Des dizaines d'étudiants en médecine ont vu leur rêve de porter une blouse blanche basculer, alors même qu'ils avaient réussi leur première année universitaire. C'est le résultat du concours "boucherie" instauré par Jean-Claude Marcourt. Et si le ministre wallon de l'enseignement supérieur avoue ne pas "être en faveur" de ce filtre, il insiste et juge qu'il s'agit de la "moins mauvaise" solution.
Instauré par le ministre Marcourt en Fédération Wallonie-Bruxelles suite à un bras de fer acharné avec la ministre fédérale de la santé Maggie De Block, le concours que doivent passer les étudiants au terme de leur première année d'études a livré ses premiers résultats. Et pour certains, la pilule est difficile à avaler. "Merci à nos politiciens d'avoir créé un système qui permet de réussir sa première année de médecine... mais pas de passer en deuxième année", a dénoncé un papa en colère via notre bouton orange Alertez-nous.
"J'ai pleuré, pleuré, pleuré, parce que je vois que mon fils, qui a pourtant réussi son année, ne pourra pas faire ce qu'il aime. C'est vraiment cruel", a ajouté une maman désespérée.
"Veiller à ce qu'il n'y ait pas trop de médecins"
Avant d'approfondir les tenants et aboutissants du concours "boucherie" instauré par le ministre wallon, il est impératif de revenir sur le principe de base des quotas en médecine... et leur pertinence. En effet, on entend souvent que certaines pénuries sont constatées en fonction des régions et des spécialisations. Ne se tire-t-on pas une balle dans le pied en limitant l'accès à la profession ? "Non, on veille à ce qu'il n'y ait pas trop de médecins sur le marché, mais suffisamment", indique Vinciane Charlier, porte-parole du SPF Santé publique.
Le Docteur Masson, secrétaire général de l'association belge des syndicats médicaux (Absym), soutient pour sa part qu'une sélection est nécessaire dans la profession, quelle qu'en soit la forme. "Il est évident qu'il faut un concours, même si cela ne résout pas certains problèmes sectoriels qu'on n'arrive pas à compenser", confie-t-il. "C'est essentiel car il faut garantir un minimum de patients à traiter pour les stagiaires, qui apprennent la profession", précise-t-il.
Quant aux spécialisations qui souffrent de pénurie, il affirme: "Les spécialisations telles que médecine générale, oncologie ou gériatrie ont toujours des difficultés à trouver preneur. C'est comme ça mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas assez de médecins, c'est parce qu'il n'y a pas assez de médecins qui se dirigent vers ces spécialisations, malgré le fait que certains y soient contraints à la fin de leurs études (il existe aussi des quotas par spécialisation, et certains étudiants en fin de cycle ne peuvent se diriger vers la spécialisation de leur choix). Mais certains, étant donné que ce n'était pas leur choix initial, abandonnent, travaillent à temps partiel ou refusent, par exemple, de faire des gardes".
Nouvel outil pour "coller" à la réalité: le cadastre "dynamique"
L'Etat contrôle donc le nombre de médecins recevant un numéro INAMI, indispensable pour pratiquer la médecine dans notre pays, qui a été fixé à 1.230 pour l'année 2016: 738 en Flandre contre 492 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Voilà comment les autorités veillent à "ce qu'il n'y ait pas trop de médecins".
Et la réponse apportée par nos politiciens aux pénuries de médecins, pour éviter qu'il y en ait trop peu, principalement des généralistes dans certaines régions du pays, est le cadastre "dynamique". Une nouvelle base qui permet à la Commission de planification de l’offre médicale de déterminer de façon "intelligente" le nombre de numéros INAMI à attribuer. "C'est un système bien plus élaboré qu'avant, car il tient compte des médecins qui, malgré le fait qu'ils gardent leur numéro Inami, ne pratiquent plus ou travaillent, par exemple, à mi-temps. Et en fonction des résultats, on détermine les quotas en fonction des spécialisations", a ajouté Vinciane Charlier.
Un examen d'entrée en Flandre
Ensuite, en fonction de ce nombre de médecins qui reçoivent leur fameux sésame en fin d'étude, est déterminé, sur base de planifications pour les années futures, le nombre d'étudiants qui peuvent entamer leurs études. "Il y a un arrangement entre l'Inami et les universités", a encore précisé la porte-parole du SPF Santé publique, sans entrer dans les détails.
En Flandre, c'est à un examen d'entrée unique qu'ils sont soumis au terme de leur rhétorique, et les X premiers obtiendront le droit de s'inscrire.
Un concours au terme de la 1e année en Fédération Wallonie-Bruxelles
En Fédération Wallonie-Bruxelles, c'est plus compliqué: tout le monde a le droit de s'inscrire et d'entamer les études de médecine. Mais chaque université de médecine ne peut laisser passer qu'un nombre déterminé d'étudiants en 2e année et élabore un concours sur base du cursus donné, avec des questions à choix multiples, pour "sélectionner" ses "meilleurs" étudiants.
Voilà donc la base du concours "boucherie", ce fameux "filtre" imposé aux étudiants en médecine. "Tout d'abord, il faut bien préciser que monsieur Marcourt ne voulait aucun filtre, aucun concours. C'est le fédéral qui l'a imposé", a tempéré Gaël Lambinon, porte-parole du ministre de l'enseignement supérieur en fédération Wallonie-Bruxelles.
Parents: "Absurde, idiot, injuste"
Et si le ministre lui-même n'y est pas très favorable, cet écrémage n'est pas du tout du goût des familles des étudiants. "Merci d'avoir aidé à briser les rêves des jeunes. Merci de les détruire psychologiquement et de leur faire perdre confiance en eux. Merci d'avoir aidé les jeunes à mieux comprendre la définition des mots 'absurde', 'idiot', 'injuste'", dénonce le père d'un étudiant qui s'insurge contre le fait que les résultats de ce concours ne reflètent pas la hiérarchie des examens. "Un concours à choix multiples ne reflète pas les connaissances des étudiants. La preuve: ma fille a particulièrement bien réussi son année, elle est dans les premières, mais elle n'arrive pas en ordre utile au concours. Comment lui expliquer que des étudiants, parfois loin derrière elle aux examens de médecine, peuvent continuer en 2e alors qu'elle ne reçoit pas l'autorisation de s'inscrire ?", fulmine-t-il.
Et cette jeune fille de l'université de Namur n'est pas seule dans ce cas. En tout, 1.112 étudiants ont présenté l'épreuve, dont seuls les 582 meilleurs ont été retenus. Mais les choses ne sont pas si simples, car sur ces 582, 108 n'ont pas rempli la deuxième condition à leur passage vers le 2e bachelier, à savoir avoir accumulé au moins 45 crédits (sur les 60 que comptent le 1er bachelier) lors de leurs examens de médecine. Ils pourront tenter d'engranger les crédits manquants à l'occasion de la seconde session, prévue en septembre prochain.
Puis il y a les cas contraires, particulièrement cruels. Car sur les 530 étudiants qui ne sont pas parvenus à se classer en ordre utile au concours, 246 d'entre eux ont bien engrangé les 45 crédits requis. Ils ont donc réussi leur année, parfois bien mieux que d'autres qui ont réussi le concours "boucherie" à choix multiples, mais se font arrêter. Sans le nouveau concours, ceux-là auraient donc été autorisés à poursuivre leurs études, sans avoir recours à la seconde session.
Un timing "peu réfléchi"
Enfin, outre la nature du concours et ses règles spécifiques, le moment auquel les étudiants sont soumis à cet examen est aussi remis en question par de nombreuses familles. "Se rendent-ils compte que fin juin, ils sont épuisés par leur session d'examens ? Leur imposer un concours quelques jours plus tard, c'est inhumain. Et alors, que dire du principe de les arrêter ainsi alors qu'ils ont réussi leur première année. C'est profondément injuste. Quand on voit tous les investissements consentis, tant par nos enfants pour réussir que par les parents pour financer de telles études, c'est incompréhensible", regrette une maman dont le fils a échoué au concours alors qu'il avait réussi son année à l'université de Namur. "Si un étudiant réussit son année de médecine, c'est qu'il était très motivé et déterminé. C'est ce qu'il veut faire de sa vie, sinon il échoue, car ce sont des études très difficiles. C'est vraiment cruel de le laisser y goûter, de le laisser se convaincre qu'il a trouvé sa voie, puis de lui mettre un stop", a-t-elle ajouté.
Autorités publiques: "La moins mauvaise solution"
Du côté du ministre Marcourt, on entend les doléances des familles d'étudiants laissés sur le carreau, mais on défend les choix opérés. Le timing mis en place, à la fin de la première année d'étude alors que la Flandre a, elle, plutôt opté pour un examen d'entrée avant que les étudiants ne s'inscrivent en médecine, laisse une chance à tout le monde, et que c'est cela qui avait été déterminant au moment d'opter pour une solution. "Ce qui a été mis en place est, selon nous, la moins mauvaise solution", a confié Gaël Lambinon, avant d'argumenter: "Un examen d'entrée, cela reproduit les inégalités existantes, et Dieu sait qu'il existe de sérieuses différences de niveau entre les élèves qui sortent de l'enseignement fondamental. Au terme d'une année en médecine, par contre, les élèves qui ont un moins bon bagage à la sortie de rhétorique ont eu le temps de se refaire et d'avoir leur chance au concours".
Concours ou pas, la sélection se fera
Le Docteur Masson estime pour sa part qu'il y a deux aspects qui nourrissent la polémique actuelle. "C'est surtout le terme 'concours' qui dérange", argumente-t-il, avant de cibler les différences entre Régions, mais aussi entre universités. "Peut-être que s'il y avait un seul concours national, cela rétablirait un certain équilibre", estime-t-il, regrettant que le système soit différent en Flandre, mais aussi que les questions posées au concours soient différentes dans chaque université. Mais le docteur tempère et insiste sur le fait que concours ou pas, la sélection se fera. "Il faut bien avoir à l'esprit qu'avant, il n'y avait pas de sélection semblable. Par contre, les examens universitaires étaient plus coupants, avec un taux de réussite ne dépassant jamais les 25%. Et c'est ça qui, d'une certaine manière, déterminait les quotas".
Dernier espoir pour les étudiants recalés
Tout espoir n'est toutefois pas encore perdu pour les étudiants qui ont réussi leur année mais qui ne se sont pas classés en ordre utile au concours. En fonction des résultats de seconde session, certains d'entre eux pourront en effet bénéficier de l'attestation de passage des étudiants aujourd'hui classés en ordre utile mais qui n'auront toujours pas atteint le seuil minimal de 45 crédits acquis à l'issue de leur seconde session de septembre.
Mais certains ne comptent pas attendre ce "cadeau tombé du ciel" en septembre. Une procédure a ainsi été engagée par une dizaine d'étudiants recalés, tous inscrits à l'université de Namur. "Nous avons introduit un recours en extrême urgence devant le Conseil d'Etat", nous a indiqué leur avocate, maître Aurélie Kettels.
Deux "anomalies" ont été avancées pour annuler les résultats du concours. "Tout d'abord, le quota qui a été déterminé pour cette année 2015- 2016 n'est pas fondé sur des chiffres précis et actualisés", a-t-elle précisé. Le second argument est "que toutes les modalités n'étaient pas connues par les étudiants à temps. Certains éléments n'ont été connus qu'aux alentours de février, voire plus tard", a-t-elle ajouté.
Pour le porte-parole de Jean-Claude Marcourt, "il n'y a aucune raison pour que ce processus mis en place soit invalidé". C'est pourtant le dernier espoir auquel s'accrochent les étudiants qui n'ont pas obtenu leur ticket d'accès à la 2e année de médecine, malgré le fait qu'ils aient réussi leur première année universitaire...
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