Ce père de famille a l'impression que les employeurs privilégient l'engagement d'étudiants durant l'été pour des raisons économiques. Et il se voit en être directement victime, affirmant avoir reçu moins de jours de travail cet été. Les "student" fragilisent vraiment la situation de certains travailleurs, notamment intérimaires ?
Préparateur de commandes depuis deux ans dans une entreprise du Brabant wallon, Valentino (prénom d'emprunt car il veut garder l'anonymat) déclare s'être retrouvé dans une situation compliquée en tant qu'intérimaire. "Depuis les grandes vacances, les étudiants sont privilégiés pour travailler, ce qui réduit mon temps de travail à un ou deux jours par semaine", se plaignait-il via le bouton orange Alertez-nous.
S'il juge que les étudiants ont "tout à fait le droit" d'acquérir de l'expérience dans le monde du travail, il veut mettre en avant des circonstances qu'il trouve "injustes". "Ce n'est pas normal qu'un père de famille, ou d'un autre statut, avec des factures à payer, doive rester à la maison avec 35 euros ou moins par jour au chômage pour privilégier des étudiants. Car soit-disant, ça ne coûte rien à la société", dénonce-t-il. "En plus, il y a de grandes chances qu'ils ne fassent jamais partie de la société. Je trouve que c'est un manque de respect."
Les jobistes piquent-ils le boulot des intérimaires l'été ?
Selon Valentino, la société qui fait appel à ses services favoriserait donc des travailleurs moins coûteux. Notre témoin désirant rester anonyme, il nous est difficile de vérifier le cas particulier de son employeur.
Par contre, Valentino soulève la question de manière plus globale, à l'échelle du pays: les étudiants volent-ils vraiment une partie du boulot des intérimaires durant l'été et d'autres périodes de l'année? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons contacté plusieurs spécialistes du secteur et nous nous sommes appuyés sur des statistiques publiées par l'Office national de sécurité sociale (ONSS).
La première réponse, apportée par Paul Verschueren est clairement non. "Nous constatons une croissance au niveau de l'emploi dans les deux segments (étudiants jobistes et intérimaires classiques)", souligne le directeur de recherche et des affaires économiques de Federgon (la fédération des opérateurs privés du marché du travail et des prestataires de services RH). "On n’a par exemple jamais rencontré une évolution positive dans le segment des étudiants jobistes avec dans le même temps une évolution négative pour les intérimaires." S'il y a un effet de substitution durant l'été, en tout cas "on ne le remarque pas dans les statistiques", rapporte ce spécialistes.
"Dans certains secteurs, les étudiants représentent un avantage"
Pour Paul Verschueren, on serait même face à un phénomène inverse dans plusieurs secteurs où les étudiants viennent remplir des postes pour lesquels on ne trouve plus d'intérimaires.
"Dans les bureaux d’intérim, on nous dit que sur le marché du travail, pour certains jobs et certains emplois, au cours de l’année, il devient très difficile de trouver des intérimaires classiques. Le grand avantage des étudiants jobistes est qu’ils ne sont pas liés à des heures et qu’ils ont plus de flexibilité au niveau des prestations. Dans certains secteurs, cela représente un avantage", indique-t-il.
Des pénuries ont été constatées et de nombreuses sociétés sont "satisfaites" de pouvoir mettre à l’emploi des étudiants.
"Je pense qu’aujourd’hui, nous pouvons être contents que les étudiants jobistes soient disponibles pour le marché de l’emploi, non seulement pendant les périodes de vacances et en dehors de celles-ci. Sinon, je pense que beaucoup de sociétés dans certains secteurs auraient des difficultés à trouver des candidats", poursuit Paul Verschueren. "Mais de manière générale, pratiquement tous les secteurs d’activité en Belgique, font appel à des intérimaires et à des jobistes. Il n’y a pas de différence."
"Il est vrai que le travailleur étudiant coûte moins cher" mais...
Marc Vandeleene, responsable de la communication chez Manpower, pense, lui aussi, que les étudiants ne prennent pas le travail des intérimaires. "Le premier réflexe serait de penser que les travailleurs étudiants prennent la place des travailleurs habituels mais la réponse est non", déclare-t-il. S'il est vrai que l'étudiant coûte moins cher à l'entreprise qu'un intérimaire en termes de cotisations patronales (25%, après avoir été réduites par le tax shift, pour un travailleur contre seulement 5,42% du salaire brut de l'étudiant), Marc Vandeleene expose quatre éléments qui permettent d'avance qu'au niveau global, au niveau du pays, les étudiants ne volent pas le pain des intérimaires.
1/ Le plafond pour les cotisations sociales réduites à 475 heures par an. Les étudiants ne peuvent pas travailler sur une longue période. "C’est une main-d’œuvre qui va être disponible selon des plannings très spécifiques ou à certaines périodes de l’année. Elle vient s’ajouter à celle déjà disponible pour les entreprises. Si on fait appel à des intérimaires, ce ne sera pas pour quelques heures par jour ou seulement pour une semaine. Il y a par ailleurs peu d’étudiants qui vont travailler les deux mois tandis qu’un intérimaire va travailler plus longtemps dans les entreprises."
2/ Les intérimaires prennent des congés. "Comme toute personne, ils ne vont pas travailler toute l’année et bénéficieront de vacances. Ils cotisent aussi pour ça et là, les étudiants vont les remplacer. On croit que l’intérimaire est flexible à temps plein mais ce n’est pas du tout le cas. Il a aussi une famille et ses obligations comme tout salarié. Il peut alors être remplacé par des personnes moins qualifiées, par des étudiants. La main-d’œuvre étudiante vise aussi à remplacer de la main-d’œuvre qui est en vacances."
3/ Un problème de qualification pour les étudiants. "Les étudiants iront vers des boulots où il faudra être moins qualifié. C’est une part nettement plus réduite de la main-d’œuvre globale. Donc dire que les étudiants prennent le job des intérimaires, ça ne tient pas la route. Si on prend la grande distribution, il y a un certain nombre d’étudiants qui vont travailler le week-end et compléter une partie de l’effectif."
4/ La main-d’œuvre étudiante va être un renfort dans un marché en reprise où il y a des pénuries. "A l'heure actuelle, une société doit pouvoir faire face à ses besoins de main-d’œuvre et elle va faire appel à différents types de source: des salariés permanents, intérimaires et des étudiants. Un chef d'entreprise va devoir composer avec tout ça et ne pas uniquement faire attention aux avantages fiscaux. Si on regarde d’une manière macroéconomique, il y a de la place pour tout le monde. Les étudiants ne vont pas remplacer la main-d’œuvre classique. On est actuellement dans un marché marqué par les reprises et les pénuries et par les difficultés de recrutement", insiste Marc Vandeleene. "Sur le terrain, on observe qu’on a autant besoin des étudiants et des intérimaires. C’est vrai que certaines sociétés vont peut-être préféré avoir des étudiants pour des raisons économiques. C’est juste aussi, mais au niveau macroéconomique, on n’observe pas le phénomène que votre internaute met en avant."
Le recrutement d'étudiants jobistes commence de plus en plus tôt
Avec des créations d'emplois en hausse, nombreux sont les employeurs qui peinent à trouver de la main d'oeuvre. Pour pallier cette pénurie, les sociétés recrutent dès l'hiver des jobistes pour l'été, indiquait Tempo-Team dans une enquête menée auprès d'un échantillon représentatif de 1.050 travailleurs et employeurs fin 2017.
L'engagement d'étudiants constitue une opportunité pour dénicher de nouveaux talents. "Pour pallier un manque de main d'oeuvre, près de la moitié des employeurs dit engager des étudiants pour les vacances ou pour un stage, notamment dans l'optique de "dénicher et recruter de nouveaux talents", rapportait Tempo-Team dans une enquête publiée en février. L'entreprise intérimaire pointe du doigt le rôle essentiel joué par la pénurie actuelle dans le succès des jobistes étudiant: "La pénurie sur le marché du travail joue certainement un rôle important dans cette augmentation, mais ce n'est pas le seul facteur: la nouvelle législation sur le travail d'étudiants, plus souple, y contribue aussi."
Que disent les chiffres sur les jobistes?
De plus en plus de jeunes travaillent comme jobistes. En 2017, ils étaient 522.765 à avoir presté au moins une heure de travail. C'est 4% de plus que l'année précédente, d'après des chiffres de l'Office national de sécurité sociale (ONSS), publiés mercredi.
Le nombre d'employeurs ayant fait appel à des étudiants a lui aussi augmenté pour atteindre 59.806, soit une hausse de 6% par rapport à 2016. Les jobs d'étudiant, plus nombreux également, ont eux progressé de 8%, à 778.281.
Au total, les jobistes ont presté 89.595.003 heures de travail en 2017. Un chiffre qui est difficilement comparable avec l'année précédente, car jusqu'à la fin de l'année 2016, c'est un contingent de jours qui était utilisé et non d'heures, comme c'est désormais le cas.
D'après les statistiques, un étudiant a travaillé en moyenne 171 heures en 2017 pour un revenu de 1.997 euros brut, dont il faut déduire 2,71% de cotisations sociales.
Les étudiants sont par ailleurs de plus en plus nombreux à travailler toute l'année. Le pourcentage de ceux qui se sont limités aux mois d'été a régressé de 25% en 2017, tandis que celui de ceux qui ont travaillé pendant les quatre trimestres de l'année a progressé de 21%.
Pour Maggie De Block, ministre en charge des Affaires sociales, "la refonte du travail des étudiants en un système par heure est une bonne chose pour tout le monde: les étudiants peuvent à présent choisir avec beaucoup plus de flexibilité quand ils veulent travailler et les employeurs peuvent bien plus facilement s'adapter aux pics d'activité", a-t-elle expliqué en juillet dernier.
Que disent les chiffres sur le travail intérimaire?
Le travail intérimaire a progressé de 6,2% en volume d'heures prestés en 2017, avait annoncé en avril dernier Federgon, la fédération des prestataires de services RH. L'an dernier, 656.281 personnes ont travaillé en intérim soit 36.459 de plus qu'en 2016. "Je tiens à souligner que 40% des collaborateurs engagés en fixe travaillaient auparavant comme intérimaires", a indiqué Herwig Muyldermans, directeur général de Federgon.
Si la majeure partie des postes en intérim sont occupés par des Belges, de nombreux frontaliers - belges et néerlandais - travaillent en intérim en Belgique. L'an dernier, 19.408 Français et 11.590 Néerlandais ont occupé une fonction intérimaire en Belgique. Par ailleurs, plusieurs milliers de réfugiés ont travaillé en intérim l'an dernier dont 2.155 Afghans, 856 Irakiens et 715 Syriens. La plupart des autres secteurs de Federgon affichent un "beau bulletin".
Dans le secteur des titres-services, le nombre d'heures prestées est aussi en hausse (+1,7%). L'an dernier, plus de 129 millions de titres-services ont été utilisés dont plus de 83 millions en Flandre (+1,86%), près de 31 millions en Wallonie (+1,37%) et plus de 15 millions à Bruxelles (+1,76%). Les entreprises comptent aussi sur l'expertise des prestataires de services RH, comme le montrent également les chiffres du Recruitment, Search & Selection (+11,7%), de l'Intérim Management (+2,3%) et du Projectsourcing (+8%). Seuls les secteurs de l'outplacement (-6,3%) et du Learning & Development (-2,1%) s'en sortent moins bien, précise Federgon.
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