"1000 arbres plantés au cœur d’un zoning industriel", "une forêt primitive à Péruwelz", "une zone tampon pour absorber le bruit",… Fin avril, la plantation annoncée de plusieurs centaines d’arbres dans une parcelle appartenant à l’intercommunale IDETA avait fait les gros titres de plusieurs médias. Tout le monde s’accordait pour saluer la portée écologique d’un projet novateur. Cinq mois plus tard, la forêt en croissance est devenue le garde-manger de chevreuils et si personne n’intervient, elle aura disparu avant la fin de l’année.
Retour cinq mois en arrière. De jeunes Péruwelziens, les mains pleines de terre et les yeux remplis d’étoiles, plantent différentes essences d’arbres en plein milieu de la zone économique Polaris. Des enfants qui sont conscients de poser des gestes importants : "Ça va apporter un peu de verdure" avance l’une. "Ça va aider la nature" répond l’autre. L’objectif : planter, dans cet espace de développement économique, une petite forêt de mille arbres. L’entreprise ‘Urban Forest’ a porté le projet en compagnie de l’intercommunale IDETA. La population a participé aux frais via une campagne de financement participatif (crowdfunding en anglais). A terme, la forêt doit s’autogérer. Mais avant de s’autogérer, elle doit d’abord croître. Et ce n’est pas gagné.
La plantation de la forêt, en avril 2018
32 dents qui se régalent des jeunes arbres
"Début septembre, je suis allé faire un tour sur place. Je me suis rendu compte que ça n’allait vraiment pas". La voix de Nicolas de Brabandère trahit une certaine lassitude et une pointe de déception. Il est responsable de l’entreprise ‘Urban Forest’. C’est lui qui est à l’origine de l’implantation. "Les plants ont été complètement attaqués. Les jeunes pousses ont été broutées. Les tiges qui avaient poussé aussi. Si on ne fait rien, la forêt sera sans doute détruite avant l’hiver" explique celui qui est également biologiste et naturaliste. Son problème se déplace à quatre pattes et mâchonne avec 32 dents. Des chevreuils, dont personne n’avait parlé à Nicolas. "En faisant plusieurs prospections sur le site, je n’avais jamais détecté cette présence. On m’avait parlé de lapins mais pas de chevreuils" précise-t-il. Des chevreuils qui s’en donnent à cœur-joie avec les jeunes arbres. Au grand dam de Nicolas, qui ne voit qu’une solution : installer une clôture pour protéger la forêt.
L'état de la forêt après un mois de croissance, en mai 2018
Un courrier pour s'expliquer
Après sa visite de contrôle, Nicolas a envoyé un courrier à ceux qui avaient participé à son crowdfunding. "J’ai décidé de prévenir les donateurs pour être transparent, pour leur expliquer que ça se passait mal".
C’est en recevant ce courrier qu’Antoine a décidé d’avertir la rédaction via le bouton orange Alertez-nous. "Voici un mail reçu de Monsieur Nicolas de Brabandère au sujet du projet 1.000 arbres à Péruwelz" nous écrivait-il. Dans le mail en question ? Un résumé de la situation, quelques explications, un peu de rancœur et de légères accusations. "Malheureusement la forêt a mal évolué en raison d'un broutage excessif par les chevreuils (…) J'ai demandé à IDETA, le propriétaire du terrain, d'installer une clôture de protection rapidement au risque de perdre complètement la forêt. IDETA a participé au financement de la campagne mais refuse jusqu'à présent de financer l'installation d'une clôture estimant que c'est à moi de le faire. Je ne suis pas d'accord (…) Mon sentiment est que IDETA n'assume qu'à demi-mesure sa responsabilité écologique ni les bonnes intentions qu'elle véhicule auprès du public. Elle préfère rejeter la responsabilité sur Urban Forest".
Et de fait, du côté d’IDETA, on ne partage pas ce point de vue. "Je pense que l’ensemble des partenaires a contribué à un chouette projet, explique Saskia Bricmont, gestionnaire de projet au sein de l’intercommunale. Mais là, à un moment donné, on estime qu’en tant que porteur du projet, il (Nicolas de Brabandère, NDLR) doit assumer ses responsabilités".
Comment le projet a-t-il commencé ?
Pour bien comprendre, il faut remonter à la genèse de la forêt. Nicolas de Brabandère se souvient : "J’ai été contacté par un partenaire français, Reforest’Action, qui me proposait de financer l’achat des arbres si je trouvais un terrain. J’ai donc demandé au Parc naturel des Plaines de l’Escaut s’ils connaissaient quelque chose". Et Reinold Leplat, directeur du Parc, de confirmer : "Nous avons cherché plusieurs terrains et finalement, nous avons servi de lien entre M. de Brabandère et IDETA. L’intercommunale, dans le cadre de son nouveau zoning, avait intérêt à mettre en place ce genre de projet. Une forme de partenariat s’est mise en place en mutualisant les forces de tout le monde".
Le premier point de discorde entre les trois partenaires part, sans surprise, d’une question financière. Et chacun estime être dans son droit. "Au départ, IDETA avait accepté de financer la totalité du crowdfunding. Le public a plutôt bien suivi donc ce n’était plus nécessaire et IDETA n’a pas voulu donner la somme sur laquelle ils s’étaient engagés. Au final, ils ont donné deux-tiers de la somme de départ" assure le patron d’Urban’Forest.
L’intercommunale estime de son côté qu’en ayant effectivement financé une partie du projet, ils sont devenus, de fil en aiguille, de gros contributeurs. "Nous nous sommes aussi occupés du permis d’urbanisme. Faire les plans, introduire les demandes, lancer les démarches…" ajoute Saskia Bricmont. Le directeur du Parc naturel va lui un pas plus loin : "Je me pose des questions quant à l’utilisation de l’argent qu’il a récolté via le crowdfunding, s’interroge Reinold Leplat. Reforest’Action lui a fourni les plants. Il lui fallait des matières organiques, c’est le Parc qui s’en est occupé. Pareil pour le paillage. C’est aussi le Parc qui s’est chargé de la mobilisation citoyenne pour le jour de la plantation. On a fait beaucoup..."
Un crowdfunding, pour quoi faire ?
Grâce à la campagne de financement participatif, Urban Forest a levé 4.850 euros, un peu plus que les 4.500 euros qui constituaient l’objectif initial. À quoi a servi cet argent ? D’après la page dédiée, à "louer une pelle mécanique, à payer les frais de transport, à préparer le sol, à acheter du matériel et à réaliser une communication de qualité autour de l’événement". Et quand on pose la question directement à Nicolas de Brabandère ? "Cet argent, il a servi à faire le travail, à louer la pelle mécanique, à faire de la communication… Il y a tous les allers-retours que j’ai fait pour mettre la forêt en place... Au total, ça fait neuf mois que je travaille sur ce projet".
Dès le départ, les relations entre les différents partenaires n’étaient pas optimales. Nicolas regrettant notamment "de n’avoir jamais senti de réelle implication d’IDETA dans le projet". Le naturaliste déplore, par exemple, un manque de communication ‘personnelle’ ; "J’ai toujours eu des rapports par téléphone ou par mail, ils ne m’ont jamais invité autour d’une table" précise-t-il. Mais pour le bien du projet, pour être certain qu’il aboutisse, chacun a avancé pour se retrouver, au final, avec une parcelle plantée de 1000 nouveaux arbres fin avril.
La forêt en 'mauvais' état, en mai 2018
C'est qui, le responsable ?
Une fois les arbres plantés, il fallait encore s’en occuper pendant les premières semaines. Mais il fallait trancher à qui incombait cette responsabilité. Côté intercommunale, Saskia Bricmont est catégorique : "L’accord, c’était qu’on mettait un terrain à disposition et puis on nous avait dit qu’il n’y avait pas d’entretien. Assurer la croissance des arbres, ça entre plutôt dans les responsabilités de M. de Brabandère". Lequel estime avoir fait sa part du job et ne comprend pas pourquoi il devrait, de sa poche, financer cette clôture. "C’est leur terrain, maintenant c’est leur forêt, c’est à eux d’en prendre possession. Je leur ai même proposé de venir installer la clôture moi-même mais je ne vois pas pourquoi je devrais la payer".
Et Reinold Leplat penche plutôt du côté d’IDETA : "Le Parc a fait sa part, IDETA aussi. Le souci qui existe maintenant, il fallait peut-être le prévoir. C’est le projet de M. de Brabandère à la base, c’était à lui d’anticiper…". Le problème, c’est que les partenaires n’ont pas passé d’accord écrit. Ils n’ont pas listé, noir sur blanc, les responsabilités de chacun.
"J'espérais leur faire comprendre que c'était un projet dans lequel il fallait s'impliquer"
Nicolas de Brabandère parait fatigué. Épuisé par ce projet qu’il n’arrive pas à mener à bien. "Quoi qu’il se passe avec la forêt, pour le moment, j’estime que j’ai échoué dans ma mission. Je n’ai pas réussi à convaincre IDETA de l’importance de ce projet, du rôle pilote et exemplaire qu’ils pouvaient donner. J’espérais leur faire comprendre que c’était un projet dans lequel il fallait s’impliquer" conclut-il.
Exemple d'une implantation réussie à Condé-sur-l'Escaut
Malgré la querelle autour du financement d’une éventuelle clôture, tous les partenaires assurent que leur objectif principal, c’est de conserver la forêt et la voir grandir. IDETA assure avoir répondu à l’interpellation de M. de Brabandère et attend maintenant sa réponse.
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