"On s’est clairement fait avoir". Propriétaire de panneaux photovoltaïques depuis 2013, Jean-Jacques a récemment reçu sa facture d'électricité et il a découvert l'impact du tarif prosumer (entré en vigueur le 1er octobre 2020). "Je découvre que j'ai 535,40 euros à payer TVA compris, c'est choquant." Stéphane Renier, président de la Cwape, le régulateur du secteur énergétique en Wallonie, lui explique pourquoi ce forfait a été mis en place si tardivement.
"Où va-t-on s’arrêter avec les taxes?". Jean-Jacques a contacté notre rédaction car il est étonné de voir un tarif prosumer aussi "élevé" sur sa facture d'électricité.
Le tarif prosumer, qui est entré en vigueur le 1er octobre 2020, est une redevance que la CWApE, le régulateur du secteur énergétique en Wallonie, a voulu imposer aux détenteurs de panneaux photovoltaïques pour leur utilisation du réseau énergétique.
Habitant de Liberchies (Pont-à-Celles), Jean-Jacques n'était manifestement pas prêt à découvrir un tel montant. "Je viens de recevoir ma facture d’électricité à payer et je vois que pour 6,56 euros de fournitures (hors TVA), je me retrouve avec une facture de 535,40 euros TVA comprise. (...) J’avais entendu parler de la taxe prosumer, mais j’essaye de comprendre. C’est choquant", souligne-t-il.
On change la règle du jeu
Pour lui, ce tarif prosumer est une "taxation du soleil". "Les gens qui ont fait des investissements sur des panneaux solaires, qui ont fait un choix écologique et économique, ont fait le pari, mais avec une règle du jeu qui était claire à l’époque. Maintenant, on change la règle du jeu… On vous puni. Ils appellent ça tarif, mais c’est une taxe déguisée.
Jean-Jacques regrette amèrement de ne pas avoir été prévenu de l'arrivée de cette redevance au moment où il a fait installer ses panneaux en 2013.
"Si j’avais su, j’aurais réfléchi à d’autres alternatives, des solutions énergétiques qui n’auraient peut-être pas consommer autant d’électricité, comme les pompes à chaleur, l’air conditionné, etc… A l’époque, mettre des panneaux solaires, c’était une solution d’économie d’énergie. On se disait on va mettre une pompe à chaleur, une piscine… en se disant pas grave, j’ai les panneaux."
Est-il toujours aussi intéressant d’avoir des panneaux?
Le Liberchois ne serait par ailleurs plus prêt à acheter une voiture électrique comme il l'avait sérieusement envisagé.
"J’étais à 2 doigts de passer à la voiture électrique. Il y a le côté agréable qui est de rentrer chez soi et de brancher la voiture électrique, elle se recharge avec les panneaux solaires. Il y a le côté sympa de se dire, je ne dois plus passer à la pompe. Mais ici, en voyant la facture… J’hésite même à garder mes panneaux solaires. Si je dois payer 500 euros pour ne rien avoir… autant les retirer et les revendre. Est-ce toujours aussi intéressant d’avoir des panneaux, que ce soit économiquement ou écologiquement ?"
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Une volonté de "rétablir l'équité"
Jean-Jacques est donc un "prosumer" (contraction de "producteur" et de "consommateur") car il utilise le réseau de distribution basse tension en disposant d’une installation de production d’électricité décentralisée (dont la puissance est inférieure ou égale à 10kVA), et qu'il est susceptible d’injecter et de prélever de l’électricité au réseau sur le même point de raccordement.
"Le tarif prosumer est le tarif par lequel on facture l’utilisation du réseau par essentiellement les détenteurs de panneaux voltaïques puisque lorsque leurs panneaux ne produisent pas d’énergie par exemple la nuit, ils prélèvent de l’électricité sur le réseau et donc ils l’utilisent", explique Stéphane Renier, le président de la CWApE, le régulateur du secteur énergétique en Wallonie. "Auparavant, les clients résidentiels qui avaient des panneaux ne finançaient pas l’utilisation du réseau et ne finançaient pas et ne payaient pas pour ces prélèvements sur le réseau. Donc, en 2020, il y a eu la volonté de notre part de rétablir une équité puisque les autres consommateurs qui n’ont pas de panneaux et qui sont locataires car ils ne peuvent pas investir, devaient contribuer de plus en plus au fur et à mesure que se développaient les installations photovoltaïques."
Comment le tarif prosumer est-il calculé?
Le montant de la contribution varie. Il faut envisager deux cas :
- Si le prosumer a un compteur "double flux" ou "bidirectionnel" (qui comptabilise séparément le prélèvement et l'injection d'électricité), le tarif est calculé sur base du volume d'électricité prélevé sur le réseau.
- Si le prosumer n'a pas ce type de compteur, un tarif capacitaire spécifique, exprimé en euros/kWe (kilowatt électrique), s'applique à la puissance électrique nette développable de son installation. On considère qu'il autoconsomme un certain pourcentage (37,76%) de l'électricité qu'il a produite.
Comment expliquer un tel forfait pour Jean-Jacques ?
"Malgré la taille de son installation, il utilise le réseau quand il n’y a pas de soleil. Effectivement, il produit sans doute beaucoup et il réinjecte sans doute beaucoup d’électricité sur le réseau, mais il n’est pas totalement autosuffisant car, s’il n’a pas de batterie, il doit prélever de l’électricité sur le réseau pour faire tourner ses installations la nuit ou quand il n’y a pas de soleil", indique Stéphane Renier.
"Si Jean-Jacques n’avait pas de panneaux photovoltaïques, elle devrait payer ces 400 euros et même davantage pour tous les prélèvements sur le réseau", souligne également Stéphane Renier.
A quoi sert ce tarif? "Il finance les travaux d’entretien et les mesures sociales qui existent en Wallonie pour accompagner des défauts de paiement et de la précarité énergétique. A qui ça va bénéficier ? A tous les utilisateurs du réseau, qui est un patrimoine commun. Tout un chacun a intérêt à ce que le réseau soit fiable et fonctionne bien. Il est important que le financement soit suffisant et réparti équitablement."
Les règles modifiée en cours de jeu ? Le président de la CWApE s'explique: "La compétence tarifaire est une compétence qui a été confiée aux régions il y a quelques années. Depuis le départ, la cwape a voulu instaurer ce tarif prosumer. Simplement, ce tarif a été dans les premières années attaqué en justice et donc nous avons défendu ce dossier jusqu’à obtenir gain de cause, mais fort tardivement. C’est pour cette raison que le tarif entre en vigueur seulement maintenant. C’est un projet qui est dans les cartons depuis que la compétence tarifaire est entre les mains de la région. Cela aurait dû entrer en vigueur plus tôt."
Des aides prévues
Le gouvernement wallon avait prévu des aides : un premier montant de maximum 400 euros était prévu pour une installation de mesurage et de pilotage, accessible à 27.650 clients prosumers et 50.000 non prosumers, si la demande est introduite avant le 31 décembre 2020. Un montant de 150 euros a par ailleurs été accordée pour installer un compteur double flux ou communicant chez 37.500 clients prosumers et 75.000 non prosumers. Le tarif prosumer sera ainsi compensé à 100% pour 2021 puis à 54% pour 2022 et 2023. En 2024, il sera mis fin aux compensations.
Pourquoi mettre en place ce tarif pour le rembourser ensuite ?
"Il y a deux compétences. La compétence tarifaire du régulateur wallonne (cwape) qui a décidé de ces tarifs, mais le gouvernement wallon a estimé que ces primes étaient opportunes. Elles sont financées par le budget régional. Ce sont deux politiques différentes, ce qui explique ce mécanisme particulier", précise Stéphane Renier.
Est-ce toujours avantageux de placer des panneaux photovoltaïques? D'après la Cwape, la réponse est "oui".
"Oui, attention, quand on en a, on ne paie pas le même tarif que tout le monde. Quand on a des panneaux, on a intérêt à autoconsommer au maximum et donc utiliser sa production pour faire fonctionner ces installations électriques. Au plus, on autoconsomme au moins on va prélever sur le réseau. On sait aussi que le prix de l’électricité augmente. On est dans un contexte assez tendu au niveau des prix de l’électricité et donc l’autoproduction reste toujours très intéressante. Si quelqu’un est 100% autosuffisant et qu’il stocke sa production dans une batterie individuelle, il ne devrait plus payer. Maintenant, économiquement, c’est un calcul qui n’est probablement pas intéressant aujourd’hui", conclut le président de la Cwape.
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