demandeur. "Le banquier n’a pas à savoir quoi que ce soit sur la santé des gens", confirme Rodolphe de Pierpont.

Si pour des jeunes emprunteurs, une simple déclaration sur son état de santé suffit souvent, il n’en va pas de même pour les plus âgés. Ils doivent passer par une visite médicale qui va déterminer le risque encouru et ainsi faire grimper ou non la prime à payer pour cette forme d’assurance vie obligatoire pour se voir octroyer un crédit hypothécaire.

14,2% des plaintes ont abouti

Au-delà d’un certain âge et en fonction de l’état de santé de l’emprunteur, l’assureur peut alors refuser que celui-ci souscrive cette assurance vie. Mais ici aussi, il est possible de contester la décision. En effet, "les compagnies d’assurance utilisent des tables de risques, de mortalité, qu’elles gardent secrètes. Et parfois, celles-ci sont périmées pour telle ou telle maladie qui se guérit mieux aujourd’hui qu’à l’époque de l’élaboration de la table", explique  Patrick Charlier.

Pour contester, la Belgique a mis en place fin 2014 le Bureau du suivi de la tarification assurance solde restant dû. "Il s’agit d’un organe paritaire qui regroupe autant de représentants du secteur de l’assurance que de représentants des patients et consommateurs. Il peut remettre un avis sur des refus ou des surprimes sur les assurances solde restant dû. Il détermine si les refus ou les surprimes sont justifiés ou si non, il fait des contre-propositions", détaille M. Charlier.

En 2015, pour sa première année d’existence, le Bureau du suivi a traité 547 demandes d’examen, ressort-il de leur premier rapport annuel. 204 des demandes recevables concernaient un refus d’assurance. Dans 83% des cas, il a estimé que le refus était justifié. Mais dans 14,2% des cas, une contre-proposition a été acceptée par l’assureur et proposée au client.


 

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