C’était il y a près de quatre ans. Sandrine a ressenti une douleur incommensurable dans son cœur. Atteint d’un cancer, son fils de 21 ans s’est éteint. Une terrible épreuve de la vie pour cette maman originaire de Charleroi. Afin de partager son histoire, elle a décidé de prendre la plume. Un témoignage poignant dont le but est surtout d’aider les personnes endeuillées.
"On était totalement anéantis, surpris. C’était le choc. C’est le genre de choses qui n’arrivent qu’aux autres. Donc, on s’est dit, ce n’est pas possible", se souvient Sandrine, originaire de Charleroi, qui nous a contactés via notre page Alertez-nous. Une terrible annonce vient d’assombrir soudainement sa vie: Raphaël, son fils aîné, est atteint d’un cancer. Un diagnostic inattendu qui tombe comme un couperet.
"Tout a commencé par un simple mélanome"
"Tout a commencé par un simple mélanome. Les médecins ont fait des analyses et les résultats étaient toujours très flous. On ne savait pas si c’était bénin ou si c’était plus grave. Au bout d’un certain temps, on a pris la décision de l’opérer pour enlever la zone du mélanome mais aussi tous les ganglions qui se trouvaient au niveau de la tête et du cou. Tout était parfait et il n’y avait pas vraiment de trace de cancer", relate la maman de quatre enfants. Raphaël est alors âgé de 20 ans.
Ultérieurement, le jeune homme se rend à un examen de contrôle à l’hôpital. Alors que tous pensent qu’il est complètement guéri, des tumeurs sont détectées dans ses poumons. Des résultats médicaux que Raphaël doit encaisser tout seul. "On croyait qu’il allait juste voir le dermatologue pour la cicatrisation de la plaie afin de la rendre plus jolie esthétiquement. En fait, il avait un autre rendez-vous avec un oncologue, mais il l’ignorait. Est-ce que c’était un oubli de sa part ou est-ce qu’il n’avait pas été prévenu, je n’en sais rien", explique Sandrine. "Quand il est rentré, je me sentais vraiment mal. D’une part, d’apprendre cette terrible nouvelle et d’autre part de me rendre compte qu’il avait été seul pour ramasser ce choc", poursuit-elle.
Raphaël et ses proches prennent du temps à digérer cette information. Très rapidement, un traitement spécifique est évoqué et mis en place. "Il a fallu sortir la grosse artillerie: la chimiothérapie et tout ce qui s’en suit pour essayer de le soigner. Dès le départ, le médecin m’a dit que c’était le type de cancer pour lequel on n’a pas vraiment beaucoup de solutions malheureusement. On a donc débuté par ce qui était le plus efficace, mais il a tout de suite avoué que cela ne serait pas évident", se souvient la quadragénaire.
"J’ai vu que mon fils était devenu l’ombre de lui-même"
A cause de sa maladie, Raphaël, qui se destine à une carrière militaire, doit quitter l’armée. Physiquement affaibli par le traitement, le jeune homme ne parvient plus à s’entraîner et assumer ses missions."C’est une chimiothérapie qui ne provoque pas la perte des cheveux, mais c’est un traitement qui épuise puisqu’il attaque les cellules cancéreuses mais aussi les bonnes. Plus on fait des séances, plus le corps est fragilisé. Perte du poids, fatigue. C’est de plus en plus difficile au fil des mois", indique Sandrine. Le traitement débute en septembre 2011 jusque fin mars 2012.
Et puis, l’état du jeune homme décline. De plus en plus faible, il ne parvient plus à sortir de son lit. "J’ai alors compris. J’ai vu que mon fils était devenu l’ombre de lui-même. Il avait perdu 40 kilos, il avait des tas de tumeurs apparentes. Il y en avait une quarantaine, je les avais comptées. Elles avaient la grosseur d’une noix. C’était impressionnant. Et il en avait à peu près autant à l’intérieur de son corps", révèle la maman. Début avril 2012, Raphaël fait une anémie. Pour pallier ce manque de globules rouges, on lui fait une transfusion sanguine. Mais son état ne s’améliore pas. Sandrine évoque alors avec l’infirmière son retour à la maison, en adaptant sa chambre avec un lit médicalisé. Des soins importants contre la douleur lui seront administrés. Mais le corps médical ne parle plus de chimiothérapie."Quelques mois auparavant, le médecin m’avait déjà annoncé que ce n’était pas bon. C’était le jour de son anniversaire, le 3 janvier. Je voyais donc vers quoi on allait. Mais j’avais tout de même l’espoir que les choses pouvaient basculer et qu’il pouvait encore guérir", se souvient Sandrine. "Mais, au mois d’avril, j’ai quand même bien vu que ce n’était plus possible."
"Dans sa maladie et dans sa mort, il y a eu quelque chose de beau"
Un mois plus tard, ce que redoute la maman se produit. Une nouvelle anémie frappe le jeune homme. Le médecin préconise à nouveau une transfusion. Sandrine s’interroge toutefois sur la nécessité d’une telle opération. "Mon fils avait attrapé une phobie des aiguilles. Il n’en pouvait plus d’être piqué tout le temps. J‘ai alors demandé au médecin si cela était vraiment utile. Il y a eu un petit blanc, et puis, il m’a dit "Non, vous avez raison. On va le laisser tranquille". C’était donc bien clair. Les soins curatifs, c’était fini. On en était aux soins palliatifs, où l’on ne vise plus que le confort du patient car on sait que l’on ne peut plus le guérir", révèle cette Carolo d’origine.
Début mai 2012, Raphaël quitte l’hôpital pour rentrer à la maison, auprès de ses proches. Tout le monde le sait. La fin de sa vie est très proche. Conscient de son état, le jeune homme en discute librement avec sa mère. "Ce n’était pas un sujet tabou. Nous avons évoqué sa mort et son enterrement ensemble. Dans sa maladie et dans sa mort, il y a eu quelque chose de beau: c’est l’amour incroyable qui nous a unis et le fait justement que nous avons pu parler de choses aussi graves et intimes avec simplicité."
"On était dans les conditions de l’euthanasie mais… "
Savoir que son fils est condamné est extrêmement douloureux pour elle. "C’était un choc. Mais en même temps, c’était important pour moi, en tant que maman, de l’accompagner jusqu’au bout. Je voulais être à ses côtés. Trois-quatre jours avant sa mort, il m’a dit qu’il n’en pouvait plus, qu’il voulait mourir. On était dans les conditions de l’euthanasie mais c’était trop violent. Alors, on lui a proposé une sédation, qui consiste à endormir ou en tout cas relaxer profondément une personne avec des médicaments pour qu’elle meure dans des conditions moins douloureuses. C’est ce que l’on a fait", explique Sandrine.
Avant de quitter ce monde, le jeune homme demande à voir toutes les personnes importantes à ses yeux. "Sa sœur et moi, nous avons donc appelé la famille, les proches, les amis. Et cela a été le défilé toute la journée dans sa chambre. Il a dit paisiblement au revoir à tout le monde. C’était très émouvant. Toutes les personnes qui sortaient de sa chambre avaient les yeux humides. C’étaient des moments douloureux mais riches sur le plan de la chaleur humaine et de l’amour. Et j’ai la joie de me dire que mon fils est vraiment parti en paix", confie la quadragénaire. C’était le 8 mai 2012.
A ce moment-là, les frères et sœurs de Raphaël ont 10, 15 et 19 ans. "Chaque enfant a vécu ce décès d’une manière différente car ils n’avaient pas la même relation avec leur frère, vu leurs âges différents. Ce qui cause la douleur dans le deuil, c’est l’intensité de la relation que l’on a eue avec une personne. Même si évidemment on aurait tous préféré le garder avec nous. Cette souffrance commune nous a soudés, mais cela a aussi créé des moments de tension car les enfants m’ont reproché d’être trop dans les larmes alors qu’eux étaient là, vivants. Parfois j’ai donc pleuré en cachette", révèle cette mère de 48 ans.
Un mari totalement absent
Lors de cette terrible épreuve, Sandrine n’est pas épaulée par son mari. Quelques mois avant la mort de leur fils, le couple se sépare. "Il m’a dit qu’il n’en pouvait plus des tensions familiales et qu’il voulait prendre un appartement. J’étais très choquée, confie-t-elle. Finalement, c’est moi qui ai décidé de quitter la maison avec mes enfants qui m’ont dit vouloir aussi quitter leur père. Cela n’allait plus… Raphaël était hospitalisé et nous avons déménagé par -11 degrés. C’était vraiment dingue, très dur, surtout que je n’avais pas d’argent. Mais je me suis dit qu’avec la bonne étoile au-dessus de ma tête, les portes du ciel allaient s’ouvrir". Effectivement, l’aide financière tant espérée se matérialise. Sandrine récupère ses droits au chômage et reçoit des dons de proches. "Le papa, qui était dans une rage folle après notre départ, est resté complètement absent tant physiquement que financièrement. Je l’ai juste appelé pour le prévenir que Raphaël allait bientôt s’en aller. Il est venu mais cela ne s’est pas vraiment bien passé. Et depuis, il a complétement abandonné les enfants", soupire-t-elle.
Malgré cette absence de soutien paternel, Sandrine ne se laisse pas vaciller. De nature positive, elle découvre des ressources insoupçonnées pour affronter ce coup du destin."Quand on doit faire face à la maladie et au décès, il y a une force extraordinaire qui surgit parce que l’on veut tout faire pour cet enfant qui souffre. Et quand la mort arrive, on perd un enfant, mais on en a parfois d’autres en vie qui ont besoin de leur maman. Il faut trouver cette force pour y arriver malgré tout. C’est un devoir, une responsabilité", estime Sandrine.
Un livre pour partager son expérience
C’est certainement cette force intérieure qui lui permet d’ailleurs de rebondir de façon constructive. "A la mort de mon fils, j’avais deux possibilités. Soit m’effondrer et avoir une bonne dépression, soit faire quelque chose de positif. C’est la voie que j’ai choisie", confie la Carolo. D’une part, elle décide d’écrire un livre pour raconter son histoire. Une façon de partager son expérience et sa croyance personnelle. Pour cette mère de famille, son fils continue à vivre dans une autre dimension. "Je sais que c’est vrai car il a pu se manifester à plusieurs reprises. Ce ne sont pas des hallucinations. Mon livre, je l’ai écrit pour transmettre mon témoignage aux autres et leur dire que la mort n’est qu’un passage. Les êtres aimés, on va un jour les revoir. C’est une vérité que je veux partager avec les personnes confrontées au deuil. La souffrance de la séparation, toute personne qui perd un jour un être cher, la connaît. C’est quelque chose de terrible à laquelle on ne peut échapper. Malgré tout, il y a cet espoir qu’un jour, on va les revoir", assure Sandrine.
"Maintenant, j’accompagne les personnes en deuil"
D’autre part, elle retourne à l’université pour étudier les soins palliatifs et l’accompagnement du deuil. Elle devient ainsi une professionnelle en la matière. "J’ai trouvé il y a quelques mois un emploi dans un hôpital bruxellois et je consulte aussi chez moi. C’est un travail qui me correspond parfaitement. Maintenant, j’accompagne les familles et les personnes qui sont dans des situations très difficiles. C’est une vraie joie pour moi de pouvoir les aider, les entourer, les consoler aussi parfois. Je me sens utile et cela me rend heureuse."
Dans un premier temps, Sandrine explique que le plus important est d’écouter et encourager le dialogue. "Il faut les laisser parler, raconter toute leur histoire parce qu’elle a besoin d’être racontée mille fois pour pouvoir être évacuée", assure la Carolo, qui est également hypnothérapeute. "Ensuite, au fur et à mesure du temps, ce qui était une terrible souffrance va s’atténuer. Et on finit par vivre avec un souvenir sans la douleur. A ce moment-là, on a fait son deuil. Cela ne veut pas dire que l’on a oublié la personne, on continue à penser à elle, mais on est plus dans cette perpétuelle souffrance de la perte et on recommence aussi à éprouver du plaisir. On se souvient alors de l’autre plus avec la paix qu’avec la torture mentale", indique Sandrine. Selon elle, avant d’atteindre cette étape, cela peut prendre quelques mois à plusieurs années, en fonction de la personne.
Sourire à la vie
Sandrine a elle-même fait le deuil de son fils. Aujourd’hui, quand elle regarde l’une de ses photos, elle sourit. "Je pense que c’est ce qu’il souhaite, nous savoir heureux. Et je crois aussi que c’est une marque de respect par rapport à lui parce que j’ai eu une vie beaucoup plus longue que la sienne, et la moindre des choses c’est de sourire à la vie."
Julie Duynstee
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